La condamnation du système de harcèlement moral des années 2000 chez France Télécom intéresse le syndicalisme dans son entier. C’est la conviction de Christian Mathorel, à l’époque délégué syndical central Cgt dans l’entreprise.
Parce qu’il rompt avec le climat politique ambiant qui prétend inéluctables des mesures entièrement consacrées à la seule satisfaction des entreprises et désigne clairement la logique mortifère dans laquelle les privatisations ont plongé des centaines de milliers de salariés, le jugement rendu le 20 décembre dans l’affaire France Télécom est d’une valeur inestimable. Jamais une décision de justice n’avait condamné les plus hauts dirigeants d’une entreprise, qui plus est du Cac 40, sur ce motif : en aucun cas la fin économique ne peut justifier les moyens managériaux. La victoire qu’elle constitue doit faire jurisprudence et nous aider à faire de la souffrance au travail notre affaire.
Le courage et l’engagement déployés dans cette affaire, aussi bien par les professionnels de la médecine et par l’inspection du travail que par les avocats et les juges, ont été essentiels dans son issue. Mais celle-ci n’aurait jamais été possible si les syndicats n’avaient pas tenu toute leur place. Disons-le clairement, nous n’étions pas préparés à affronter cette crise.
« La question du travail était centrale »
Nous nous étions battus contre la privatisation de l’entreprise et avions dénoncé la perte de repères qu’elle signifiait dans la défense du service public. Mais la question du travail n’occupait pas une grande place dans notre activité. Or elle était centrale. Il nous a fallu comprendre, répondre au déni de la direction. Le travail des chercheurs et des sociologues, ainsi que des rencontres comme celle que nous avons eue avec Fabien Gâche, délégué syndical central chez Renault – entreprise également confrontée à une vague de suicides –, nous ont alors beaucoup aidés.
La mobilisation de notre réseau militant, aussi bien dans les établissements que dans les départements, a fait le reste. Il nous a permis de faire remonter à nos structures, aux élus Chsct décentralisés comme à ceux du comité national, les éléments nécessaires pour lancer, en 2007, un droit d’alerte et commencer à décrypter les logiques à l’œuvre visant à déplacer 10 000 salariés et à en faire partir 22 000 autres « par la porte » ou « par la fenêtre », selon les termes mêmes du président de l’entreprise, aujourd’hui condamné.
« La capacité de nos militants à écouter a été essentielle »
Par les témoignages qu’il nous apportait, il nous a donné l’occasion de mieux lier nos revendications sur la défense du service public à celles sur le travail ; de souligner les effets délétères de la course incessante aux profits dans la capacité de tout un chacun à bien travailler. Faculté sans laquelle, nous le vivions alors en direct, la souffrance éclate. La capacité de nos militants à écouter a été essentielle. Elle l’a été pour restaurer du collectif là où l’organisation du travail divisait et, par là même, pour aider les salariés à résister aux logiques pathogènes qui s’imposaient dans l’entreprise. Elle l’a été aussi pour contribuer à monter le dossier qui a permis que le procès France Télécom se tienne.
Nous n’avons pas encore décrypté les 300 pages du jugement qui en découle. Mais il est une certitude : nous devons nous en emparer. Ce document est une mine pour agir. Il démontre, point par point, l’illicéité des stratégies destinées à accroître la souffrance au travail pour mieux réduire les effectifs. Il consigne des dizaines de témoignages qui illustrent, l’un après l’autre, l’interdit posé par le législateur de politiques fondées sur le mépris, l’intimidation et la mise au banc. C’est un outil inestimable pour développer et mettre en œuvre la démarche revendicative qui est la nôtre au service du bien-être en entreprise.
Le numérique transforme profondément les emplois et le rapport au travail que chacun pourra y mettre. La perte de sens et les menaces qu’il fait peser sur la santé des salariés se précisent jour après jour. Nous ne pouvons pas rester sans nous mobiliser. Rendu en plein mouvement de lutte contre la réforme des retraites, ce jugement, pour l’heure, n’a pas encore eu l’écho qu’il méritait. Son contenu autant que sa genèse doivent devenir un outil pour tous. Un argument à mobiliser sans modération alors que la place, le rôle et le savoir d’institutions au service de la défense des conditions de travail comme les Chsct, les délégués du personnel ou l’inspection du travail, sont plus que jamais attaqués.
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