Le 1er novembre 2023, le quotidien Les Échos et Datagora publiaient une infographie (source Ocde, Penn World Table) expliquant qu’en 2019, le Français moyen avait travaillé 846 heures de moins qu’en 1950, mais avait produit considérablement plus :
- En 1950 : 2 351 heures dans l’année, pour une richesse produite de 16 692 dollars, soit 7,1 dollars/heure ;
- En 1985 : 1 654 heures dans l’année, pour une richesse produite de 57 394 dollars, soit 34,7 dollars/heure ;
- En 2019 : 1 505 heures dans l’année, pour une richesse produite de 103 243 dollars, soit 68,6 dollars/heure.
Le progrès technologique et la réduction du temps de travail se sont combinés dans un compromis bâti sur l’élévation permanente des qualifications de celles et ceux qui créent la richesse. Contrairement à une idée répandue, le niveau de qualification a progressé dans l’ensemble du salariat, y compris dans les catégories ouvriers/employés, avec plus de 50 % des candidat·es à l’embauche qui sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Il n’y a en réalité pas de travail non qualifié. Comme l’expliquent les sciences sociales, « tout travail produit et consomme de la compétence ». La difficulté n’est pas tant de savoir comment produire des richesses que d’en définir collectivement les finalités et les bénéficiaires.
Or la part des salaires dans la valeur ajoutée recule depuis les années 1980. La rémunération des actionnaires, qui représentait alors une semaine de création richesses, est passée à l’équivalent d’un mois et peut dépasser les deux mois dans les grandes entreprises. Dans le même temps, l’intensification du travail, la baisse du niveau de salaires par niveau de qualification à l’embauche, la smicardisation grandissante des emplois conduisent à un cocktail explosif pour les salarié·es. Les femmes sont les plus exposées, avec un niveau de qualification plus élevé en moyenne ; elles sont aussi notoirement sous-payées.
Recul du pouvoir d’achat de 2,1 % pour les cadres
Les ingénieur.es, cadres, technicien.es et professions intermédiaires sont les catégories dont les salaires ont le plus stagné sur la durée, et 2023 l’illustre encore avec un recul du pouvoir d’achat de 2,1 % pour les cadres, de 1,5 % pour les professions intermédiaires. Ces catégories sont doublement exposées, avec l’effet forfait-jours qui efface toute référence horaire et place les salarié·es concerné·es dans une logique de droits dérogatoires au temps de travail légal. Les personnels au forfait-jours travaillent en moyenne 200 heures de plus que dans le cadre d’un régime horaire conventionnel.
Cette course effrénée et cupide à la rentabilité, à la concurrence et aux logiques de pouvoir dégrade lourdement l’humain et l’environnement. Quel sursaut faut-il espérer de ceux-là mêmes qui nous vendent encore les mêmes recettes idéologiques ayant conduit à l’impasse où nous sommes ?
« Simplification » péremptoire
Le nouveau gouvernement, dernier avatar d’un macronisme ultraconservateur, porte ses dogmes libéraux comme des œillères. Le bon sens devient le faux-nez d’une « simplification » péremptoire qui s’éprend de l’actualité plus que du réel. La simplification n’est que l’aiguillon d’un dialogue à sens unique où les certitudes d’hier font figures d’innovation tout en consolidant l’ordre des rapports sociaux en place. La simplification de Monsieur Attal, c’est le refus de l’évaluation, de la critique autant que de l’autocritique, la négation des contradictions et des expériences différentes.
La méthode n’a rien d’original : attaque contre les salaires, en commençant par le Smic, en liquidant sa part de garantie légale ; recul de la protection sociale avec en ligne de mire les droits au chômage ; recul de la retraite et de son financement ; épuisement du système de santé publique et de son personnel ; nouvelle étape d’abaissement des droits du travail ; la précarité comme projet de société où l’impunité des possédants fait office de loi naturelle.
Les gains de productivité dus à l’IA doivent être réinvestis dans l’humain
La Cgt et son Ugict continuent de mettre la pression. Nous refusons ce hold-up permanent sur le travail et les qualifications. Les mobilisations et la campagne nationale sur les salaires sont engagées partout, la revendication d’une nouvelle étape de la réduction du temps de travail, offrant le choix d’une semaine de quatre jours, s’installe dans les esprits et ouvre des portes. Ce sont les propositions que nous avons défendues devant la Première ministre lors de la dernière conférence sociale sur les salaires, l’égalité femmes-hommes, le financement de la protection sociale et la situation des femmes et des hommes au travail. C’est un nouveau partage des richesses que nous revendiquons, avec une baisse de la charge de travail, un partage du travail avec créations d’emplois et hausse des salaires.
À l’heure où les technologies font un pas de géant avec les usages de l’intelligence artificielle (IA) notamment, les gains de productivité doivent être réinvestis dans la richesse humaine, le développement des savoirs, les qualifications, la formation tout au long de la vie. Tout aussi incontournable face au gigantesque défi écologique que nous confrontons, la recherche doit faire l’objet d’un investissement massif et devenir la colonne vertébrale dans une époque de multiples transitions. La nouvelle donne économique qui découle du déploiement des IA doit ouvrir sur une amélioration concrète de la situation des travailleuses et travailleurs à tous les niveaux du système productif. L’IA donne des possibilités de recentrer l’activité humaine sur des tâches valorisantes en réduisant les tâches répétitives, et doit constituer un levier important de valorisation de la contribution humaine au travail. C’est à partir de ces exigences que nous poursuivrons la longue histoire du progrès social et désormais environnemental.