Chronique juridique -  La protection fonctionnelle des agents publics

Une personne agressée physiquement ou verbalement du fait de sa qualité d’agent public, doit bénéficier de la protection fonctionnelle. Celle-ci s’applique également si sa responsabilité civile ou pénale est mise en cause. Dans quelles limites ce droit s’exerce-t-il ?

Édition 049 de fin avril 2024 [Sommaire]

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Prévue par les articles L. 134-1 à L. 134-12 du Code général de la fonction publique (Cgfp) la protection fonctionnelle est due par l’administration à ses agents à raison de leurs fonctions, qu’ils soient fonctionnaires titulaires, stagiaires ou agents contractuels. 

Les droits de l’agent victime d’une attaque 

Une personne violentée, menacée, injuriée, diffamée ou victime de harcèlement du fait de ses fonctions ou de sa qualité d’agent public, doit bénéficier de la protection fonctionnelle assurée par son administration.

Dans le cas où l’administration est informée qu’un agent encourt un tel risque, elle doit mettre en œuvre, dans les plus brefs délais, des mesures pour le protéger, même en l’absence de demande de sa part – entretien individualisé, prise en charge médicale, information des forces de police ou de gendarmerie, saisine du procureur de la République pour l’aviser de faits susceptibles de constituer un délit au sens de l’article 40 du Code de procédure pénale, signalement sur la plate-forme Pharos, signalement auprès d’un hébergeur d’un contenu manifestement illicite, par exemple.

Cependant, cette protection ne peut être accordée si l’agent a commis une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions. Une faute même commise pendant le service peut être qualifiée de faute personnelle  :

  • si elle s’avère particulièrement incompatible avec le service public  ;
  • si elle revêt une particulière gravité  ;
  • si elle vise la satisfaction d’un intérêt personnel de l’agent (1).

Constitue ainsi une faute personnelle, détachable du service, le fait pour un agent d’un centre de secours d’emprunter et de conduire un véhicule privé dans l’exercice de ses fonctions, dans un état d’ébriété, pour transporter un malade (2).

En outre, le lien avec le service doit être clairement établi. Ainsi, selon le Conseil d’État, la protection fonctionnelle ne peut être accordée à un sapeur-pompier dont on a volé des affaires dans les locaux du centre d’incendie et de secours, et dans la voiture garée aux abords dudit centre (3).

À noter que la protection fonctionnelle peut s’étendre aux membres de sa famille s’ils sont eux-mêmes victimes d’attaques du fait des fonctions exercées par l’agent.

La protection fonctionnelle en cas de poursuites civiles ou pénales

La protection fonctionnelle s’applique au cas où l’agent ferait l’objet de poursuites civiles à raison de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions. Tel est le cas d’un enseignant en arts plastiques dont l’élève s’est blessé accidentellement sous son autorité, alors qu’il manipulait un couteau pour la découpe d’un carton. 

La protection fonctionnelle peut également être accordée dans le cas où un agent ferait l’objet de poursuites pénales à raison de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions. En dehors du déclenchement de poursuites pénales, il peut aussi bénéficier de la protection fonctionnelle s’il est placé en garde à vue, entendu en qualité de témoin assisté ou s’il se voit proposer par la justice une mesure de composition pénale ou encore une médiation pénale.

La procédure d’octroi de la protection fonctionnelle

En premier lieu, un agent public victime d’une attaque, ou poursuivi devant une juridiction civile ou pénale pour une faute de service, doit en informer sans délai sa hiérarchie. L’administration compétente est celle qui emploie ou employait l’agent en cause à la date des faits.

À cet effet, il appartient à l’agent de formaliser une demande de protection fonctionnelle par écrit. Celle-ci doit être motivée et comporter toutes les précisions utiles sur les faits ou les poursuites pour lesquels l’agent sollicite la protection fonctionnelle, notamment les documents établissant le lien entre les attaques et ses fonctions.

Si aucun texte n’encadre le délai dans lequel sa demande doit être déposée, il est préférable de la formuler en même temps que le dépôt de plainte en cas d’attaque ou dès qu’il a connaissance :

  • du déclenchement de poursuites civiles ou pénales à sin encontre ;
  • de toute mesure susceptible d’être prise à son encontre en amont du déclenchement de poursuites pénales (par exemple : audition en vue d’un placement en garde à vue, placement sous le statut de témoin assisté, etc.).

Une telle précaution évite, dès lors que la protection fonctionnelle est accordée dans le cadre de la procédure pénale ou civile, d’avancer les frais d’avocat et, dans le cadre de la procédure civile, d’avancer le montant des condamnations civiles prononcées à son encontre. 

Par ailleurs, la protection fonctionnelle doit être demandée à chaque étape de la procédure, c’est-à-dire au moins à chaque instance – en première instance, en appel et en cassation. En effet, son extension n’est pas acquise automatiquement. L’administration doit vérifier que les conditions de mise en œuvre de la protection sont toujours remplies. Elle vérifie également que l’action envisagée n’est pas manifestement dépourvue de toute chance de succès, par exemple si les faits sont prescrits. Enfin, dans la situation où l’agent fait l’objet d’une mise en danger réelle du fait d’une attaque imminente et que son administration en est informée, elle doit agir pour le protéger sans qu’il n’ait à en formuler la demande. Pour ce faire l’agent menacé doit informer, dans les meilleurs délais, son administration.

Les mesures concrètes 

La mise en œuvre de la protection fonctionnelle repose sur des mesures de prévention, de protection, d’assistance et de réparation. L’administration, sous le contrôle du juge administratif, doit déterminer, dans chaque situation, les mesures les plus appropriées lui permettant de remplir son obligation de protection, compte tenu des circonstances. Les mesures prises doivent permettre d’assurer une protection réelle, afin, notamment, de faire cesser les atteintes dont l’agent est victime et réparer le préjudice qui en est résulté. Ces mesures ne se limitent donc pas uniquement à la prise en charge des honoraires d’avocat et des frais de procédure, même si cette intervention financière est fréquente. À titre d’exemple, il peut s’agir  :

  • de mesures de prévention, comme un dispositif permettant de recueillir les signalements des agents qui s’estiment victimes, par le biais d’une adresse électronique, d’un numéro de téléphone, d’un formulaire intranet, d’une cellule spécialisée etc. ;
  • de mesures de protection, qui peuvent prendre la forme d’une protection matérielle et physique de l’agent ou de sa famille – changement du numéro de téléphone et/ou de l’adresse électronique professionnels, changement d’affectation, signalement aux autorités policières ou judiciaires, demande de protection du domicile, dépôt de plainte etc. Il peut également s’agir d’une enquête administrative au sein des services, susceptible de conduire au déplacement d’office et/ou au déclenchement d’une procédure disciplinaire à l’encontre de l’auteur de l’attaque, si celui-ci est agent de l’administration  ;
  • de mesures de réparation, telles qu’une prise en charge des condamnations civiles, ou, en cas d’attaques, d’une indemnisation du préjudice subi par l’administration, qui se retournera contre le tiers  ;
  • de mesures d’assistance diverses, telles que :
  • un dispositif d’orientation, de conseil et d’accompagnement des agents estimant pouvoir bénéficier de la protection fonctionnelle, en particulier lorsqu’ils ont été victimes d’une attaque (par exemple un guichet unique) ; 
  • une prise en charge des honoraires d’avocat et des frais de procédure ; 
  • une assistance juridique (4) ;
  • un soutien moral et institutionnel à l’agent  : par lettre, communiqué, entretien, accompagnement de l’agent auprès des forces de l’ordre compétentes pour qu’il dépose plainte, aide à la rédaction d’une déclaration de constitution de partie civile, remboursement de la franchise en cas de dégradation des biens de l’agent, etc. ; 
  • l’organisation d’une conciliation dans le cas de conflits interpersonnels ;
  • en cas de diffamation, de menace ou d’injure sur les réseaux sociaux : un droit de réponse ou de rectification en tant qu’employeur (via, par exemple, un communiqué) ; le signalement sur la plateforme Pharos et auprès de l’hébergeur ou du fournisseur d’accès de tout contenu suspect ou illicite (par exemple incitation à la haine ou apologie du terrorisme). Il peut également s’agir d’autorisations d’absences, en particulier pour se rendre aux convocations judiciaires.

Conditions de délai et recours contre un rejet de la demande de protection fonctionnelle

À noter que le silence gardé pendant plus de deux mois par l’administration après réception de la demande de protection fonctionnelle d’un agent vaut décision implicite de rejet.

Dans le cas d’une décision implicite comme d’une décision explicite de rejet, l’agent peut exercer un recours gracieux ou hiérarchique. Il peut, également, saisir le juge administratif dans les deux mois suivant la naissance de la décision implicite ou la notification de la décision explicite de refus de protection fonctionnelle.

  1. Assemblée, 28 juillet 1951, Laruelle, requête n° 01074  ;
  2. Conseil d’État, 9 octobre 1974, Commune de Lusignan, requête n° 90999  ; 
  3. Conseil d’État, 15 février 2024, requête n° 462435  ;
  4. L’administration ne peut imposer le nom d’un avocat à l’agent protégé, celui-ci est choisi librement par lui. Cependant le versement de ses honoraires est encadré par le décret n° 2017-97 du 26 janvier 2017, relatif aux conditions et aux limites de la prise en charge des frais exposés dans le cadre d’instances civiles ou pénales par l’agent public ou ses ayants droit.