Retraites : les mesures d’âge, un espace de développement pour la capitalisation

Avec l’effondrement des taux de remplacement, il faudrait individuellement économiser l’équivalent de deux mois de salaire par an, pendant plusieurs décennies, pour s’assurer une retraite digne. Qui le peut ?

Édition 024 de fin janvier 2023 [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Sociétés d’assurance et fonds de pension ciblent les jeunes diplômés, dès le début de leur carrière.

« Un peu de capitalisation, ça ne peut pas faire de mal. » C’est en substance, le discours politique qui traverse en sous-texte tous les projets de réforme des retraites. Celle présentée en conseil des ministres le 23 janvier n’y déroge pas. Report de l’âge légal (64 ans en 2030) et accélération du calendrier Touraine d’allongement de la durée de cotisation pour atteindre le taux plein (172 trimestres dès 2027) : en cumulant ces deux mesures d’âge, le gouvernement, après avoir ciblé les cadres à hauts revenus dans le projet avorté de 2019 et créé la même année le Plan d’épargne retraite (Per), ouvre un nouvel espace pour l’épargne retraite, dont le développement serait trop lent à ses yeux. En s’établissant à 7 milliards d’euros en 2020, selon les données publiées par la Drees, le montant des prestations versées au titre de contrats de retraite dite « supplémentaire » n’augmente que légèrement. Si bien que la place qu’ils occupent dans l’ensemble des régimes de retraite est qualifiée de « marginale » par la Drees.

Dans la plupart des pays de l’Ocde, la baisse programmée des taux de remplacement des pensions publiques s’est accompagnée d’un essor de la capitalisation. Dans ses dernières Perspectives sur les pensions 2022, l’organisation s’en félicite d’ailleurs, au motif d’une « nécessaire diversification des sources de financement des retraites ». Pour les futurs retraités, c’est au contraire une source de grande désillusion : un individu voulant percevoir une rente de 1 000 euros par mois à partir de 60 ans devra avoir constitué un capital de 300 000 euros.

Pour compenser une baisse de dix points du taux de remplacement, il faudrait épargner un mois de salaire, chaque année, ce pendant trente ans… « Sauf que les taux de remplacement ne se sont pas effondrés de 10, mais de 20 points, singulièrement pour les ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise. Cela représente 16 % du salaire annuel, soit l’équivalent de deux mois de salaire », alertait Sylvie Durand, secrétaire nationale de l’Ugict-Cgt lors des dernières Rencontres d’Options consacrées aux retraites. Indépendamment du choc inflationniste, qui peut se le permettre ?

Des jeunes diplômés ciblés par les sociétés d’assurance

Parmi ces futurs retraités : les jeunes diplômés, mobilisés lors de la dernière journée interprofessionnelle de grèves et de manifestation. Ceux réunis au sein du collectif Ugict-Cgt, ont fait les comptes : « Cela signifie que pour atteindre le taux plein et le meilleur niveau de vie de retraite, il faudra avoir travaillé quarante-trois ans après notre diplôme : jusqu’à 64 ans après un bac + 3 et 67 ans avec un bac + 5. Ni les années d’études, ni les années de chômage que nous subissons avant le premier emploi ne sont pris en compte dans les cotisations », écrivent-ils.

Le sentiment que leurs retraites seront moins élevées que celles de leurs aînés est prégnant  ; la confiance vis-à-vis du système par répartition s’érode, fragilisé en retour par l’essor de l’épargne retraite qui affecte les négociations salariales et la structure même des rémunérations. Déjà, préviennent ces jeunes diplômés, «  les sociétés d’assurance et les fonds de pension l’ont bien compris et nous ciblent dès nos débuts de carrière pour que nous ayons recours à leur système de retraite par capitalisation  ».

Cotisations définies, prestations aléatoires

Pour quels risques  ? Sabine Montagne, directrice de recherche au Cnrs, sociologue à l’université Paris-Dauphine, a travaillé sur les deux arguments utilisés par les promoteurs de la capitalisation pour en justifier le caractère, selon eux, incontournable.

Premier argument  : elle assure la sécurité de la retraite des individus  : «  Dans la réalité, explique-t-elle, les épargnants versent une cotisation et c’est la seule dimension connue du processus. Si les placements tournent mal, ils sont les seuls à subir les risques  : c’est l’illustration d’un système à cotisations et non à prestations définies.  » Dans ce système, ce sont les droits et les prestations qui s’ajustent pour assurer l’équilibre financier.

Dans tous les cas, les gestionnaires d’actifs ne sont pas tenus pour responsables d’une baisse des prestations, dès lors qu’ils ont respecté les règles de leur profession. L’évaporation de l’épargne retraite ne peut donc être imputée aux comportements collectifs qui en sont pourtant la cause. C’est, souligne-t-elle, «  la structure fondamentale du système de capitalisation, quelles que soient les différences institutionnelles entre les pays  ». Aux États-Unis, cette évaporation inexorable de l’épargne a contraint un tiers des retraités américains à reprendre le travail  ; parmi les actifs, ils sont aussi un tiers à ne pas pouvoir prévoir le moment de leur départ en retraite.

Frénésie boursière

Second argument  : la capitalisation permet le financement de l’économie productive. Or, non, la finance ne transforme pas l’épargne des ménages en capital productif. Et non, l’épargne retraite ne permet pas de projeter, structurellement, les choix d’investissements sur un horizon long. Sabine Montagne explique  : «  Ce que nous pouvons observer, c’est une circulation monétaire et boursière effrénée, au profit des seuls actionnaires, servis avant tous les autres.  » Cela induit une pression sur les entreprises et un sous-investissement chronique de la recherche et développement.

«  Ceux qui vivent seulement de leur salaire n’ont donc rien à attendre de la capitalisation  », affirme Sylvie Durand, en alertant  : «  Tous les systèmes d’épargne de retraite sont en effet susceptibles de faire faillite ou de perdre leurs avoirs à l’occasion des crises et des aléas boursiers.  » Contrairement à ce qu’affirme le gouvernement, ce n’est pas le cas des systèmes par réparation. Financés par les cotisations sur les salaires, ils ne peuvent pas, par construction, se retrouver en cessation de paiement.