La mobilisation de la société civile a été décisive pour que la loi dite sapin 2 soit pionnière en matière de protection pour les lanceurs et lanceuses d’alerte. Aujourd’hui, dans une lettre ouverte, une cinquantaine de syndicats, d’associations et de sociétés de journalistes saisissent le président de la République afin d’être associés au processus de sa transcription.
L’émergence du phénomène des lanceurs d’alerte a soulevé la question de leur protection et plus spécifiquement celle de la définition d’un cadre légal précisant cette protection. De fait, jusqu’à la loi du 9 décembre 2016, les salariés en cause ne bénéficient d’aucun statut général qui leur soit propre. Dans quelques secteurs spécifiques, ils sont protégés par des dispositifs concernant les signalements de faits de corruption, d’atteintes à l’environnement ou à la santé publique. Mais ces dispositifs sont faibles : ils doivent être faits « de bonne foi », ne garantissent aucune égalité de traitement en fonction de la nature des contrats de travail. La dimension prise par le phénomène et ses révélations, les enjeux soulevés, manifestement d’intérêt général et souvent liés à une dimension de corruption – ainsi que les mobilisations d’acteurs de la société civile – ont poussé les pouvoirs publics à accepter de faire bouger les lignes. C’est ainsi que le Conseil d’État recommanda, dans une étude publiée en avril 2016, « Le droit d’alerte : signaler, traiter, protéger », la légalisation d’un socle de dispositions communes applicables à tous les lanceurs d’alerte. Ce sera la loi dite Sapin 2.
La loi Sapin 2 est porteuse de sécurité et de garanties. Mais…
Cette loi du 9 décembre 2016 crée un socle protecteur unique, tout en précisant l’articulation entre les dispositions relatives au droit d’alerte et les secrets pénalement protégés. Elle définit le lanceur d’alerte comme toute personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un fait dont il a eu personnellement connaissance et qui constitue notamment un crime ou un délit, une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général ou une violation grave et manifeste d’un engagement international.
Corrélativement, elle instaure une procédure de signalement d’alerte en cascade. Le lanceur d’alerte doit signaler le problème en question, en premier lieu, à son supérieur hiérarchique ou à un référent désigné par lui. Puis, en fonction des suites qui sont, ou non, données, l’alerte peut être signalée auprès de l’autorité judiciaire ou administrative ou, le cas échéant, aux ordres professionnels. Ce n’est qu’en tout dernier recours que l’alerte peut être rendue publique. Un salarié peut également saisir le Défenseur des droits, qui ne traitera pas l’alerte mais peut orienter son lanceur.
L’une des grandes avancées de cette loi est qu’elle permet toujours, sous certaines conditions, la violation du secret professionnel, et fait bénéficier le lanceur d’alerte d’une protection contre les représailles professionnelles. Elle sécurise la protection de son identité et sanctionne sa divulgation. Sur le plan international, il s’agit d’une législation pionnière, et ce caractère est largement dû à la mobilisation unitaire dans laquelle se sont combinées les compétences multiples d’associations de défense des droits, d’organisations syndicales, de sociétés de journalistes. Reste qu’elle a ses limites.
La transcription de la directive offre la possibilité d’aller plus loin
Ses acquis et ses équilibres ont permis d’obtenir l’adoption, en octobre, de la première directive européenne en faveur des lanceurs d’alerte. Cette directive reprend l’essentiel des avancées de la loi française, mais offre également une opportunité de pallier ses limites et de l’amender. Elle comporte une « clause de non-régression », qui garantit l’objectif démocratique de renforcement de la protection des lanceurs d’alerte lors de sa transposition. Aujourd’hui, la transcription de cette directive offre la possibilité d’améliorer Sapin 2 et d’aller plus loin. Ce processus de transcription en droit français va prendre deux ans maximum. Les différentes structures actrices qui se sont mobilisées en amont de Sapin 2 ont donc saisi, par voie de lettre ouverte, le président de la République pour être partie prenante de la transposition, ce qui suppose d’y être associées en amont. Elles soulignent que la transposition d’une directive est un exercice de mise en œuvre politique autant que juridique. Dans ce cadre, elles mettent l’accent sur plusieurs points, évoqués ci-après.
En premier lieu et comme la directive le préconise, il convient de préserver les avancées de la Loi Sapin 2, et notamment une définition large du lanceur d’alerte, qui inclut le signalement des violations du droit et les menaces ou préjudices graves pour l’intérêt général. La loi Sapin 2 a permis de simplifier un mille-feuille juridique complexe et incohérent, avec des droits d’alerte variant en fonction du domaine concerné ; nous tenons à conserver le champ matériel global de la loi Sapin 2, ainsi qu’une législation protégeant tous les lanceurs d’alerte, que leur alerte s’inscrive ou non dans le cadre professionnel.
Le législateur européen a tenu à aller plus loin que la loi française sur plusieurs aspects, et la directive commande de revoir notre droit national sur plusieurs points déterminants. D’abord la mise en place d’une procédure d’alerte à deux paliers au lieu de trois en France, permettant aux lanceurs d’alerte de choisir soit le dispositif de leur entreprise/administration soit une autorité externe – judiciaire ou administrative, nationale ou européenne. Des délais précis sont instaurés pour traiter l’alerte, et les possibilités de révélation publique sont élargies en cas de risques de représailles, de destruction de preuves ou de conflits d’intérêts de l’autorité externe.
Cinquante organisations saisissent le président de la République
Les critères pour être reconnu et protégé comme lanceur d’alerte sont clarifiés, avec l’exigence d’être « de bonne foi » et de respecter la procédure d’alerte. Les critères subjectifs créateurs d’insécurité juridique – la nécessité d’être désintéressé et d’avoir une connaissance personnelle des faits révélés – sont écartés. Nos organisations considèrent qu’il s’agit d’une avancée, dès lors que demeure formellement exclue la rémunération des lanceurs d’alerte.
La directive conforte l’exercice plein et entier du droit syndical, et notamment le droit de tout travailleur à être défendu et accompagné par un représentant du personnel ou par un syndicat dans le cadre de cette procédure d’alerte. Elle y ajoute la possibilité, pour le lanceur d’alerte, d’être accompagné par un « facilitateur », collègue, élu ou encore organisation syndicale, qui pourra alors bénéficier des mêmes protections que le lanceur d’alerte. Enfin, elle prévoit, outre la réparation intégrale des dommages et l’aménagement de la charge de la preuve, un renforcement de la protection des lanceurs d’alerte, avec le droit d’accéder à une assistance juridique indépendante et gratuite et la création d’une nouvelle sanction pour les auteurs de représailles.
Pour faire de la France une référence internationale sur le sujet et achever la rationalisation et l’effectivité de la législation française, les signataires souhaitent que la transposition de la directive soit aussi l’occasion d’intégrer les préconisations du Conseil de l’Europe (Conseil de l’Europe, résolution 2300 (2019), rapporteur M. Sylvain Waserman). Ils proposent notamment que le statut de lanceur d’alerte soit élargi aux personnes morales, de façon à favoriser le « portage d’alerte » dans le but d’éviter d’exposer des individus fragilisés et isolés. Il leur semble également nécessaire que la définition du facilitateur soit étendue aux Ong dont la mission est l’alerte éthique, de façon à pouvoir conseiller et accompagner les lanceurs d’alerte. Enfin ils préconisent le renforcement des missions et des moyens du Défenseur des droits, la création d’un fonds de soutien (abondé par les amendes) et l’octroi du droit d’asile aux lanceurs d’alerte.
Cette directive ouvre la possibilité de montrer une Europe qui protège les droits fondamentaux et garantit les libertés. C’est d’autant plus nécessaire que la mise en place du secret des affaires se traduit par un recul de l’information citoyenne sur l’activité des entreprises et des institutions, à l’image de l’affaire « implant files », dans laquelle des journalistes du Monde se sont vu refuser l’accès à des documents administratifs ayant trait à la santé publique au motif du secret des affaires. La transposition de cette directive est une opportunité pour construire un État exemplaire, qui lutte activement contre la corruption et toute atteinte à l’intérêt général, en garantissant aux citoyens les droits et moyens de s’informer et d’agir.
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