Sondage : du côté des techniciens, techniciennes et professions intermédiaires

Édition 001 de mi-janvier 2022 [Sommaire]

Temps de lecture : 7 minutes

La dernière livraison du sondage réalisé régulièrement par l’institut Viavoice pour le compte de l’Ugict éclaire les aspirations de catégories trop souvent coincées dans le « ni-ni » (ni ouvriers, ni cadres) au détriment d’identités à la fois propres et partagées.

Les trois grandes priorités des professions techniciennes et intermédiaires se déclinent dans l’ordre suivant : d’abord, l’équilibre vie privée/vie professionnelle (63 %) ; ensuite le salaire (56 %) ; enfin, le contenu et le sens du travail (45 %). La sécurité de l’emploi devient la 4e préoccupation – 30 % contre 24 % en 2019 –, passant avant la charge et le temps de travail. Dans l’industrie, la sécurité de l’emploi atteint 37 % et la 3e place, ex æquo avec le contenu et le sens du travail. Une première depuis l’existence de ce baromètre, signe des destructions d’emploi qui ont déjà commencé dans l’industrie, et du chantage à l’emploi qui vise les professions intermédiaires.

Chez les 18-29 ans, le salaire est la priorité (62,1 %) ; vient ensuite l’équilibre vie privée/vie professionnelle (58,8 %). Chez les 29-39 ans, ces deux priorités s’inversent : 71,2 % contre 60,4 %, cette tranche d’âge étant souvent marquée par le début de la parentalité.

Pour un cadre de vie plus équilibré

L’intrusion et l’usage actuels des outils numériques intensifient le travail et prolongent le lien de subordination hors travail en effaçant les frontières spatio-temporelles. Ainsi, 57 % des professions techniciennes et intermédiaires déclarent travailler plus de quarante heures par semaine, et même 20 % plus de quarante-cinq heures.

Pour préserver leur vie personnelle et leur santé, 61 % des professions intermédiaires souhaitent donc disposer d’un droit à la déconnexion effectif. Ces résultats traduisent une aspiration forte à disposer d’un cadre de vie plus équilibré, dans et hors travail.

L’augmentation de la charge de travail se généralise

L’augmentation de la charge de travail est une réalité largement partagée dans les professions techniciennes et intermédiaires, à hauteur de 53 % quels que soient le secteur professionnel et la taille de l’entreprise. On note cependant une augmentation de la charge de travail plus forte dans la fonction publique (63,1 % contre 49 % dans le privé), notamment dans la fonction publique hospitalière avec 73 % des répondant·es.

Par ailleurs les femmes sont 57 % à pointer une augmentation de leur charge de travail, contre 48 % des hommes. Seuls 9,6 % des sondés estiment que leur charge de travail a baissé. Ce chiffre atteint 16 % dans l’industrie, du fait de la crise sanitaire et des mesures de chômage partiel. Enfin, 38 % des sondés estiment que leur charge de travail est restée stable.

Les heures supplémentaires se banalisent

Les heures supplémentaires se sont banalisées au point d’être structurellement nécessaires pour assurer l’activité professionnelle normale, même en période de baisse d’activité économique.

Cette réalité est partagée par 49 % des sondés, un chiffre en baisse de 5 points par rapport à 2019, du fait de la crise sanitaire et de la réduction de l’activité économique. À noter, malgré la forte baisse d’activité dans le commerce et dans l’industrie, que ce sont tout de même près de la moitié des techniciens et professions intermédiaires qui déclarent y effectuer des heures supplémentaires, signe de leur caractère structurel. Une situation très inégale selon les secteurs, avec un pic à 68,4 % des sondés qui, dans la fonction publique hospitalière, déclarent effectuer des heures supplémentaires ! Les jeunes (moins de 30 ans) sont ceux qui sont le plus concernés (57 %). À noter en revanche : le nombre de techniciens et de professions intermédiaires déclarant que leurs heures supplémentaires ne sont ni payées ni récupérées augmente sensiblement et atteint 37 % des sondés, avec un pic de 50 % dans la fonction publique d’État !

L’urgence du droit à la déconnexion

L’usage actuel des technologies de l’information et de la communication participe à l’intensification du travail. C’est ce que vivent les professions techniciennes et intermédiaires de manière très claire (53 %).

Cette réalité est sensiblement plus forte dans la fonction publique par rapport au secteur privé (56,4 % contre 50,2 %). Sans surprise, le débordement de la vie professionnelle sur la vie privée est une réalité pour 1 sondé·e sur 2, en nette augmentation par rapport à 2019 du fait de l’extension du télétravail en mode dégradé. Les femmes sont plus nombreuses à se dire concernées (50 % contre 45,3 % des hommes).

Intensification et l’accélération du travail

L’intensification et l’accélération du travail sont sensibles : 53 % des techniciens et professions intermédiaires estiment que le numérique se traduit par une intensification de leur travail. Dans le même temps, 43 % des sondé·es estiment que les nouvelles technologies facilitent le travail, un constat plus marqué pour les femmes (47,4 % contre 38,5 % pour les hommes).

Avec l’usage actuel des nouvelles technologies, les professions techniciennes et intermédiaires sont contraintes à une importante disponibilité et à une réactivité permanente afin de répondre aux multiples sollicitations liées aux difficultés à accomplir ses tâches dans un contexte d’intensification du travail, de dispersion et de fragmentation de l’activité. Quant au droit effectif à la déconnexion, 61 % des professions techniciennes et intermédiaires souhaitent en disposer.

Cette aspiration est aujourd’hui largement majoritaire quels que soient la taille de l’entreprise et le secteur d’activité. Suite à l’entrée du droit à la déconnexion dans le Code du travail – gagnée par l’Ugict-Cgt en 2016 –, force est de constater, dans les faits, l’insuffisance de la loi qui autorise l’employeur à s’en sortir, à défaut d’accord, avec une « charte » unilatérale.

L’éthique professionnelle est mise à mal

Les répondants sont 65 % à estimer que les choix et pratiques de leur entreprise ou administration entrent en contradiction avec leur éthique professionnelle : souvent (16 %) ou de temps en temps (49 %). Ce chiffre est plus élevé dans le secteur public et notamment dans la fonction publique hospitalière, où 75 % des répondants disent rencontrer des conflits éthiques – dont 25 %, souvent ! Un chiffre qui renvoie à l’ampleur de la maltraitance institutionnelle dénoncée par les soignants.

Hors présence syndicale, compter d’abord sur soi-même

Majoritairement, à hauteur de 51 %, les professions techniciennes et intermédiaires sont d’abord sur une approche individuelle pour défendre leurs droits et leur emploi. Les syndicats arrivent en 2e position (27 %), devant les avocats (10 %), la direction (8 %), les pouvoirs publics (3 %) et les partis politiques (1 %).

L’analyse par taille d’entreprise montre que le défaut d’implantation syndicale favorise l’approche individuelle. Ainsi, dans les petites entreprises de moins de 50 salarié·es, les professions techniciennes et intermédiaires déclarent d’abord compter sur elles-mêmes (62,9 %), les syndicats arrivant en deuxième position (14,2 %). Elles comptent ensuite sur les avocats (11,4 %) puis sur les directions (7,4 %) pour les défendre. Ce déterminant de la présence syndicale se retrouve également dans la fonction publique, où les syndicats sont mieux implantés : 33,5 % des sondés y disent compter sur eux, après l’approche individuelle (48,5 %), avec un pic de confiance dans les syndicats à 37 % dans la fonction publique hospitalière.

Un sentiment aigu de manque de reconnaissance

Le sentiment de reconnaissance dans son travail reste très bas, à 37 %. La situation est plus dégradée dans la fonction publique, où seuls 27 % des sondé·es s’estiment reconnus dans leur travail. Les femmes sont 35 % à s’estimer reconnues dans leur travail, contre 39,3 % des hommes.

Lorsque la reconnaissance intervient, elle se manifeste le plus souvent sous forme de reconnaissance sociale (67 %). Viennent ensuite la reconnaissance par évolution professionnelle (31 %), puis par le salaire (30 %). La reconnaissance sociale, qui est la forme la plus citée, l’est surtout pour les femmes par rapport aux hommes (70,6 % contre 63,7 %). Un chiffre qui confirme encore une fois les inégalités salariales. L’accès à la formation professionnelle correspond aux besoins professionnels dans seulement 56 % des cas, une tendance à la baisse continue depuis 2009, où le taux de satisfaction atteignait 74 % !

Une rémunération en décalage

Une majorité de sondés sont insatisfaits de leur niveau de rémunération, avec une insatisfaction nettement plus forte chez les femmes, chiffres qui font écho aux inégalités salariales :

  • 63 % considèrent que leur rémunération est en décalage avec leur degré d’implication (61 % des hommes et 69 % des femmes) ;
  • 57 % considèrent que leur rémunération est en décalage avec leur charge de travail (56 % des hommes et 64 % des femmes) ;
  • 53 % considèrent que leur rémunération est en décalage avec leur qualification (51,5 % des hommes et 59 % des femmes) ;
  • 51 % considèrent que leur rémunération est en décalage avec les responsabilités exercées (50 % des hommes et 60 % des femmes) ;
  • 50 % considèrent que leur rémunération est en décalage avec leur temps de travail réel (52 % des hommes et 54,3 % des femmes) ;
  • 69 % des salarié·es de la fonction publique (80 % dans la fonction publique hospitalière) considèrent que leur niveau de rémunération n’est pas en adéquation avec leur niveau de responsabilité, contre 44,7 % dans le privé.

Les femmes font davantage d’heures supplémentaires

À noter, de très fortes inégalités femmes-hommes : les femmes sont une majorité à déclarer faire des heures supplémentaires, 53 % contre 44 % des hommes, et elles sont surtout bien plus nombreuses à déclarer effectuer des heures sup’ non rémunérées (41,4 % contre 31 % des hommes) ! Les femmes sont 20,3 % à déclarer travailler plus de quarante-quatre heures par semaine contre 18,6 % pour les hommes. Il s’agit là d’une triple peine : les femmes sont plus nombreuses à faire des heures sup’, ces heures sup’ ne sont pas payées et se cumulent avec les quatre heures et quarante minutes qu’elles consacrent en moyenne chaque jour aux tâches domestiques

Management vs travail bien fait

Les pratiques managériales sont critiquées par 44 % des professions techniciennes et intermédiaires, et les conflits avec l’éthique professionnelle concernent 65 % des professions intermédiaires (et même 75,6 % dans la fonction publique hospitalière). En conséquence, 53 % souhaitent disposer d’un droit d’alerte dans le cadre de l’exercice de leurs responsabilités, afin de pouvoir refuser la mise en œuvre de directives contraires à leur éthique. Certes, une majorité a le sentiment de pouvoir faire un travail de qualité (63 %). Mais il y a de forts contrastes selon les secteurs. Dans la fonction publique, la tendance est inverse : 54,5 % des techniciens et professions intermédiaires estiment ne pas avoir les moyens de faire un travail de qualité, chiffre qui atteint 58,6 % dans la fonction publique hospitalière.

La prime Covid n’est pas à la hauteur

Les mesures de hausse de rémunération suite à la crise du Covid-19 ne sont pas à la hauteur pour 65 % des tech et professions intermédiaires interrogés. Dans la fonction publique, ce taux grimpe à 75 %, et à 81,7 % dans la fonction publique hospitalière. Chez les diplômés de second et troisième cycles, il est de 67,2 %. Et pour celles et ceux qui en ont bénéficié, 73 % disent que la hausse n’est pas à la hauteur de leurs attentes. Ce pourcentage augmente chez les plus de 40 ans. Dans la fonction publique, cette déception atteint 83,8 % des sondé·es.

Louis Sallay

, , , ,