Santé : les infirmières anesthésistes bataillent pour le maintien de leur profession

Derrière leur revendication, les infirmières et infirmiers anesthésistes diplômés d’État (Iade) défendent le maintien d’une prise en charge hospitalière exigeante, par des professionnels suffisamment formés. À contre courant d’une politique de transfert des prérogatives médicales vers le paramédical.

Édition 033 de fin juin 2023 [Sommaire]

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À nouveau mobilisés, les infirmières et infirmiers anesthésistes, toujours aussi indispensables, mais toujours pas reconnus dans la spécificité de leurs qualifications et de leur travail. DR

À l’intersection des avenues Duquesne et Ségur, à Paris, des anonymes commencent à se rassembler depuis 11 heures. Ils enfilent leurs blouses médicales bleues. De l’autre côté du carrefour, une rangée bien serrée de camions de Crs barre l’accès à la rue du ministère de la Santé et de la Prévention. Ce dispositif d’«  accueil  » semble bien disproportionné face à la cinquantaine d’infirmières et infirmiers anesthésistes diplômés d’État (Iade) qui ont fait le déplacement en ce jour de grève, le 12 juin.

Histoire de donner la tonalité, le cabinet du ministre leur demande, vers midi, de réduire leur délégation de six à cinq personnes. Une mesquinerie qui empêche une représentation exhaustive de l’ensemble des collectifs régionaux d’Iade, pourtant à la base du mouvement. «  Avec 50  % des salles d’opération fermées à l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille, quatre sur six à Manosque, huit sur une dizaine à Aix et à Martigues, on est en mode week-end, énumère Pauline Larouze, Iade à l’hôpital nord de Marseille, animatrice du collectif des Iade de Paca et coanimatrice du collectif national Iade Cgt. Tout le monde ne peut pas faire le déplacement à Paris, mais l’appel à la grève est bien suivi dans ma région.  » Du moins parmi ceux qui ont eu le choix  : les établissements procèdent en effet de plus en plus à des assignations pour empêcher les soignants de faire grève.

Une profession paramédicale indispensable

«  C’est bien la preuve que l’on a besoin de nous  !  » s’exclame Amina, infirmière anesthésiste depuis 2007, venue de l’hôpital Cochin, à Paris, pour défendre la profession et, précise-t-elle, une certaine exigence pour la qualité des soins à l’hôpital public. «  Si on n’est là que pour “pousser du blanc” [référence à l’injection des produits anesthésiants], comme disent certains médecins pour nous rabaisser, pourquoi n’ouvrent-ils pas les blocs sans nous  ?  » interroge-t-elle, ironique. «  Ils savent très bien que nous sommes indispensables dans les blocs, en binôme avec les médecins anesthésistes  ».

C’est là toute la spécificité de cette profession. «  Nous sommes formés dans quatre domaines de compétences, développe Éric Vaast, infirmier anesthésiste au Havre et formateur. Le bloc opératoire, les services de secours (Smur, Samu), les urgences et la prise en charge de la douleur. Une fois que le médecin a vu le patient, défini les objectifs et la stratégie de prise en charge, nous savons quoi faire et quel produit utiliser. Nous sommes autonomes.  » Les Iade sont les seuls professionnels paramédicaux à pouvoir procéder à un anesthésie générale ou au transport d’urgence des patients stables ventilés, intubés ou sédatés. «  Pendant la crise du Covid, on nous a mis dans les services d’urgence parce que nous sommes les seuls, avec les médecins, à pouvoir intuber des patients  », ajoute Amina. Cela multiplie les possibilités de prises en charge simultanées.

L’escroquerie du statut d’infirmier en pratique avancée (Ipa)

Mais les Iade craignent pour l’avenir de leur profession, dans un contexte où l’architecture juridique des professions de santé est remaniée. Depuis plusieurs années, ils réclament la reconnaissance statutaire de leurs spécificités  : le classement des quelque 11 000 Iade dans la catégorie des auxiliaires médicaux en pratique avancée (Ampa)  ; la sanctuarisation de leurs quatre champs de compétences  ; le maintien d’une formation hospitalo-universitaire au contenu réglementé, assurant une homogénéité de diplôme sur tout le territoire. Leur mobilisation avait conduit le ministre de la Santé – à l’époque Olivier Véran – à prendre des engagements, avançant même l’échéance de noël 2021.

Ces promesses sont cependant restées lettre morte tandis que le gouvernement a continué de déployer le statut d’infirmier en pratique avancée (Ipa). Créé en 2018 dans le domaine des pathologies chroniques, il a été étendu en 2019 à celui de la psychiatrie et santé mentale puis, en octobre 2021, au domaine des urgences. Vincent Porteous, sage-femme anesthésiste à Lille et coanimateur du collectif national Cgt des Iade au sein de l’Ufmict, explique  : «  La création des Ipa a un objectif assumé  : pallier le manque de médecins, à moindre coût, en transférant certaines prérogatives médicales vers ces infirmiers.  »

Dans certaines circonstances, définies par les textes, les Ipa pourront en effet réaliser des diagnostics et faire des prescriptions. «  Nous, nous ne souhaitons pas être fondus dans cette catégorie, insiste Vincent Porteous. Dans les faits, nous faisons de la prescription lorsque nous décidons du protocole d’anesthésie à mettre en place pour suivre la stratégie fixée par le médecin. Mais il est hors de question de suppléer les médecins dans la décision d’anesthésier un patient ou non.  » L’autre conséquence serait une modification de la formation qui, à l’instar de celle des Ipa, ne serait plus assurée en centre de formation hospitalo-universitaire mais à l’université.

Contre des formations au rabais

L’enjeu est de taille. «  La formation des Ipa est beaucoup moins longue et donc moins complète que notre formation de vingt-quatre mois à temps plein  », explique Thierry Patton, Iade à Ajaccio, membre du collectif régional corse et secrétaire général du syndicat Cgt du Chu Ajaccio. «  Les universités sont libres de fixer les critères d’accès mais aussi le contenu et la durée des enseignements. Cela aboutit à des formations hétérogènes pour un même diplôme  », regrette-t-il, tout en soulignant qu’évidemment, ces formations au rabais sont moins coûteuses pour les établissements.

La délégation reçue ce 12 juin par le cabinet du ministre, François Braun, a obtenu l’engagement d’une concertation, ouverte avant la mi-juillet, à laquelle les collectifs régionaux et le collectif Cgt des Iade seraient associés, ainsi que des représentants des médecins anesthésistes. Les Iade souhaitent aussi que les médecins urgentistes soient de la partie. «  On ne lâchera pas. Sinon, ce sera la mort de notre profession  ! lance Amina. Pour nos collègues, poursuit-elle en montrant une jeune camarade tout juste sortie de formation, et pour conserver une prise en charge de qualité en France.  » C’est vital.