Chronique juridique -
Le harcèlement moral institutionnel
La Cour de cassation vient de clore, enfin, l’affaire France Télécom. En rejetant les pourvois, elle a confirmé l’arrêt de la cour d’appel de 2022, et validé la notion de « harcèlement moral institutionnel » qui avait provoqué une vague de suicides à la fin des années 2000.
Dans l’affaire France Télécom, les condamnations pénales pour l’infraction de harcèlement moral institutionnel des anciens dirigeants de la société, le Pdg et le directeur exécutif délégué, sont définitives. Les condamnations pénales pour complicité de deux cadres de direction le sont également.
Leurs pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 30 septembre 2022 les ayant condamnés ont été rejetés par la Cour de cassation. Dans un important arrêt qui fait jurisprudence, celle-ci valide la notion de harcèlement moral institutionnel, élaborée et mise en œuvre par le tribunal correctionnel de Paris en 2019 et par la cour d’appel de Paris en 2022.
Le texte applicable
Code pénal – article 222-33-2
Version actuelle : « Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »
Version lors des faits jugés :« Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
Jurisprudence
Pour la Cour de cassation (chambre criminelle, 21 janvier 2025, Lombard, Wenès et autres) :
la notion de harcèlement moral institutionnel entre dans les prévisions de l’article L.222-32-2 du Code pénal ;
le harcèlement moral institutionnel « participe d’une stratégie de gestion de l’ensemble du personnel ».
Peuvent caractériser « une situation de harcèlement moral institutionnel, les agissements visant à arrêter et mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel » (§ 41 de l’arrêt).
Ainsi, la notion de harcèlement moral institutionnel résultant de la mise en œuvre d’une politique d’entreprise ne constitue qu’une des modalités de harcèlement moral, infraction définie par l’article 222-33-2 du Code pénal « visant à protéger les membres de la communauté de travail de toutes les formes de harcèlement, quel qu’en soit le mode opératoire ».
Qui est concerné ?
Le harcèlement moral institutionnel peut concerner des personnes victimes qui ne sont pas nommément identifiées et ne sont pas en lien direct avec le dirigeant auteur de l’infraction.
Dans le Code pénal, article 222-33-2, « le terme “autrui” peut désigner, en l’absence de toute autre précision, un collectif de salariés non individuellement identifiés ».
Ainsi, « la Cour de cassation n’a jamais interprété l’infraction comme exigeant, dans toutes les situations, qu’un rapport de travail direct et individualisé entre la personne poursuivie pour harcèlement et sa ou ses victimes soit constaté, et que les agissements qui lui sont imputés soient identifiés salarié par salarié. Elle n’a pas davantage exclu que le harcèlement moral puisse revêtir une dimension collective. »
Par conséquent, « l’élément légal de l’infraction de harcèlement moral n’exige pas que les agissements répétés s’exercent à l’égard d’une victime déterminée ou dans le cadre de relations interpersonnelles entre leur auteur et la ou les victimes, pourvu que ces dernières fassent partie de la même communauté de travail et aient été susceptibles de subir ou aient subi les conséquences visées à l’article 222-33-2 du Code pénal » (cf. une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel).
Les dirigeants se voient reprocher l’infraction de harcèlement moral institutionnel « en raison non pas de leurs relations individuelles avec les salariés mais de la politique d’entreprise qu’ils ont conçue et mise en œuvre ».
La méthode utilisée
La méthode utilisée par les dirigeants pour mettre en œuvre leur politique d’entreprise excédait le pouvoir normal de direction et de contrôle du chef d’entreprise et portait atteinte aux droits et à la santé des travailleurs.
La politique de l’entreprise « qui reposait sur la création d’un climat anxiogène, s’est concrétisée par la mise en œuvre de trois agissements spécifiques : la pression donnée au contrôle des départs dans le suivi des effectifs à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique, la prise en compte des départs dans la rémunération des membres de l’encadrement et le conditionnement de la hiérarchie intermédiaire à la déflation des effectifs lors des formations dispensées. »
Ces agissements, « qui ont excédé très largement le pouvoir normal de direction et de contrôle du chef d’entreprise, se sont poursuivis et répétés au cours des deux années suivantes et qu’ils constituent, par leur nature même, autant d’agissements réitérés dont l’objet voulu était une dégradation des conditions de travail ».
La responsabilité pénale personnelle des dirigeants « repose, d’une part, sur la décision partagée de mener une telle politique de déflation des effectifs à marche forcée fondée sur les agissements harcelants », « d’autre part, sur une mise en œuvre coordonnée de cette politique et, enfin, sur un suivi vigilant pendant trois ans ».
« Les modalités utilisées, les “retombées en cascade” et le “ruissellement” sur les salariés de ces méthodes aux conséquences anxiogènes, sans égard pour leur sort, en dépit des alertes syndicales et en particulier de l’exercice par six syndicats d’un droit d’alerte en juillet 2007 pour “mise en danger de la santé des salariés”, ont constitué des agissements répétés étrangers au pouvoir de direction et de contrôle. »
Les dirigeants avaient connaissance « des effets négatifs du maintien de la méthode sur la santé des personnels du groupe et sur leurs conditions de travail, la dégradation de celles-ci étant illustrée de manière importante par différents rapports d’expertise qui ont mis en évidence une montée du stress, des tensions et du mal-être au travail, une dislocation/fragmentation des collectifs de travail en recomposition quasi permanente, des routines organisationnelles à se réapproprier, des états de détresse pour le personnel, des pertes de repères et une défaillance des systèmes de prévention des risques psychosociaux ».
L’intention de commettre l’infraction de harcèlement moral institutionnel
Les dirigeants au vu des « propos tenus », de « leur expérience professionnelle antérieure » et de « leur connaissance ancienne et approfondie de l’entreprise », « ont agi en connaissance de cause et avec lucidité, gardant le suivi de la politique de déflation et mesurant ses résultats ».
Ils « avaient connaissance des effets négatifs du maintien de la méthode adoptée sur la santé » des travailleurs et « sur leurs conditions de travail ».
Ils ont ignoré les alertes émanant des organisations syndicales, des élus du personnel, des experts, des médecins du travail, de l’inspection du travail et même des médias.
L’élément intentionnel du délit pour chacun des dirigeant est caractérisé.
La complicité de cadres de direction
Les « pressions diverses » exercées sur les travailleurs « n’ont pu prospérer que par des relais présents dans toutes les structures du groupe ».
Ainsi, « à la stratégie ferme définie par le Codirg s’est ajouté le suivisme des directions et services des ressources humaines dont les procédures et méthodes ont infusé dans toute la politique managériale ».
« L’assignation à tous les échelons hiérarchiques et notamment aux managers locaux d’objectifs de départs, avec des réunions organisées très fréquemment pour “mettre la pression”, a eu des conséquences dévastatrices en termes de harcèlement moral. »
Il a été « décidé volontairement de faciliter la commission de l’infraction reprochée, en connaissance de cause, en notifiant des objectifs de départ élevés aux directeurs territoriaux, et en prônant des méthodes de management harcelantes, ce, en diverses occasions, y compris lors de formations ».
Ainsi, ont été relevés « les éléments d’aide et d’assistance aux auteurs du harcèlement moral » (complicité de harcèlement moral à l’encontre de l’ensemble des salariés).
Les responsables
Les deux principaux dirigeants voient leurs condamnations pour l’infraction de harcèlement moral institutionnel (délit), prononcées par la cour d’appel de Paris en 2022, confirmées par la Cour de cassation.
Les deux cadres de direction voient leurs condamnations pour l’infraction de complicité du délit de harcèlement moral institutionnel, prononcées par la Cour d’appel de Paris en 2022, confirmées par la Cour de cassation.
La société France Télécom avait été condamnée par le tribunal correctionnel de Paris en 2019 et n’avait pas fait appel de cette décision.
Le Drh condamnée par le tribunal correctionnel de Paris en 2019 s’était désisté de son appel contre cette décision.
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