Assistantes maternelles sous les plis du gilet rose

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Le 2 février, les « assmat » de la région toulousaine ont manifesté pour défendre leur assurance chômage. Photo : Valentine Chapuis/La Dépêche du Midi/Photopqr/Maxppp
Éparpillées « façon puzzle », les assistantes maternelles se sont dotées d’un drapeau et d’un mode d’organisation propre, pour une revendication commune. En lien avec les organisations syndicales. Un schéma d’avenir ?

Pour faire court, on les appelle « assmat ». Relevant du Code de l’action sociale et des familles, elles exercent leur métier dans un isolement quasi total, assorti de relations forcément complexes avec leurs employeurs, des parents eux-mêmes salariés. Chacune d’entre elles est limitée légalement à un « parc » de quatre enfants, et rémunérée à hauteur d’un quart de Smic par enfant, soit 3 euros de l’heure pour des semaines qui vont de 50 à 60 heures. Être assmat, c’est aussi porter, au quotidien, tous les stigmates d’une société patriarcale : fréquemment réduit à une seule fonction de « garde », le métier est assimilé, du fait du faible salaire, à un travail d’appoint, sans grande valeur sociale ajoutée et, enfin, d’opportunité, car les enfants grandissent… Autant de contre-vérités. La responsabilité en jeu dans l’éducation et la socialisation de la prime enfance est multiforme et immense  ; on le mesure d’ailleurs à l’émoi soulevé en cas d’incident.

C’est un travail qui, dans la réalité de la vie des femmes, facilite le maintien des mères dans leur emploi. Enfin, la moyenne d’âge de celles qui l’exercent est de 48 ans, ce qui récuse toute assimilation à un job temporaire. Tout cela pour dire que lorsqu’elles entendent parler, courant 2018, d’une réforme de l’assurance chômage, les assmat s’inquiètent. Actuellement, en cas de perte de contrat – un enfant qui a grandi, des parents qui déménagent, souvent rapidement – l’Unedic verse un complément d’activité pouvant aller jusqu’à 300 euros. Or il se murmure, sur les réseaux, que cette indemnisation pourrait disparaître…

«   Ça devenait compliqué : on avait besoin de l’expertise syndicale  »

En réalité, le flou domine. Les organisations syndicales professionnelles, non confédérées mais représentatives à 70 % du secteur, renvoient les questions à un « après ». Comprendre : après la fin des négociations. La réponse n’est pas au niveau des inquiétudes et Laurence, assistante maternelle en Gironde, le résume d’un : « On voulait agir, pas attendre. » Avec quatre « amies Facebook », elles décident d’écrire aux élus, du maire au président, en passant par les ministres : « On voulait être vues et entendues. » Le groupe de discussion grossit, prend une dimension nationale et quelques élus répondent par des courriers rassurants : non, il ne s’agit pas de supprimer le complément d’activité, mais d’en réviser le mode de calcul. « Là, ça devenait plus compliqué, on s’est dit qu’on avait besoin de l’expertise syndicale », commente Laurence. Les « cinq » entrent donc en contact avec les organisations qui sont autour de la table des négociations : sans a priori sectaire ni confiance excessive. Seules Fo et la Cgt répondent.

Laurence s’en étonne encore : « Au départ, on n’était ni politisées ni syndiquées, et on attendait plutôt des réponses des syndicats spécialistes. Mais ce sont les confédérations qui ont le mieux compris nos problématiques en apportant des réponses précises. » Stéphane, de la fédération Cgt du Commerce, est de ceux avec qui les assmat ont pris contact. « Elles avaient leurs préoccupations, leurs questions, leur volonté d’autonomie… Toutes choses qu’on pouvait comprendre et partager ou discuter. On leur a dit : “Ok pour travailler avec vous, avec tout le monde, sauf le Rassemblement national.” Et on s’est beaucoup apporté les uns aux autres. Leur capacité d’organisation collective a été bluffante, et cela doit nous faire réfléchir sur nos propres méthodes. Le recours au groupe Facebook est une réponse spontanée au “je suis toute seule”. Ses milliers de participantes attestent d’une attente forte. Qu’il suffise d’une journée pour dégager 29 référentes nationales témoigne de cette envie d’agir ensemble. Nous leur avons apporté un réseau interprofessionnel. Les unions départementales, après avoir pris la mesure du nombre de salariées concernées, se sont bien investies avec, à leurs côtés, de nombreuses organisations de la Cgt impliquées dans les enjeux de chômage mais aussi de retraite. »

Par effet domino, la réforme de l’Unedic implique en effet une dégradation du niveau de retraite pour des femmes dont les carrières sont marquées par la précarité.

Une manifestation parmi d’autres d’un « syndicalisme d’opinion » ?

Reste à mettre en mouvement ce basculement du « je » au « nous ». Pas simple. Faire grève reviendrait à se retourner contre les parents ! On est en plein moment gilets jaunes avec un « acte » chaque samedi. Mêmes contraintes, mêmes solutions : ce seront des rassemblements, sous le label « gilets roses ». Celui du samedi 2 février, inaugural, a confirmé la portée de la mobilisation, comme ses limites : 29 manifestations ont rassemblé plus de 1 000 assmat dans l’espace public, loin du nombre d’inscrites sur le groupe Facebook.

Émilie, elle aussi membre du groupe des cinq, relativise l’écart, mais pas les difficultés : « Dans le groupe, les gens ont des motivations diverses, il n’y a pas que des assmat. C’est un début et un bon, qui ouvre des perspectives. Manifester n’est pas si facile lorsqu’on n’en a pas l’habitude et qu’on voit ces images de violence dans la rue. On va continuer à discuter entre nous, avec les organisations syndicales et tout autour de nous. »

Ce « continuer à discuter » a d’ores et déjà son prochain rendez-vous, fixé au 9 mars. Et au-delà ? Ici et là, la création de syndicats Cgt est en débat. Au vu des contraintes nées d’un double isolement, professionnel et personnel, ces créations devront sans doute faire une large part à un « syndicalisme d’opinion » encore à définir. Mais dont l’expérience assmat pourrait être l’une des manifestations émergentes.

Louis SALLAY

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