Les tops et les flops de la semaine de quatre jours : trois retours d’expérience en France

L’Urssaf de Picardie, l’entreprise Elmy et It Partners ont mis en place la semaine de quatre jours suivant des modalités différentes. Dans quelles conditions peut-elle représenter une amélioration pour les salariés ? Témoignages.

Édition 032 de mi-juin 2023 [Sommaire]

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Avec ou sans réduction du temps de travail… la semaine de quatre jours ne produit pas les mêmes effets. @BELPRESS/MAXPPP

«  Pourquoi ce flop  ?  » questionne Anne-Sophie Rousseau, directrice adjointe de l’Urssaf Picardie. Ce 31 mai au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), elle vient présenter au public les propositions de réaménagement du temps de travail formulées aux agents de son organisme courant 2022, dans le cadre d’une conférence sur «  La semaine de quatre jours  : du principe au retour d’expérience  ». Le but de l’expérimentation était de proposer différentes modalités d’organisation du travail, pas de réduire sa durée.

Pas question de bouleverser l’organisation familiale  : l’expérimentation de l’Urssaf Picardie

Depuis le 1er mars 2023, elles sont seulement trois agentes à avoir opté pour une semaine de trente-six heures de travail réparties sur quatre jours, ce qui correspond à des journées de neuf heures, au lieu de sept heures et vingt minutes lorsque leur travail était réparti sur cinq jours. Les trois personnes qui ont choisi cette formule ont de grands enfants ou pas d’enfants. Elles ont décidé de ne pas travailler le mercredi «  pour couper la semaine  » et disent «  revenir travailler le jeudi plus en forme  ».

La direction avait initié cette expérimentation pour «  proposer une mesure en faveur du pouvoir d’achat des temps partiels  ». Dans cette optique, les agents concernés pouvaient choisir de faire un plus grand nombre d’heures les jours travaillés, et ainsi augmenter leur salaire. Mais aucun agent à temps partiel n’a souhaité réorganiser son temps de travail de cette manière. En effet, analyse Anne-Sophie Rousseau avec quelques mois de recul, «  les salariés à temps partiel n’ont pas fait le choix de passer à des journées de travail de neuf heures parce qu’ils n’auraient plus pu aller chercher leurs enfants à l’école  ». Si, en travaillant à l’Urssaf, ils sont «  mal payés  », ils disposent en revanche de plus de temps que d’autres pour leur vie privée. Bref, «  les personnes à temps partiel ont déjà fait un arbitrage, elles veulent continuer à aller chercher leurs enfants à l’école  ».

Le début de l’expérimentation tombait par ailleurs en milieu d’année scolaire, alors qu’une organisation familiale se met souvent en place en début d’année scolaire. C’est pour cette raison que la direction prévoit d’ouvrir une nouvelle campagne en septembre. Certaines règles pourraient être assouplies à cette occasion. Il serait notamment question d’élargir le champs des agents bénéficiaires. En effet, pour cette première phase, seuls les salariés dont le temps de travail est décompté pouvaient intégrer le dispositif. Les cadres au forfait-jours en étaient exclus, mais aussi les managers. Pour ces derniers, Anne-Sophie Rousseau le justifie ainsi  : «  Il nous semblait difficile qu’ils managent sur quatre jours alors que le travail de leur équipe s’effectue sur cinq.  »

En conclusion, la directrice adjointe ferme la porte à toute réduction du temps de travail  : «  on n’envisage pas aujourd’hui la semaine de quatre jours avec trente-deux heures de travail.  » C’est la principale différence avec les deux autres expériences présentées lors de cette conférence organisée par l’économiste Thérèse Rebière au Cnam  : l’Urssaf Picardie n’a pas proposé à ses agents de diminuer leur temps de travail, seulement de le réaménager. A contrario, Elmy et It Partners ont réduit le nombre d’heures de travail de leurs salariés.

Adapter la stratégie commerciale à la réduction du temps de travail  : le cas d’Elmy

Pour Camille Darde, qui se présente comme «  directrice des richesses humaines  » de l’entreprise de gestion d’énergie renouvelable Elmy, la semaine de quatre jours avec réduction du temps de travail sans perte de salaire est la seule manière de «  mobiliser autant de personnes en si peu de temps avec de tels gains de productivité.  »

Créée en 2015, cette entreprise de 150 salariés compte 80 % de cadres. Elle a lancé son test de semaine de quatre jours le 1er septembre 2022, après six mois de concertation, de préparation et de formation des salariés à la gestion du temps. Désormais réparti sur quatre jours, le temps de travail est passé de trente-neuf à trente-cinq heures pour les cadres, de trente-cinq à trente-deux pour les autres. L’entreprise, qui a mis en place de nombreux indicateurs chiffrés, se félicite de l’«  augmentation de la productivité  ». Le délai d’envoi des factures a diminué, ainsi que le temps passé en réunion et le nombre d’absences  : la satisfaction clients, la marge commerciale, le turn-over et le nombre de Cv reçus ont augmenté.

Les jours non travaillés de chacun sont choisis pour une durée d’un an au sein de chaque équipe, en fonction des besoins du service. Impossible par exemple de fermer le service clients un jour par semaine. Le jour non travaillé peut être soit le mercredi soit le vendredi. En cas de désaccord, c’est un tirage au sort qui tranche.

Pour une réduction du temps de travail qui profite aux salariés, Camille Darde insiste sur la nécessité de «  repenser l’organisation  ». Elle cite, à titre d’exemple, le changement stratégique opéré par l’équipe chargée du développement commercial. Afin de diminuer le temps de travail administratif, l’équipe se concentre sur des projets moins nombreux mais plus importants. En effet, les tâches administratives sont identiques quelle que soit l’envergure du contrat. La question de la charge de travail n’est pourtant pas complètement réglée puisque 63 % des salariés disent travailler «  parfois ou régulièrement sur leur jour off, en moyenne une heure trente  ». Pour travailler une heure de plus par jour, les salariés ont, pour beaucoup, raccourci leur pause déjeuner.

La nécessité de salaires suffisants pour ne pas avoir besoin d’un autre revenu : It Partners

En 2020, lorsqu’Abdénour Ainséba informe les membres du comité exécutif de l’entreprise qu’il a créé en 1995 de sa volonté de mettre en place la semaine de quatre jours, ils «  tombent des nues  ». L’entreprise It Partners, qui emploie aujourd’hui une centaine de salariés, gère les systèmes informatiques de ses clients. «  Déjà qu’à cinq jours, on n’arrive pas à faire tout ce qu’il y a à faire…  » s’inquiètent certains salariés. Quelques-uns vont jusqu’à quitter l’entreprise pour cette raison. Quatre mois de préparation et un accord d’entreprise plus tard, la semaine de quatre jours avec un temps de travail de trente-deux heures sans réduction de salaire est mise en place le 1er janvier 2021.

La journée libérée est appelée «  jour off  ». Décidé au sein de chaque équipe, le jour off de chacun peut changer chaque trimestre. Les salariés «  ne doivent pas travailler ce jour-là. S’ils le font, c’est un signal de dysfonctionnement  », prévient Abdénour Ainséba, tout en précisant qu’ils peuvent tout de même être amenés à enfreindre cette règle «  en cas de projet urgent à terminer ou de rendez-vous avec un client  ». Dans ces cas-là, ils sont payés en heures supplémentaires.

Entre jours de congés et jours off, l’été qui a suivi la mise en place de cet accord a été chaotique. Or un client dont le système informatique dysfonctionne a besoin d’une solution rapide. Après avoir fait le constat qu’« il faut avoir toutes les compétences disponibles pour traiter les problèmes », Abdénour Ainséba assure que l’entreprise a ensuite atteint sa vitesse de croisière : « Globalement, les gens ne font pas beaucoup plus d’heures. Ils ont réduit leur pause midi. La journée est plus intense, l’ambiance est studieuse, les gens impliqués. »

Après avoir lui-même fait des semaines de quatre jours pendant six mois, le président d’It Partners a pour sa part recommencé à travailler sur cinq jours. Il tient à préciser que dans ce secteur d’activité, les salaires sont «  plutôt élevés  ». Il estime qu’It Partners a pu libérer une journée hebdomadaire pour ses salariés parce qu’ils «  n’ont pas besoin d’aller chercher du travail le cinquième jour. S’ils étaient au Smic, ils le feraient.  »

Un choix de société

Ces trois expériences réalisées dans des contextes différents témoignent de l’intérêt croissant pour la semaine de quatre jours et donnent un aperçu des questions qu’elle soulève. En conclusion de la conférence organisée par le Cnam, l’économiste Pedro Gomes, auteur d’un livre intitulé Friday is the new Saturday et coordinateur d’une expérimentation pilote menée par le gouvernement portugais, souligne qu’«  il n’y a rien de biologique à travailler cinq jours par semaine  » et «  aucune loi économique ne dit qu’on doit travailler quatre, cinq ou six jours. C’est un choix que l’on a à faire en tant que société  ».

Pedro Gomes estime que trois principes doivent présider à la mise en place de la semaine de quatre jours:pas de réduction de salaire  ; une réduction du nombre d’heures travaillées par semaine  ; une mise en place volontaire et réversible. Pour lui, une semaine de quatre jours avec réduction de travail présente notamment l’intérêt de pouvoir «  réconcilier une société polarisée. Elle ne divise pas, elle rassemble. […] Je vous encourage tous à essayer. Osez  !  »