Oit : la France a ratifié la 190e Convention contre la violence et le harcèlement au travail

Parce que le droit ne protège pas suffisamment les victimes, notamment de violences sexistes et sexuelles, la France doit beaucoup mieux faire.

Édition 032 de mi-juin 2023 [Sommaire]

Temps de lecture : 3 minutes

Options - Le journal de l’Ugict-CGT
En 2019, les grèves et manifestations féministes ont rassemblé plus de 40000 personnes à Lausanne. © Valentin Flauraud / Epa / Newscom / Maxppp

Après l’Espagne, la Grèce, l’Irlande ou l’Italie, la France a enfin ratifié officiellement, le 12 avril, la 190e Convention de l’Organisation internationale du travail (Oit) contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail. Alors que 26 pays dans le monde l’avaient déjà fait, elle aura mis plusieurs années à concrétiser ses engagements, le texte – juridiquement contraignant – ayant été voté lors la Conférence du centenaire de l’Oit, en juin 2019.

C’est «  une nouvelle avancée dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles  », se félicite la Cgt. La Convention reconnaît expressément le droit de toute personne à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement – une première en droit international – et énonce l’obligation de respecter, promouvoir et réaliser ce droit. Jusqu’au bout de la négociation pourtant, les organisations d’employeurs n’avaient pas ménagé leurs efforts pour imposer une simple recommandation, et non une convention normative.

Une convention englobant toutes et tous les travailleurs

Sa conclusion à Genève, deux jours après l’organisation d’une grève des femmes dans toute la Suisse, avait été saluée par Sophie Binet, alors membre de la délégation Cgt qui représentait les travailleurs français, parlant d’une «  magnifique victoire du syndicalisme international  ». Si la Convention traite de la «  violence et du harcèlement dans le monde du travail  » et non des violences sexistes et sexuelles, elle identifie bien les violences fondées sur le genre et y accorde un traitement spécifique.

C’est sur la question des définitions que les débats avaient été les plus âpres, les représentants des employeurs cherchant à limiter leurs responsabilités. D’abord en voulant circonscrire la définition de «  travailleur  » à celle de «  salarié  », alors que 60  % des travailleurs du monde sont sans contrat de travail et relèvent de l’économie informelle. Échec  : l’article 2 de la convention, qui définit l’ensemble des personnes protégées, couvre bien l’ensemble des travailleurs et des travailleuses, quel que soit leur statut  : salariés, privés d’emploi, stagiaires, apprentis, bénévoles de l’économie formelle comme informelle…

Manœuvres patronales déjouées

Les même représentants ont ensuite voulu intégrer les employeurs à la liste des personnes protégées. Dans la mesure où la convention indique que les violences peuvent avoir un impact économique, il y avait «  derrière cet amendement la volonté de remettre en cause le droit de grève en faisant passer celle-ci, du fait des dommages économiques potentiels, pour une violence contre les employeurs  », expliquait la délégation Cgt. Au final, le texte ajoute à la liste des victimes potentielles les «  individus exerçant les pouvoirs, fonctions ou responsabilités d’un employeur  ».

Mais avec cette rédaction ciblant les «  individus  », il n’est pas possible d’interpréter comme une violence le préjudice économique dû à une grève, analyse encore la Cgt. Qui voit, dans cette convention, un autre apport essentiel  : son application non pas aux lieux de travail stricto sensu mais au monde du travail dans son ensemble. Elle y intègre les lieux de repas, les vestiaires et sanitaires, le logement fourni par l’employeur, s’appliquera durant les déplacements professionnels ou les trajets entre le lieu de travail et le domicile.

Quelle prise en compte des violences conjugales ?

Les représentants des employeurs ont enfin eu pour stratégie d’affaiblir la recommandation associée, dont l’objet est de donner un contenu concret aux dispositions de la convention. Le plus ciblé a été l’article 18, destiné à protéger le droit au travail des femmes victimes de violences conjugales par une série de mesures  : congés payés, comme en Nouvelle-Zélande ou au Canada, droit à la mobilité géographique ou à des aménagements d’horaires, protection temporaire contre le licenciement… Face à l’intransigeance patronale, une nouvelle rédaction avait été adoptée, parlant de «  mesures appropriées qui pourraient être mises en place  », parmi lesquelles un droit à congés – sans que le mot «  payés  » soit cité –, des mesures temporaires d’aménagement du travail et de protection des victimes – sans autre précision – ainsi qu’une mesure limitée de protection contre le licenciement.

Il faut donc aller plus loin. C’est le sens de la réaction de la Cgt à cette ratification  : la France doit faire mieux et s’aligner sur les meilleures législations du monde, la loi restant insuffisante pour protéger les victimes. De ce point de vue, l’exemple espagnol est marquant  : désormais, les victimes de violences domestiques y ont un droit à la mobilité géographique et au changement de lieu de travail, à l’accès à la retraite anticipée ou encore, dans certains cas, à la nullité de leur licenciement.