Raphaël Halet enfin reconnu comme lanceur d’alerte (LuxLeaks) par la justice européenne

Dans un récent arrêt faisant jurisprudence, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que l’État luxembourgeois avait violé la liberté d’expression de ce salarié, dans le cadre des révélations sur le rôle du grand-duché dans l’évasion fiscale.

Édition 027 de mi-mars 2023 [Sommaire]

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Raphaël Halet devant le tribunal de Metz en janvier 2018. © Photo Pqr/ Le Républicain Lorrain / Maxppp

Pour Raphaël Halet, c’est la fin d’un long combat judiciaire. Le 14 février, la Cour européenne des droits de l’homme (Cedh) a définitivement reconnu le statut de lanceur d’alerte à cet ancien salarié de PricewaterhouseCoopers.

Tout commence en 2012 lorsque Raphaël Halet prend conscience de l’ampleur de l’«  optimisation fiscale  » orchestrée pour ses riches clients par ce cabinet d’audit et de conseil financier. Il prend alors contact avec le journaliste Édouard Perrin et lui communique des documents concernant plusieurs multinationales. Ces pièces, avec celles d’un autre lanceur d’alerte, Antoine Deltour, vont faire éclater le scandale LuxLeaks.

La Grande Chambre est revenue sur un arrêt antérieur

En 2015, Raphaël Halet est inculpé par la justice luxembourgeoise pour vol, violation du secret des affaires et blanchiment. Il est ensuite condamné à douze mois de prison avec sursis et à 1 500 euros d’amende. En 2017, en appel, il est acquitté du chef de violation du secret professionnel, mais est condamné malgré tout à une amende de 1 000 euros et à 1 euro de dommages et intérêts. Une décision confirmée en 2018 par la Cour de cassation du Luxembourg puis par un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme en 2021. La juridiction européenne considérait alors que les révélations de Raphaël Halet n’étaient ni nouvelles, ni essentielles par rapport à celles d’Antoine Deltour.

Or, le 14 février 2023, la Grande Chambre de la Cedh a contredit l’arrêt de 2021 et a complètement disculpé le lanceur d’alerte. La Cedh a ainsi conforté Raphaël Halet dans son droit et sa liberté d’expression. Elle a aussi condamné le Luxembourg à lui verser des dommages et intérêt à hauteur de 15 000 euros pour le préjudice moral, et de 40 000 euros pour les frais de justice.

Une clarification de ce qui relève de l’intérêt public

Cette décision de justice est importante. Elle précise comment le juge européen doit apprécier la protection des lanceurs d’alerte, et crée une jurisprudence nouvelle, remplaçant celle de 2008. Il n’est plus nécessaire de révéler des informations essentielles, nouvelles et inconnues. Il s’agissait d’un argument défendu par la Maison des lanceurs d’alerte  : une alerte peut perdurer dans le temps, et une continuité d’information tant que l’alerte n’est pas traitée peut être nécessaire.

«  La Cedh a considéré que l’État luxembourgeois violait la liberté d’expression de monsieur Halet  », déchiffre Juliette Alibert, avocate de la Maison des lanceurs d’alerte.

La Grande Chambre a clarifié un point crucial  : divulguer des informations sur des actes répréhensibles mais pas forcément illégaux – c’est le cas de l’«  optimisation fiscale  » – relève bien de l’intérêt public, au même titre que la révélation d’agissements illicites. La cour pousse même ce raisonnement plus loin en y incluant les informations pouvant susciter un débat ou donner lieu à une controverse.

Concernant le préjudice  : jusqu’à présent, seul celui causé à l’entreprise visée par la divulgation d’information était pris en compte. Dorénavant, il est mis en balance avec le préjudice fait à l’intérêt public, révélé par les informations divulguées.

«  La lumière existe au bout du tunnel  »

Cet arrêt de la Cedh renforce le statut de lanceur d’alerte sur le territoire européen. Pour autant, il ne faut pas sous-estimer l’épreuve que représente la divulgation d’informations aussi sensibles. «  Toutes les composantes de la vie personnelle et professionnelle sont impactées. C’est un parcours de longue haleine, avec des désillusions et des difficultés, mais la lumière existe au bout du tunnel  », rassure l’avocate.

En France, le droit est suffisamment protecteur. Dans une procédure judiciaire, un lanceur d’alerte français n’aura normalement pas besoin d’utiliser la jurisprudence du cas Halet. Mais s’il va jusqu’en Cour de cassation ou devant le Conseil d’État et qu’il n’est toujours pas reconnu comme lanceur d’alerte, il pourrait utiliser cette jurisprudence européenne pour mettre en cause l’État français.

Agir contre les procédures bâillons

Actuellement, cinq à dix années de procédure judiciaire sont nécessaires pour être reconnu comme lanceur d’alerte. Et les salariés peuvent subir des représailles, notamment des attaques en justice pour diffamation, ou violation du secret des affaires, moins pour gagner que pour décourager celles et ceux ayant en leur possession des informations sensibles. «  Ce sont des procédures-bâillons, pour faire taire le lanceur d’alerte en l’épuisant financièrement  », souligne Juliette Alibert, qui appelle le législateur à s’y attaquer. Un débat émerge actuellement sur l’opportunité d’une directive européenne.

Cela renforcerait la loi Waserman, qui protège les lanceurs d’alerte en permettant au juge de sanctionner l’entreprise s’il considère abusive son attaque en justice. «  Il s’agirait d’un grand pas pour une meilleure protection de la liberté d’expression, estime l’avocate. Les lanceurs d’alertes, les associations, les militants, les syndicats, et les journalistes pourraient en bénéficier.  »