Auguste Herbin enfin révélé dans tous ses états successifs
Au musée de Montmartre, on refait le parcours d’un peintre encore méconnu, parti du postimpressionnisme, tenant du fauvisme puis du cubisme, qui finit en pionnier de l’art abstrait.
C’est à une véritable réhabilitation que se livrent les historiens d’art Céline Berchiche et Mario Choueiry, commissaires de l’exposition « Auguste Herbin 1882-1960, le maître révélé ». En exergue, un texte du peintre, sculpteur et lithographe Jean Dewasne (1921-1999) définit parfaitement l’esprit de l’entreprise.
« Il n’y a pas un autre exemple, a-t-il écrit, de peintre plus incompris et en même temps plus injurié qu’Auguste Herbin dans la vie artistique française depuis cinquante ans. […] Il faudra un jour publier le florilège des phrases blessantes qui furent écrites sur son compte. Les signataires formeront le plus beau bataillon d’éclopés rétiniens qu’on puisse réunir. […] D’autres peintres furent ignorés, comme Mondrian ; mais pour Herbin, le silence était une trop douce sanction. Ça ne l’a pas empêché de travailler obstinément et de gagner la bataille de la couleur ».
C’est muni de ce viatique offensif que le visiteur est invité à juger sur pièces la carrière féconde d’un artiste féru de recherche, qui s’est constamment renouvelé.
Premiers pas impressionnistes
Herbin naît en 1882 au Cateau-Cambrésis (Nord) qui est aussi la ville natale de Matisse. À 14 ans, élève doué, il suit les cours de l’école municipale de dessin, avant d’intégrer les Beaux-Arts de Lille. Ses premières œuvres – paysages, portraits, natures mortes – traduisent d’emblée une main sûre. L’influence de l’impressionnisme y est lisible. En 1901, il quitte Lille pour Paris.
Le premier acheteur d’Herbin, dans la période où il admire Van Gogh et Cézanne, sera le père Eugène Soulier, marchand de couleurs et de tableaux qui tient un bric-à-brac rue des Martyrs. Dès 1904, pris en main par Wilhem Uhde et Clovis Sagot, entre autres grands marchands, il expose régulièrement dans des salons très courus, en France et à l’étranger.
Un des inventeurs du cubisme
Les voyages, en Corse, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, affinent sa vision plastique et étoffent sa palette. Herbin est considéré comme le plus « fauve » des artistes novateurs, Picasso, Derain, Matisse, Braque, Othon Friesz… En 1908, le voici reconnu comme l’un des inventeurs du cubisme, avec une prédilection pour la couleur. En 1909, il s’installe au Bateau-lavoir, dans l’atelier qu’occupait Picasso. Il y restera jusqu’en 1927.
En 1913, il effectue un long séjour à Céret (Pyrénées-Orientales), avec le poète Max Jacob et les peintres Moïse Kisling, Juan Gris et Picasso. Le cubisme d’Herbin tranche avec celui de ses homologues, par des contrastes de couleurs vives. En 1916, sous contrat avec le marchand Léonce Rosenberg – nous avons évoqué, le mois dernier, la décoration fastueuse de son appartement parisien –, Herbin côtoie, entre autres, Le Corbusier, Léger, Juan Gris, Severini.
Lors d’un second séjour à Céret, il adopte de nouvelles règles de composition. En 1918, il est un peintre abstrait. On sort de la guerre. Il participe aux vifs débats sur le renouveau du cubisme et opte pour un art monumental, qui le rapproche du Bauhaus allemand et du constructivisme russe, dans la perspective d’un accompagnement de la société moderne.
Retour à la figuration avec le PCF
De 1918 à 1922, Herbin peint à fresque, crée des objets et des meubles qu’il nomme « objets monumentaux ». Il y renonce devant l’échec critique et commercial. Il revient un temps à la figuration sous le signe du « réalisme magique », consécutif à son adhésion en 1920, au Parti communiste. S’opposant à la doctrine du réalisme socialiste, il le quittera en 1948.
L’ultime phase de ses métamorphoses sera dans son retour définitif à l’abstraction résolue, avec l’invention de ce qu’il nomme l’« alphabet plastique », fait de correspondances entre formes géométriques, lettres, couleurs et notes de musique, ce qui ouvrira la voie à l’art cinétique et à l’art optique. L’existence d’Auguste Herbin a été tout entière vouée à la quête de formes neuves et à l’enchantement de la couleur.
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