Chronique juridique -  Harcèlement moral d’un agent atteint de troubles autistiques

La Défenseure des droits avait été saisie par un agent contractuel employé au sein de la direction des systèmes de l’information (Dsi) d’une université. Celui-ci s’estimait victime de harcèlement discriminatoire en lien avec son handicap, eu égard à l’aménagement tardif de ses conditions de travail et à la perte de ses attributions. En conséquence, la Défenseure des droits, saisie, recommande au président de l’université d’indemniser l’agent des préjudices subis résultant du harcèlement discriminatoire dont il a été la victime (1).

Édition 042 de mi-décembre 2023 [Sommaire]

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Elle suggère également de veiller, à l’avenir, à ce que les comptes rendus d’évaluation professionnelle (Crep) des agents de l’université ne fassent pas mention, à leur détriment, de leur état de santé ou de leur handicap. Si un agent atteint de troubles autistiques manifeste des problèmes comportementaux paraissant en lien avec son handicap, mais non constitutifs de fautes professionnelles, l’administration doit saisir le médecin du service de santé au travail afin qu’il se prononce sur l’aptitude de l’agent à exercer ses missions, et sur l’aménagement de ses conditions de travail. Elle ne peut lui retirer des missions de sa propre initiative.

Les faits

M. X, ancien assistant ingénieur (Asi) a été employé en contrat à durée indéterminée (Cdi) de droit public par l’université de Y, du 1er décembre 2015 au 27 juillet 2022, au sein de la Dsi. Cet agent, estime avoir fait l’objet, de la part de sa hiérarchie, d’une discrimination et d’un harcèlement moral discriminatoire en lien avec son handicap. Celui-ci bénéficie de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (Rqth) depuis le 16 décembre 2019 au vu des troubles du spectre autistique dont il est atteint. 

Précisément, il estime avoir fait l’objet, de la part de sa hiérarchie, d’une discrimination et d’un harcèlement moral discriminatoire en lien avec son handicap à partir de 2018.

Son employeur a eu connaissance de l’état de santé de M. X depuis septembre 2018, date des premières préconisations médicales. L’intéressé avait également, en 2016, fait part de son handicap à ses collègues.

Le réclamant souligne que dans son Crep du 15 octobre 2018, il est fait un lien entre son handicap et la diminution de ses tâches alors qu’à cette date aucune contre-indication médicale à l’exercice de ses missions n’avait été formulée.

Il indique, par ailleurs, que sa fiche de poste – ingénieur d’études (Ige) – a été vidée de sa substance à la fin de l’année 2018, alors qu’une demande de Rqth était en cours, et que les tâches qu’il effectuait de 2015 à 2018 ont été réparties entre ses collègues en raison de son handicap sans qu’un avis médical ait été émis.

Il ajoute qu’il a été déclaré apte, le 26 septembre 2018, à exercer ses fonctions sous réserve de certains aménagements, mais que son poste n’aurait pas non plus été aménagé. Il s’agissait d’installer une séparation entre son poste de travail et celui du collègue avec qui il partageait son bureau.

En outre, le réclamant a sollicité la protection fonctionnelle le 10 décembre 2021, mais l’université n’y a pas donné de suite. Il a aussi saisi le Chsct et la cellule de veille harcèlement sexuel, violences sexistes et homophobes de l’université, ce qui a donné lieu à l’établissement d’un compte-rendu d’entretien avec l’intéressé du 9 mars 2022.

Par décision du 22 juillet 2022, notifiée le 27 juillet 2022, M. X a été licencié pour motif disciplinaire. Un manquement à l’obligation de servir et un refus d’obéissance hiérarchique lui étaient reprochés.

La procédure

Par une ordonnance du 21 septembre 2022 (n° 2204736), le juge des référés du tribunal administratif de Y a rejeté la requête en référé-suspension de l’intéressé, dirigée contre la décision du 22 juillet 2022, en retenant l’absence de doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse. Une requête étant pendante sur le fond contre cette décision devant la même juridiction.

La position de la Défenseure des droits

Il ressort de l’enquête un retrait injustifié de ses attributions depuis octobre 2018 en lien avec son handicap (1), ainsi qu’un aménagement tardif de ses conditions de travail (2).

1. Sur le retrait injustifié des attributions de M. X en lien avec son handicap

Pour la Défenseure, «  il résulte de l’instruction que le poste d’“ingénieur réseaux et télécommunications” de M. X a été vidé de sa substance à l’automne 2018 et que les tâches qu’il effectuait de 2015 à 2018 ont été réparties entre ses collègues en raison de son handicap en dehors de tout avis médical en ce sens  ».

L’université reconnaît, en outre, que le Crep du 15 octobre 2018 « fait un lien entre la modification de ses tâches et sa pathologie, alors qu’aucune contre-indication médicale n’avait été formulée ». Elle ajoute que « l’agent a été informé du changement de ses missions induites par son comportement au cours d’un entretien professionnel qui s’est déroulé le 15 octobre 2018 ».

L’université soutient que c’est le « comportement [de M. X] (absence de capacité à travailler en équipe, attitude agressive avec ses collègues, ou méprisante à l’égard de leur travail, initiatives prises en solitaire à l’égard des partenaires, sans l’aval, ou sans même en référer à sa hiérarchie) qui a nécessité une modification de sa fiche de poste, en vue de lui confier des missions de même niveau, mais nécessitant le moins d’interactions possibles avec ses collègues et les partenaires de l’université ».

Ainsi, dans son Crep précité, il est fait un lien entre le handicap de l’intéressé et la diminution de ses tâches, alors qu’à cette date il n’y avait pas de contre-indication médicale à l’exercice de ses missions et qu’il n’appartient pas à l’employeur d’apprécier l’aptitude de l’agent à exercer ces dernières.

Les difficultés comportementales et les problèmes relationnels reprochés au réclamant par sa supérieure, Mme A, paraissent directement liés aux troubles du spectre autistique de l’intéressé.

Cela aurait dû conduire à l’employeur à demander plus en amont que l’intéressé soit reçu par le médecin du service de santé au travail, afin qu’il se prononce sur l’aptitude de l’agent à exercer ses missions ou sur un aménagement de son poste de travail, et non pas à lui retirer ses missions sans avis médical.

Or, le médecin compétent n’a pas été saisi de ce changement d’attributions, en méconnaissance de l’article 11-1 du décret du 28 mai 1982 (2).

Dès lors que des problèmes comportementaux paraissant en lien avec le handicap de l’intéressé, mais non constitutifs de fautes professionnelles, ont pu être relevés par l’administration dès 2016, il appartenait à cette dernière de saisir le médecin du service de santé au travail afin qu’il se prononce sur l’aptitude de l’agent à exercer ses missions et sur l’aménagement de ses conditions de travail, sans lui retirer des missions de sa propre initiative.

2. Sur l’aménagement tardif de ses conditions de travail

La Défenseure des droits estime que l’aménagement de l’espace de travail de l’intéressé est intervenu tardivement, ce qui a participé au harcèlement moral discriminatoire qu’il a subi. Si l’université indique qu’elle a aménagé l’espace de travail de M. X depuis 2019, elle ne l’établit pas.

Il n’en demeure pas moins que M. X a bénéficié, dès juin 2019, d’un accompagnement interne par les acteurs concernés du pôle ressources humaines et dialogue social de l’université. Il a ainsi d’abord rencontré la référente handicap de l’université, puis il a reçu l’accompagnement d’une assistante sociale et a été orienté vers le service conseil, accompagnement, parcours professionnels (Capp) du pôle ressources humaines et développement social.

En novembre 2019, un accompagnement externe de Cap emploi a aussi été mis en place, en vue notamment de mieux connaître les effets induits par son handicap et de prévenir et résoudre les situations de rupture professionnelle.

Toutefois, les démarches d’accompagnement entamées par l’université au profit de M. X sont intervenues tardivement, à partir de juin 2019, alors que l’université avait connaissance de la situation de santé de M. X au moins depuis septembre2018.

Ce retard a participé au harcèlement moral discriminatoire subi par l’intéressé.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la Défenseure des droits considère que M. X a été victime d’un harcèlement moral en raison de son handicap de la part de l’université de Y, eu égard à l’aménagement tardif de ses conditions de travail et à la perte de ses attributions depuis octobre 2018, sa situation professionnelle s’étant notamment dégradée à la suite de cette perte d’attributions.

S’agissant de la réparation d’une discrimination, conformément à une jurisprudence constante, la victime d’un agissement fautif telle une discrimination a droit, tant en matière civile qu’administrative, à une réparation intégrale des préjudices subis (3), permettant de la replacer dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si le comportement dommageable n’était pas intervenu.

Dès lors, la Défenseure des droits recommande au président de l’université de Y :

  • d’indemniser M. X des préjudices subis résultant du harcèlement discriminatoire dont il a été la victime, dès lors que l’intéressé lui aura adressé une demande en ce sens ;
  • de veiller à l’avenir à ce que les comptes rendus d’évaluation professionnelle des agents de l’université ne fassent pas mention, à leur détriment, de leur état de santé ou de leur handicap.

  1. Décision n° 2023-121 du 17 octobre 2023, relative à des faits relevant d’un harcèlement moral discriminatoire en lien avec le handicap.
  2. Décret n°82-453 du 28 mai 1982 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique.
  3. Voir en ce sens  : cour administrative d’appel (Caa) de Lyon, 6 décembre 2016, n° 14LY03751 ; Caa de Lyon, 20 février 2018, n° 16LY00541 ; Caa de Nantes, 3 décembre 2018, n° 17NT01488.