Édition 032 - mi-juin 2023

L'ÉDITORIAL

Le travail : un enjeu central pour notre démocratie

À en croire les niveaux historiques de mobilisations – jusqu’à 3,5 millions de manifestant·es –, la stratégie syndicale a indéniablement su porter les revendications et le syndicalisme a regagné en légitimité. On peut saluer l’implication des jeunes, et notamment des jeunes diplômés conscients d’être parmi les grands perdants, et inquiets des impacts de la réforme sur le climat. La solidité de l’intersyndicale face aux tentatives de division du gouvernement a été confortée par un fort soutien populaire, avec plus de 94 % des salarié·es hostiles à la réforme.

Des adhésions en forte hausse

C’est ce qu’accrédite aussi le haut niveau d’adhésions depuis le début de l’année – près de 30 000 rien qu’à la Cgt – et la remise au premier plan des revendications sur le travail. Y compris dans les catégories d’encadrement et professions intermédiaires (Ictam), parmi lesquelles 56 % des cadres et 65 % des professions intermédiaires souhaitent une réforme qui rétablisse l’âge de la retraite à 60 ans avec prise en compte des années d’étude, selon nos baromètres ViaVoice-Ugict.

Ils et elles dénoncent aussi des conditions de travail de plus en plus dégradées, proches parfois de la maltraitance, des pénibilités non reconnues, un travail en perte de sens ou sans utilité sociale, le refus des inégalités femmes-hommes. Ils et elles sont plus nombreux à revendiquer des augmentations collectives de salaire, indexées sur l’inflation. Des aspirations renforcées que nous traduirons, dès le 21 juin, lors de nos rencontres d’Options sur la réduction du temps de travail.

De défaite donc, il s’agit plutôt de celle d’un libéralisme forcené des gouvernements successifs et du patronat aux abois, après trois décennies passées à fracturer le travail, les salarié·es et la protection sociale.

Un passage en force aux lourdes conséquences

Sans légitimité populaire ni appui syndical ni majorité politique, le pouvoir a fait le choix du passage en force et de la radicalisation en refusant d’abord la négociation, en entravant ensuite le travail parlementaire par l’utilisation des articles 49-3, 47-1, 40 de la Constitution. Une manœuvre à haut risque pour notre démocratie tant elle suscite le sentiment, pour un nombre grandissant de citoyennes et de citoyens, que leurs aspirations ne peuvent trouver de réponses de la part des élu·es ou des partis de gouvernement.

Ainsi, selon un sondage du Cevipof de février 2023, la confiance était déjà en recul de 7 points pour le Sénat, de 10 points pour l’Assemblée nationale et de 9 points pour le gouvernement, qui enregistre le taux de confiance le plus faible des institutions (26  %). C’est une terrible porte ouverte à la montée de l’abstention, et un marchepied pour l’arrivée de l’extrême droite à l’Élysée à la prochaine élection présidentielle.

Le Rn n’a jamais été du côté des salarié·es

C’est un risque sérieux que l’Ugict et la Cgt prennent en compte, sachant qu’au 2e tour de l’élection présidentielle de 2022, 33 % des cadres du privé et 27 % des fonctionnaires de catégorie A avaient voté pour Marine Le Pen. Mais il ne faut pas se tromper, le Rn n’a jamais été du côté des salarié·es ni des fonctionnaires !

Face au danger que représente l’extrême droite pour les intérêts des salarié·es et les libertés syndicales, l’Ugict entend intensifier son action pour mettre au jour la forfaiture que ce choix représenterait. Elle le fera en portant le débat, en renforçant sa présence auprès des Ictam, en formant les nouveaux syndiqués Ictam.

Menaces sur les libertés syndicales

Certains employeurs privés et publics n’ont pas été en reste pour entraver voire criminaliser l’action syndicale et les luttes. Par exemple au sein d’établissements d’enseignement où l’application de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) du 24 janvier 2023 permet d’infliger des amendes forfaitaires délictuelles pour réprimer les mobilisations étudiantes et lycéennes.

Ce sont aussi les agent·es en lutte dans le secteur de l’énergie qui sont particulièrement visés pour leurs actions et mobilisations. Confronté·es aux tentatives d’intimidations et de sanctions des directions, près de 300 d’entre eux subissent ou sont menacés d’une mise à pied, voire d’un licenciement. Cette stratégie patronale contre nos libertés syndicales n’est pas seulement préjudiciable aux agent·es concerné·es : elle porte en germe la fracturation du salariat, en instrumentalisant l’encadrement de proximité, appelé à transmettre le noms des camarades impliqués dans les actions.

La criminalisation de l’action syndicale, comme l’atteinte aux libertés individuelles et syndicales, est le symptôme d’une société qui se délite. A contrario, dans cette société malmenée par des réformes qui ont fragilisé notre socle social, l’enjeu est aujourd’hui de redonner toute sa place au travail et de répondre aux attentes des salarié·es, composés aujourd’hui à 50 % d’Ictam. C’est le cœur du syndicalisme spécifique que porte l’Ugict, en travaillant à l’expression des revendications des Ictam et au rassemblement du salariat.

Sommaire :