Recherche : la carotte… ou peanuts !

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Depuis des années, chercheurs et enseignants protestent contre le manque de moyens et la précarité croissante des emplois. Photo : Christophe Morin/IP3/Maxppp
Loi de programmation pluriannuelle : des revalorisations salariales, insuffisantes et conditionnées, pour celles et ceux qui réussiront l’exploit d’être embauchés.

La loi de la sélection ministérielle est… en marche. Première mesure avant la présentation au printemps de la Loi de programmation pluriannuelle pour la recherche (Lppr), les jeunes chercheurs embauchés à partir de 2021 percevront des salaires de début de carrière « équivalents à au moins deux Smic, contre 1,3 à 1,4 Smic actuellement ». C’est la promesse formulée par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Frédérique Vidal : aux 26 millions d’euros pour les nouveaux embauchés, seront même ajoutés 92 millions pour revaloriser l’ensemble des salaires et respecter l’échelle des revenus.

Suffisant pour dissiper les inquiétudes et enrayer la colère croissante, attisée par le sort fait aux chercheurs dans la réforme sur les retraites ? Pas vraiment. Tout d’abord, les calculs ministériels sont discutables et les jeunes chercheurs et universitaires concernés pas clairement identifiés. De plus, ils ne représenteront qu’une infime minorité par rapport aux milliers de précaires, doctorants, post-doctorants, attachés de recherche et contractuels de tous ordres – soit un quart des effectifs – qui permettent au système de fonctionner malgré quinze ans d’austérité drastique. Par exemple, en 2019, le Cnrs finançait 1 639 doctorants, mais ne prévoyait que 250 titularisations de chercheurs et 310 pour les ingénieurs et techniciens. Soit 50 de moins pour les premiers et 10 de moins pour les ingénieurs, techniciens et personnels administratifs (Ita) par rapport à 2018. Le Sntrs-Cgt estime que, de 2005 à 2016, l’établissement a perdu 1 581 postes de titulaires.

Emploi ou financement, plus rien n’est garanti

Même pour ceux qui bénéficient de ce contrat doctoral créé en 2009, et qui touchent 1 758 euros par mois pendant trois ans, l’embauche – qui plus est au bout de trois ans – reste donc une exception. De plus, ce statut « enviable » est accordé à près de 90 % des doctorants en sciences « dures », mais à moins de 40 % des doctorants en sciences humaines. Ainsi, d’après la Confédération des jeunes chercheurs, qui rassemble une quarantaine d’associations de doctorants, postdoctorants ou jeunes chercheurs et universitaires précaires, près de 4 000 doctorants commencent chaque année leur thèse sans percevoir aucune rémunération, et 13 000 doctorants se retrouvent contraints d’accepter des contrats de vacataires dans la recherche ou l’enseignement supérieur payés 17 centimes en dessous du Smic horaire, et sans même le minimum de droits sociaux associés à un Cdd. Une pratique courante puisque l’Université aurait recours à plus de 15 000 enseignants vacataires corvéables à merci et sans garantie de renouvellement de leurs vacations. Par ailleurs, même si les maîtres de conférences ou les chargés de recherche récemment embauchés perçoivent autour de 2 600 euros brut, la ministre elle-même a reconnu qu’il ne s’agit pas d’une fortune quand on possède un diplôme de niveau bac + 8 et plusieurs années d’expérience, l’âge moyen d’un nouveau titularisé se situant autour de 35 ans.

La question salariale n’est en fait qu’un aspect d’une longue liste de tensions structurelles causées par des réformes à répétition : sur l’emploi, les financements, la gouvernance, l’évaluation permanente, les injonctions à être productif et visible à l’international pour « mériter » des financements. La Lppr enfonce le clou en annonçant de nouveaux types de contrats, parmi lesquels les Cdi de projet, renouvelables une fois après six ans, instaurés dans toute la fonction publique, qui ne sont donc pas des Cdi. Mais également des contrats de tenure track, des Cdd qui peuvent déboucher sur des titularisations si les résultats du postulant sont jugés satisfaisants – par qui et selon quels critères, cela reste opaque. Ainsi, l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) a devancé la loi et propose déjà des starting faculty positions à certains doctorants, conditionnés à des heures d’enseignement et à des programmes de recherche limitant la liberté académique.

L’intersyndicale Cfdt, Fsu, Cgt s’y oppose et craint par ailleurs que les salaires proposés, peu attractifs, ne dissuadent les meilleurs étudiants, très courtisés dans ce secteur concurrentiel… Les syndicats du secteur estiment que globalement, la recherche et l’enseignement supérieur ne pourront se relever qu’au prix de 6 000 embauches et 3 milliards d’euros supplémentaires par an pendant dix ans pour résorber la précarité et se donner des perspectives en repensant l’organisation et le management de l’ensemble du système. Les motions, grèves, mobilisations actuelles témoignent qu’on en est loin.

Valérie Géraud

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