Stress : des droits pour un après-France Télécom

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Photo : Leyla Vidal/Belpress/Maxppp
Au-delà de la sanction, comment prévenir, à l’avenir, les violences issues d’un management financiarisé systémique, protéger de façon efficace à la fois les travailleurs et l’environnement ? Un ensemble cohérent de principes dessine un avenir possible pour la santé au travail et environnementale. Plusieurs acteurs du procès – syndicalistes, intellectuels, artistes – mettent en débat l’application de réformes législatives en formulant plusieurs principes de base que nous résumons ici.

Rendre illégales les organisations du travail pathogènes. Les conditions dans lesquelles une décision de gestion peut être qualifiée de harcèlement moral, voire de violence au sens pénal, doivent être clarifiées. En s’appuyant par exemple sur la catégorisation élaborée en 2011 par le Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux à partir de la littérature scientifique internationale, elle pourrait prendre la forme suivante : « Sont constitutifs d’un harcèlement moral les agissements répétés à l’égard d’un salarié tels que, notamment, la fixation d’objectifs excessifs ou irréalistes, la prescription d’un travail déqualifiant, les comportements méprisants ou humiliants, la mise à l’écart des collectifs de travail, l’obligation faite de mentir ou de violer l’éthique et la déontologie professionnelles, l’instauration d’un sentiment d’insécurité permanente, qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Spécifier la répression pénale des crimes sociaux et environnementaux. Les responsables des catastrophes environnementales échappent eux aussi très largement à toute poursuite pénale. La société civile se mobilise depuis longtemps pour imposer la création du crime d’écocide, défini comme la destruction volontaire d’un écosystème, ainsi que la création d’une cour pénale internationale dédiée. Cela permettra en particulier la condamnation des responsables d’entreprise qui ont consenti aux destructions en violant de façon avérée leurs obligations de prévention. Il faut étendre cette responsabilité aux filiales implantées dans des pays tiers, souvent dépourvus de législations protectrices. Outre la responsabilité pénale de leurs dirigeants, les entreprises ayant commis ces infractions seraient exclues de la participation à des marchés publics.

Limiter le recours à la sous-traitance, l’interdire sur les sites à risques. Il convient de rendre le donneur d’ordres responsable de l’application du Code du travail et du code de l’environnement sur toute la chaîne de sous-traitance qui dépend de lui. À titre d’exemple, pour les salarié.es d’une entreprise ou de sous-traitants déclarés inaptes du fait de maladies professionnelles ou d’accidents du travail, l’obligation de reclassement qui s’impose au sein du groupe (art. L1226-2) doit être étendue au donneur d’ordres.

Garantir l’effectivité du droit de retrait. Il convient de rendre le droit de retrait plus effectif. Les représentants élus du personnel devraient pouvoir ordonner le retrait des salariés, en cas de motif raisonnable de penser que leur situation de travail présente un danger grave et imminent. L’employeur aura alors l’obligation de s’assurer de la suspension effective du travail sur tous les postes concernés. L’exercice individuel ou collectif du droit de retrait pourra être contesté devant le Conseil de prud’hommes statuant sous la forme des référés. Seul l’exercice d’un droit de retrait de mauvaise foi, reconnu tel par une décision de justice définitive, pourra faire l’objet d’une réduction proportionnelle de salaire ou d’une sanction disciplinaire.

Santé mentale : rendre indépendante la médecine du travail et la renforcer. Il convient de rendre les services de santé au travail tout à fait indépendants des employeurs. Financés par un prélèvement Urssaf forfaitaire dans le cadre de la Sécurité sociale, ils seront composés de médecins et d’infirmiers du travail et d’intervenants en prévention des risques professionnels. Tout service de santé au travail devra comprendre un toxicologue, ainsi qu’un psychologue ou un psychiatre du travail. Les salariés en coactivité sur un même site pourront être suivis par le même service de santé au travail.

Repenser la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelle. Il est temps de créer et d’expérimenter un dispositif permettant la reconnaissance des incidences psychopathologiques du travail et de son rôle déterminant dans des pathologies psychiques. Pour les maladies non prévues dans un tableau, il convient de réformer la procédure inefficace des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (Crrmp), qui devraient être composés de spécialistes de la santé au travail. Une évaluation annuelle détaillée des cas, admis ou rejetés, devrait conduire à des propositions d’amélioration ou de création de tableaux.

Renforcer l’inspection du travail et garantir son indépendance. Sans le considérable travail d’agents de l’Inspection du travail, l’affaire France Télécom Orange n’aurait pas pu aboutir. Mais les évolutions récentes, dans le sens d’un contrôle hiérarchique étroit de l’activité et d’une mise au pas des services de contrôle, affaiblissent leur action et vont à contresens de l’idée même d’inspection du travail, telle que garantie par l’Oit. Le droit accordé à l’Inspection du travail de suspendre des activités en fonction de certains risques physiques limités, devrait être étendu à toutes les situations dans lesquelles un danger grave pour la santé des travailleurs, des riverains ou de l’environnement est constaté. Par ailleurs, il convient de renforcer les moyens humains des services de prévention des Caisses d’assurance retraite et de la santé au travail et d’étendre ces mesures à la fonction publique.

Ces mesures d’urgence constitueraient des avancées significatives dans la participation des salariés et des parties prenantes aux décisions qui impactent la santé au travail, la santé publique et l’environnement.

Créer des comités travail-santé-environnement, élus directement. La prévention des risques liés à l’organisation du travail suppose d’abord la présence de représentants du personnel auprès desquels les salariés puissent trouver de l’aide. À contresens des réformes récentes il convient non seulement de rétablir des instances dédiées à la santé au travail dans chaque lieu de travail, mais encore de renforcer leur légitimité et leurs prérogatives. Dans les secteurs privé comme public, des représentant.es de proximité devraient être désormais obligatoirement élus sur chaque site par l’ensemble des salarié.es contribuant à l’activité (quel que soit leur statut), et qu’ils forment un Comité travail-santé-environnement (Ctse).

Ces comités de proximité disposeront d’une personnalité juridique et des mêmes droits que les anciens Chsct (expertise, alerte…), avec des prérogatives élargies aux questions environnementales et un droit de veto suspensif en cas de changement organisationnel ou technologique suspectés d’être potentiellement préjudiciable à la santé physique ou mentale des salarié.es ou à l’environnement.

Réinventer le droit d’expression des salarié·es sur leur travail. Pour que le droit d’expression collectif des salariés sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail tienne enfin ses promesses il convient de le reconnaître pleinement comme un droit des travailleurs, seuls à même de déterminer le lieu d’échange pertinent entre professionnels, et donc de leur confier l’organisation des espaces de délibération sur le travail, avec un temps imparti a cet effet et une liberté d’expression des salariés garantie. Il n’appartient pas à l’employeur d’organiser cette expression, ni même d’influer sur son organisation, qui doit être l’une des fonctions des représentant.es de proximité.

Ces mesures d’urgence centrées sur la question de la santé devraient être complétées d’autres dispositions pour une réelle démocratisation du travail et des entreprises, notamment concernant leur gouvernance. Mais elles constitueraient des avancées significatives dans la participation des salariés et des parties prenantes concernées aux décisions de gestion qui impactent la santé au travail, la santé publique et l’environnement.

Gilbert Martin

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