De passe en passe, fragiles libertés publiques

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Après trois jours de débats chaotiques, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture, le 6 janvier dernier, le projet de loi instaurant le passe vaccinal. Un texte qui, pour Olivier Véran, ministre de la Santé, «  fait le choix de la science et de la responsabilité  ». À quel prix  ?

Avec le «  raz de marée  » Omicron, selon les termes du ministre, le temps presse. C’est en pointant cette dimension d’accélération fulgurante de l’épidémie que Le Parisien, dans son édition du 30 décembre 2021, s’intéresse aux arguments d’Olivier Véran pour défendre le passe vaccinal auprès des députés de la commission des lois, en préambule de l’examen du projet de loi transformant le passe sanitaire en passe vaccinal. Le discours à l’Assemblée nationale est alarmiste  : «  Dix pour cent de la population française est cas contact  », «  Plus de 1 million de Français sont positifs  » et les non-vaccinés – 5 millions à ce jour – ont «  peu de chances de passer entre les gouttes, le virus circule trop  ». Si l’alerte est maximale, la pression exercée sur les non-vaccinés l’est tout autant.

Et c’est bien l’objectif, ces derniers étant «  désignés comme boucs émissaires d’une crise de l’hôpital public qui a commencé bien avant l’apparition du Covid et ses variants  ». Cette mise au point est faite le 2 janvier par Patrick Le Hyaric, éditorialiste à L’Humanité. Il écrit  : «  C’est la pire des stratégies. Celle-ci dresse et oppose entre eux nos concitoyens alors que pour faire face à la pandémie il serait plus efficace de les rassembler et de les solidariser. La vaccination est nécessaire, mais l’imposer sans véritable confrontation publique, sans y associer le Parlement, les élus et les scientifiques, cela ne fait qu’amplifier la défiance vis-à-vis de la parole publique comme de la science.  »  

L’impact de la future loi sur les libertés publiques et les droits fondamentaux inquiète particulièrement. C’est d’ailleurs du «  bout des lèvres  », pour reprendre l’expression de plusieurs éditorialistes, que le Conseil d’État a publié son avis. Ainsi, Le Figaro, dans son édition du 28 décembre dernier, liste-t-il les mesures restreignant les libertés que cet avis laisse passer  : «  La nasse ne cesse de se resserrer autour des libertés publiques. L’avis du Conseil d’État concernant le projet de loi sur la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal a opéré de manière chirurgicale quelques réserves et suggestions, mais a aussi enregistré certaines dispositions qui paraissaient, jusque-là, faites pour ne pas durer.  »

Du temporaire qui, en effet, ne cesse de durer… Interrogé par Libération, Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes, s’en inquiète justement en mettant en perspective les questions juridiques soulevées par l’arsenal sanitaire construit depuis 2020. Par exemple  : alors que, comme l’a précisé le gouvernement, cafetiers ou restaurateurs pourront «  vérifier  », et non plus «  contrôler  » les identités s’il y a des «  raisons sérieuses  » de suspecter une fraude au passe vaccinal, peut-on confier ce droit à des personnes privées  ?

«  Ce texte s’inscrit, dans le domaine sanitaire, dans le prolongement du “continuum de sécurité” revendiqué par l’actuelle majorité avec la loi de sécurité globale, analyse-t-il. Il vise à instaurer un “continuum” en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme, entre les forces de sécurité privée, la police municipale, les forces de l’ordre nationales et les forces militaires. Loi après loi, le dispositif sécuritaire a été renforcé en sous-traitant des activités appréhendées habituellement comme régaliennes à des acteurs privés, comme les fouilles à l’accès des périmètres de protection, le contrôle des passagers par les compagnies aériennes…  »

Ne dites plus d’ailleurs ni «  contrôler  » ni même «  vérifier  », mais «  concorder  ». Dans un dossier consacré aux restrictions de libertés, c’est ce que l’on apprend à la lecture d’un reportage de Mediapart sur le vote du projet de loi à l’Assemblée nationale. Interpellé sur une possible société d’auto-contrôle, Olivier Véran «  a fini par perdre ses nerfs  », relatent Mathilde Goanec et IIyes Ramdani, et lance aux députés  : «  Quand vous allez rentrer dans vos circonscriptions, l’hôtesse dans l’avion va faire une concordance d’identité. Je vous conseille de lui dire qu’elle se prête à la grande société esclavagiste à la sauce Orwell et d’observer sa réaction.  »

Des arguments, il en trouvera dans Les Échos, qui s’intéresse à l’instauration du passe pour les plus de 12 ans, prochain sésame pour accéder notamment aux activités de loisirs. Ce problème est soulevé par la défenseure des droits, Claire Hédon, qui émet des réserves. «  Selon elle, écrit Joël Cossardeaux, ce texte accentue “encore un peu plus le rétrécissement progressif des libertés” et prévoit “une obligation vaccinale déguisée” alors que “la question de la nécessité et de la proportionnalité du passe vaccinal se pose”.  » Dans le même article, c’est un autre signal d’alarme qui est lancé par Claire Hédon  : l’adoption probable d’un passe contraire, pour elle, «  à l’intérêt supérieur de l’enfant  ».

Christine Labbe

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