Télétravail et productivité ne sont pas antinomiques, à condition que…

R.A.B. pour « Retour au bureau ». Depuis plusieurs mois, de grandes entreprises, à l’image de Zoom, battent le rappel de leurs salariés au motif d’une baisse de leur productivité à domicile. Si, sur cette question, trois études récentes divergent, elles s’accordent au moins sur un point : les effets négatifs du télétravail subi.

Édition 036 de fin septembre 2023 [Sommaire]

Temps de lecture : 3 minutes

Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Aux États-Unis, de nombreuses entreprises font pression pour un retour au bureau de leurs salariés. © AltoPress / Maxppp

Dans une étude de juillet 2023, le célèbre Institut de technologie du Massachusetts (Mit) dit avoir mesuré une baisse de la productivité chez les salariés qui travaillent depuis chez eux. Les chercheurs indiquent que cela se manifeste dès le premier jour de travail en distanciel, pour les deux tiers des sondés. Parce qu’il est propice à l’apprentissage – et donc à une efficacité accrue –, l’environnement de bureau proposerait un cadre de travail plus productif.

Cette baisse de productivité est chiffrée  : – 18  %, indique l’étude qui y voit l’effet non du télétravail en lui-même mais du télétravail «  subi  ». Cet effet serait de deux ordres. Le premier, dit «  de traitement  », renvoie à l’affaiblissement du collectif de travail par le manque d’interactions et l’éloignement de l’encadrement. Le second effet est dit «  de sélection  »  : tous les salariés, même productifs en présentiel, n’ont pas les mêmes conditions de travail à domicile, du fait notamment de contraintes familiales inégales ou de la surface des logements. Le lien entre télétravail et productivité pose ainsi la question du libre choix du salarié. Dans leurs conclusions, les chercheurs du Mit pointent l’importance, pour les directions d’entreprises, de saisir au mieux les profils des salariés afin de comprendre l’environnement qui leur est le plus propice.

Réduction des déplacements travail-domicile

Le Forum mondial de l’Ocde sur la productivité a publié une étude qui, de son côté, souligne l’impact « ambigu » du télétravail sur la productivité. Selon de précédentes enquêtes menées en centre d’appel, l’efficacité est liée au niveau de satisfaction exprimée les salariés : ce serait le critère décisif.

Relevant des indicateurs négatifs sur la productivité pendant la crise sanitaire – avec une baisse de 20  % à plus de 30  % dans des entreprises japonaises –, l’étude précise l’origine multifactorielle de cette diminution  : normes culturelles, management, limites technologiques, qualité de la connexion… Au-delà de cette période particulière, l’enquête de l’Ocde, menée dans 25 pays, affirme que le télétravail n’interdit pas une productivité élevée. Les dirigeants répondent, à plus de 60  %, qu’elle s’est accrue grâce au télétravail, au motif que les salariés sont « plus concentrés et commettent moins d’erreurs à domicile ». La flexibilité des heures de travail en distanciel est aussi une source de satisfaction pour les employés interrogés, sans compter la réduction des déplacements travail-domicile.

Télétravail subi ou choisi  ?

Ces avantages peuvent toutefois se transformer en inconvénients. Les tâches impliquant coordination et communication sont handicapées par le télétravail, qui réduit les interactions entre collègues. L’étude de l’Ocde illustre ainsi deux choses  : la nécessité de penser un télétravail qui convienne aux tâches à effectuer  ; la nécessité que ce télétravail soit choisi. Lorsque les travailleurs sont libres d’opter pour le télétravail, leur satisfaction et leur bien-être engendrent des gains de productivité.

L’Institut Ces-Ifo, réseau indépendant de chercheurs, a réalisé une étude sur le travail à domicile dans 34 pays, sur plus de 42 000 salariés à temps plein. En moyenne, le télétravail est pratiqué 0,7 jour par semaine. Avec 1,7 jour en moyenne, c’est au Canada que la durée de télétravail est la plus élevée ; elle chute à 0,4 % en Corée du Sud, en queue de peloton. En Europe, la France figure parmi les trois pays où la durée de télétravail est la plus faible, avec 0,6 jour par semaine. Un point commun à tous : partout, les salariés souhaitent plus de télétravail que ce que leur proposent leurs employeurs.

Décalage entre employeurs et salariés

Dans l’enquête menée par le Ces-Ifo en avril-mai 2023, 67  % des répondants salariés à temps plein étaient présents sur site cinq jours par semaine. À peine un quart avaient une organisation de travail hybride. Questionnés sur leurs souhaits, les réponses mettent en évidence un décalage avec les propositions des employeurs  : en moyenne, les salariés demandaient deux journées de télétravail par semaine quand leur employeur ne leur en proposait que la moitié (1,1 jour). Ce décalage est observé dans les 34 pays de l’étude. Autre décalage  : alors qu’ils sont 56  % à souhaiter télétravailler au moins une journée par semaine, dans la pratique, 46  % des répondants travaillent intégralement en présentiel.

À l’instar des études du Mit ou de l’Ocde, celle du Ces-Ifo met en évidence les gains de productivité dus aux temps de transports réduits et à la souplesse des horaires. Mais elle pointe aussi la trop faible prise en compte, par les employeurs, du souhait des salariés à télétravailler. La frustration engendrée par un refus, partiel ou total, du télétravail pourrait contribuer à démotiver les salariés dont les revendications ne sont pas entendues, et aboutir, in fine, à une baisse de leur productivité.