Revue de presse -
Le plein-emploi, jusqu’à l’obsession…
Pour parvenir à faire baisser le taux de chômage à 5 %, le gouvernement veut à nouveau durcir les règles de l’assurance chômage. Une réforme à contretemps pour les plus indulgents, un nouveau saccage en perspective pour les autres… les éditorialistes sont unanimes pour s’inquiéter de ses conséquences.
Qui se souvient du principe de « contracyclicité » ? C’est un « système simple », expliquait Emmanuel Macron en mars 2022 lors de la présentation de son second programme présidentiel : « À chaque fois que la conjoncture s’améliore, on doit avoir des règles qui réincitent encore davantage au retour à l’emploi. À chaque fois que la conjoncture se dégrade, on doit mieux protéger celles et ceux qui tombent dans une situation de chômage. »
Quoi que l’on pense de ce principe, il sonne aujourd’hui comme une promesse trahie pour ceux qui y avaient cru : à peine l’encre du dernier accord des partenaires sociaux est-elle sèche que le gouvernement s’apprête à durcir encore les règles de l’assurance chômage, alors même que la conjoncture se dégrade.
Plus qu’un revirement, un « reniement »
Celles et ceux qui devaient être mieux protégés apprécieront le revirement présidentiel, supposé servir l’objectif de plein-emploi à l’horizon 2027. Plus qu’un revirement d’ailleurs, c’est un « reniement »explique Frantz Durupt dans Libération, et il est « d’autant plus pervers qu’il ne s’assume même pas comme tel. Pas un mot pour dire “On s’est rendu compte que…” ou “Finalement, il faudrait que”… Tout est présenté comme coulant de source. Et de fait, ça l’est bel et bien, d’un strict point de vue idéologique. »
Dans Le Parisien, même François Lenglet critique une réforme mise en œuvre à contretemps, dont l’une des caractéristiques est son manque de lisibilité : « C’est la cinquième réforme de l’indemnisation depuis l’élection d’Emmanuel Macron, selon l’Ofce, et elle déchaîne à nouveau les critiques de toutes parts – quand un coupe la queue du chat en plusieurs fois, ça fait mal à chaque fois. Sur ce dossier encore, l’exécutif donne le sentiment d’agir au coup par coup, avec une rafale de décrets dont la succession n’est pas toujours intelligible. Tout comme il procède pour l’agriculture avec quatre lois Egalim, chacune rafistolant l’ouvrage abandonné par la précédente. »
Pousser la logique jusqu’à l’absurde
Parce que le gouvernement prépare les esprits depuis de nombreux mois à un « nouveau tour de vis », cette cinquième réforme n’est pourtant pas une surprise. Dès janvier, Cécile Hautefeuille, dans Mediapart, décrivait « les scénarios du gouvernement pour un nouveau saccage » alors qu’Emmanuel Macron avait dit vouloir un acte II de la réforme du marché du travail, d’abord en conférence de presse, puis au forum de Davos. « Sitôt exigé, sitôt exploré, écrit-elle. Le ministère du Travail détient désormais le détail des plans possibles. De belles économies en vue mais un désastre pour les chômeurs et les chômeuses. Sans que les effets concrets s’annoncent très positifs en terme de baisse du chômage ».
Dans une tribune publiée dans Le Monde, l’économiste Bruno Coquet pousse ironiquement la logique gouvernementale jusqu’à l’absurde : « Vouloir réformer l’assurance chômage est toujours un exercice difficile. Tailler dans les droits se révèle en revanche une tâche beaucoup plus facile à justifier avec quelques fausses évidences, et toujours payantes. Mais pourquoi, dans ces conditions, ne pas aller jusqu’au bout de cette “logique” et supprimer l’assurance chômage : le plein-emploi ne serait-il pas atteint plus vite ? »
Le plein-emploi, quel qu’en soit le prix
Parmi ces fausses évidences, l’idée selon laquelle il « suffirait de traverser la rue » pour retrouver un emploi. Ou qu’il faudrait détruire le modèle social pour inciter à l’activité. Dans Alternatives économiques, Sandrine Foulon et Céline Mouzon, dans un billet titré « Haro sur les pauvres ! » font le lien entre la restriction des droits des chômeurs, des allocataires du Rsa et des étrangers. Elles y dénoncent les ressorts et les mécanismes d’une politique punitive : « Le sentiment de méfiance à l’égard de l’oisiveté des pauvres est sans doute aussi ancien que la pauvreté elle-même. Mais il atteint aujourd’hui un paroxysme au sein du gouvernement, qui en a fait un axe central de sa politique. »
Singulièrement, donc, pour atteindre le plein-emploi quel qu’en soit le prix. Toujours dans Libération, Frantz Durupt conclut amèrement : « Quand on dit à Gabriel Attal que cette nouvelle réforme pourrait alimenter la “colère sociale“, il répond […] : “Oui, et ?” La démagogie, jusqu’au vertige. »
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