Responsabilité : l’épreuve de vérité

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Sans présence syndicale, la négociation salariale dans les entreprises est quasi absente. @Sigrid Olsson/AltoPress/Maxppp
Le développement du télétravail bouleverse moins le lien de subordination qu’il ne met au défi les organisations du travail, et avec elles, tous les acteurs de l’entreprise, de se réinventer. C’est le propos de Pascal Ughetto, professeur de sociologie à l’université Gustave-Eiffel de Marne-la-Vallée, chercheur au Laboratoire techniques, territoires et sociétés (Latts).

Au confinement et à son corollaire, le télétravail, on ne peut tout imputer. Et pour commencer, les réflexions en cours sur de nouveaux modes de management. Cela fait presque dix ans que les entreprises se penchent sur la transformation des relations hiérarchiques. Si le développement du numérique explique en partie leur volonté d’imaginer de nouvelles méthodes de travail, le développement des start-up et de la nouvelle culture managériale qui les caractérise joue largement aussi dans la diffusion de ce mouvement.

Depuis 2012-2013, les entreprises cherchent à valoriser ce mode de fonctionnement qu’elles estiment moins rigide et moins hiérarchique, plus tourné vers l’innovation et les circuits courts de décision. Modèle dont le concept d’entreprise libérée – libérée des chefs et de la hiérarchie – est sans doute l’illustration ultime. Rien de tout à fait nouveau donc dans le défi que porte cette nouvelle approche de la responsabilité et de l’autonomie qu’a engendrée le confinement.

Pas le choix : il faut faire confiance aux salariés

Seule question qui vaille : de quelle manière la généralisation du télétravail a-t-elle (où va-t-elle) amplifier le mouvement ? À cette interrogation, il n’est qu’une réponse certaine : la transformation du travail qui s’est imposée ces derniers mois a obligé les managers et, à travers eux, les directions d’entreprise, à accorder une confiance inédite aux salariés. L’accès, depuis le domicile, aux serveurs internes et aux logiciels de gestion, en est la preuve. Tout d’un coup, ce qui n’était ouvert qu’aux personnels habilités l’a été largement.

Bien sûr, en ce domaine comme en celui de la réalisation du travail quotidien, il a fallu recourir à des algorithmes de contrôle. Mais les faits sont là : le confinement a porté un coup à la fonction de surveillance qui était celle de l’encadrement intermédiaire. Il a accéléré le mouvement qui se dessinait depuis quelques années, d’une réinvention des relations entre les salariés et la hiérarchie.

Si faute il y a

Qu’en sera-t-il demain ? Une chose est sûre : si la personnalité de tel ou tel manager pourra continuer de peser en influant au quotidien sur les marges de manœuvre des collectifs de travail – et par là même influer sur le pouvoir d’agir reconnu aux personnels –, là n’est pas le cœur du problème. Le défi principal est de savoir si les organisations du travail vont parvenir à se transformer. Est-ce que les directions vont accepter de les façonner de telle façon qu’elles reconnaîtront la confiance à accorder aux salariés ? Ou est-ce que les espaces de décision ne vont rester limités et ouverts qu’à quelques-uns ?

Incontestablement, l’autonomie comporte des risques – des risques d’erreurs. Nul ne peut le nier. En télétravail ou en présentiel, à partir du moment où les individus, seuls, peuvent arbitrer, une erreur est toujours possible. Le risque est consubstantiel à l’autonomie. Dès lors, demain, quand une erreur surgira, les entreprises l’imputeront-elles à un individu et en feront-elles une faute ? Ou l’utiliseront-elles comme une opportunité pour améliorer les process de travail, les façons de faire circuler l’information et de prendre des décisions ? La réflexion, à condition qu’elle se mène aussi de manière horizontale, ne peut que parfaire les organisations.

Avec la transformation du travail qu’a induit le confinement surgit une épreuve de vérité. Les directions d’entreprise ne peuvent plus se contenter de mots. Si elles veulent vraiment transformer leur mode de fonctionnement vers davantage d’autonomie, elles peuvent avancer en ce sens. Il leur faudra accompagner leur management au rôle nouveau qu’elles lui indiquent : celui d’animateur, de facilitateur. Elles doivent l’aider à apprendre à se situer davantage dans l’analyse et le diagnostic. Cela demande des investissements. Mais le pari peut désormais passer de l’expérimentation à sa généralisation.

Propos recueillis par Martine Hassoun

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