Amiante : le préjudice d’anxiété reconnu sans avoir à justifier d’une exposition personnelle
La cour d’appel de Lyon reconnaît le préjudice d’anxiété subi par un salarié de Renault Trucks qui a travaillé dans un établissement amianté de Vénissieux. L’ensemble du site est concerné, sans distinction entre les ateliers et les bureaux.
Le 28 février 2023, la cour d’appel de Lyon a condamné la société Renault Trucks à verser à Gilles Cavalieri la somme de 7 000 euros au titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice d’anxiété subi sur son lieu de travail, inscrit sur la liste des établissements de fabrication de matériaux contenant de l’amiante. Ce site appartenait à la société Berliet avant de devenir Renault Véhicules Industriels puis Renault Trucks.
L’arrêt de la cour d’appel de Lyon stipule que Gilles Cavalieri, qui travaillait dans la maintenance, « se trouve, de par le fait de son employeur, dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante. » En effet, les pathologies liées à l’amiante se déclarent vingt, trente, quarante ans après l’exposition, obligeant les salariés concernés à vivre avec cette menace, fréquemment réactualisée par le décès d’un collègue. La première reconnaissance du préjudice d’anxiété subi par un salarié exposé à l’amiante est un arrêt de la cour d’appel de Bordeaux daté de 2009.
Le tribunal rappelle également que c’est l’établissement dans son ensemble qui a été inscrit sur la liste des établissements de fabrication d’amiante par un arrêté du 25 octobre 2016 : « Les opérations liées à l’amiante ont ainsi été considérées comme représentant une part significative de l’activité de l’établissement (…) sans qu’aucune distinction n’y soit faite selon les secteurs d’activité de cet établissement ou restriction selon les métiers. » Il en résulte que « tous les salariés qui ont été affectés dans cet établissement entre 1964 et 1996 (…) peuvent prétendre à obtenir l’indemnisation de leur préjudice d’anxiété (…) sans avoir à justifier d’une exposition personnelle à l’amiante. »
Pas de frontière étanche entre les catégories
Débouté en première instance, Gilles Cavalieri, militant CGT, avait constitué un dossier comme des centaines d’autres collègues avec l’aide de l’Association prévenir et réparer (Aper). Créée en 2001, cette association regroupe les syndicats CGT, FO et CFDT de l’entreprise. Principalement animée par des militants CGT et Ugict- CGT, l’Aper s’est battue dans un premier temps pour obtenir le classement sur la liste des établissements de fabrication d’amiante. Un site de l’entreprise, situé à Annonay, a été reconnu en 2007, celui de Vénissieux en 2016.
À chaque fois, c’est l’ensemble du site qui était concerné, sans distinction entre les ateliers et les bureaux. En effet, si la répétition de l’exposition augmente la probabilité de tomber malade, certaines maladies peuvent survenir après de faibles expositions, comme l’explique l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS). Olivier Jouvençon, technicien et secrétaire de l’Ugict Vénissieux de 2000 à 2008, précise : « L’amiante ne s’arrête pas aux portes. Et les gens circulent : les chefs d’équipe peuvent passer beaucoup de temps dans les ateliers, même s’ils ont un bureau. Par ailleurs, des ouvriers sont passés techniciens, il n’y a pas non plus de frontière étanche entre les catégories. »
Cette reconnaissance a ouvert le droit au bénéfice de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (Acaata). Dans ce cadre, environ 300 départs anticipés à la retraite ont déjà eu lieu, avec une prime non imposable au prorata du nombre d’années passées dans l’entreprise pendant la période d’exposition reconnue.
Un travail colossal, assuré par une dizaine de militants CGT et Ugict
Dans un second temps, l’Aper s’est attelée à faire reconnaître le préjudice d’anxiété subi par tous les salariés ayant travaillé dans l’établissement de Vénissieux entre 1964 et 1996. Un travail colossal, assuré par une dizaine de militants, principalement des retraités Ugict et CGT. En 2021, le préjudice d’anxiété a été reconnu pour 600 salariés, ainsi que des indemnisations allant de 200 à 10 000 euros. Mais des centaines d’autres ont été déboutés. Jean-Paul Carret, président de l’Aper depuis 2018 et syndiqué CGT depuis cinquante-trois ans, commente cette décision : « Deux personnes qui avaient travaillé dans le même secteur pendant la même durée pouvaient toucher l’une 10 000 euros et l’autre être déboutée. Mais, globalement, les jugements reflétaient le discours de la direction. Là où il y avait plus d’amiante qu’ailleurs, par exemple dans les ateliers où l’amiante était découpée à la scie, il y avait moins de déboutés. » En mai 2022, lors d’une réunion de l’Aper, Gilles Cavalieri déplorait que ce jugement « divise les individus (ouvriers, cadres, techniciens) mais, plus encore, s’autorise une soi-disant répartition des bâtiments où devait se trouver le poison. »
L’association a fait appel pour les salariés déboutés et ceux ayant touché moins de 6 000 euros. La cour d’appel de Lyon, voyant arriver des centaines de dossiers, a alors proposé une médiation, que de nombreux salariés ont décidé d’accepter, fatigués par des années de procédure ou déjà à la retraite. « Ces procédures sont longues pour des gens qui peuvent tomber malades », commente Olivier Jouvençon, qui pour sa part a accepté la proposition de la cour d’appel.
Une dizaine de militants ont décidé quant à eux de refuser cette médiation et de faire appel. L’arrêt du 28 février 2023 est le premier, la cour d’appel se prononcera sur les dossiers suivants en septembre 2026, soit cent vingt ans après qu’un inspecteur du travail de Caen a, le premier, alerté sur le « danger des poussières d’amiante » pour l’organisme dans un rapport sur l’hygiène et la sécurité dans les filatures et tissages d’amiante.
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