Si la crise sanitaire a mis en exergue les conséquences d’un exercice professionnel dégradé, elle n’en a pas encore tiré les conclusions. Paroles de praticiens.
C’était il y a un an. Les psychologues du travail avaient dû, eux aussi, quitter leur service pour se confiner et exercer à distance. L’analyse concrète du travail et de ses conditions d’exercice était repoussée à plus tard. La pandémie faisait rage. « Le discours de guerre » avait pris le pas sur tout le reste. N’avait plus droit de citer que le traumatisme individuel engendré par un ennemi supposé, comme le dit Frédéric Conti, président de Penser ensemble le travail, l’une leurs associations.
Douze mois ont passé. Le virus est toujours là, et jamais la détresse psychologique des salariés n’a été aussi scrutée. Selon le dernier baromètre OpinionWay sur la santé au travail, elle touche désormais la moitié des effectifs. Mais qu’en conclure ? Que les psychologues du travail vont y gagner en reconnaissance ? Qu’ils vont parvenir à faire entendre leur voix – une voix au service d’une meilleure prise en compte des « affects » au travail ? Ces affects sont une « ressource » indispensable pour travailler avec les autres, parce qu’ils permettent de ressentir, et donc de comprendre une situation, ainsi que l’explique Christian Châtellier, praticien au conseil départemental du Val-de-Marne.
Création de plateformes de télépsychologie
Incontestablement, le confinement et son corollaire, la généralisation du télétravail, ont permis d’interroger les conditions pour bien travailler. Une interrogation que la psychologie clinique du travail place au cœur de ses interventions. Cette spécialité est celle qui aide à comprendre, autrement que ne le font les ergonomes, les effets délétères engendrés par la disparition des échanges informels, « ces moments brefs mais essentiels qui nous font ressentir que l’on ne travaille jamais seul, et contribuent à nous aider à penser. Autrement dit, à affronter les problèmes du quotidien ». En reconnaissant les difficultés engendrées par le travail à distance, les employeurs en prennent acte. Mais il n’est pas sûr qu’ils en tirent toutes les conséquences.
Au printemps 2020, plusieurs plateformes de télépsychologie ont été créées. Destinées d’abord et avant tout aux professionnels de santé, ces cellules d’écoute étaient accessibles 7 jours sur 7 et de 8 heures à minuit aux autres salariés, laissant supposer qu’il est possible de dépasser en une écoute la tourmente dans laquelle le télétravail les avait plongés. Cette forme de prise en charge pourrait s’imposer demain.
Risque de « déprofessionalisation de l’écoute »
Dans une lettre adressée en avril dernier au Premier ministre et au ministre de la Santé, les plus grandes associations professionnelles de psychologues du travail n’ont pas seulement dénoncé le bénévolat exigé de leurs collègues se proposant d’exercer sur ces plateformes d’écoute – un statut niant, à leurs yeux, leur travail et leur qualification, et passant un peu trop vite sous silence le manque criant de moyens alloués au service public de santé –, elles ont aussi souligné les risques que faisait craindre une telle initiative quant à une « déprofessionalisation de l’écoute » : la réduction de sa fonction à une « problématique individuelle, intime, décontextualisée de la situation de travail », comme l’a précisé l’association Penser ensemble le travail.
Ce que le bénévolat pourrait signifier
Nul ne le contestera : en ce printemps 2021, la santé psychique au travail est une question reconnue de tous. Mais cela ne suffit pas à rassurer ses intervenants. Comme le souligne l’une des leurs, Sylvaine Perragin, dans un livre paru en 2019, la souffrance au travail est devenue un « business » lucratif. De 2017 à 2019, c’est-à-dire avant même que la crise sanitaire n’advienne, le marché du conseil en la matière a crû de 10,5 %. Par ses solutions toutes faites pour troquer stress, mal-être et souffrance au travail contre « bien-être » et « bonheur » pour tous, il séduit de plus en plus de responsables du personnel. Et le phénomène pourrait encore s’aggraver.
La facilité est toujours plus tentante que la complexité, se centrer sur les individus plus facile que se pencher sur les « causalités relatives à l’organisation du travail », explique son auteur. La psychologie du travail s’annonce-t-elle comme « la prochaine martingale » sur laquelle pourraient se jeter les entreprises pour colmater les brèches sans renoncer en rien à leur folle course à la performance ? C’est la crainte de Frédéric Conti. Mais le pire n’est pas certain. Comme l’épidémie a démontré que l’on ne peut jamais tout prévoir, ajoute-t-il, elle pourrait prouver l’importance de la prise en compte du travail aussi bien pour l’individu que pour la société. Démontrer que « l’optimum est bien préférable au maximum ».
Martine Hassoun
Une charte pour les plateformes de téléconsultation
Pour défendre ses adhérents, leur profession et leur déontologie, le Syndicat national des psychologues et la Fédération française des psychologues et de psychologie ont rédigé, aux premiers jours de la pandémie, une charte encadrant le travail sur les plateformes de téléconsultation. Un document qui engage l’ensemble des acteurs, qu’ils soient responsables de sites ou professionnels, et qui fixe les conditions d’une prise en charge.
L’expérience et la qualification des personnels mobilisés y sont exigées ainsi que la confidentialité de la relation assurée aux personnes écoutées, personnes qui ne peuvent être entendues qu’à condition d’avoir donné leur consentement, est-il précisé.
Rappel y est fait aussi de la nécessité de garantir des conditions de travail décentes aux psychologues. Formation préalable à l’outil numérique et espace privé doivent leur être garantis.
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