Reportage -  2023, année de la semaine de quatre jours ?

Entre ceux qui veulent travailler moins et ceux qui entendent travailler autant mais en quatre jours au lieu de cinq, la semaine de quatre jours fait de plus en plus parler d’elle.

Édition 032 de mi-juin 2023 [Sommaire]

Temps de lecture : 8 minutes

Options - Le journal de l’Ugict-CGT
La semaine de quatre jours sans baisse de salaire ? Des entreprises françaises, espagnoles ou britanniques ont franchi le pas. © Photopqr / Voix Du Nord / Maxppp

«  Quand notre patron nous a annoncé, lors des Nao 2021, vouloir mettre en place la semaine de quatre jours sur trente-deux heures sans baisse de salaire, je lui ai demandé s’il voulait prendre sa carte à la Cgt. On n’y croyait pas  », explique Myriam Letondot, déléguée syndicale de l’entreprise de vente de matériel informatique Ldlc, à Lyon. La semaine de quatre jours de travail en trente-deux heures sans baisse de salaire a pourtant bien été mise en place dans l’entreprise, en janvier 2022.

Fondateur et Pdg de l’entreprise, Laurent de la Clergerie est depuis fréquemment sollicité pour expliquer son cheminement  : désireux que «  les gens se sentent bien  » et que la société soit «  équilibrée  », il a commencé à penser à la possibilité de «  passer à la semaine de quatre jours  » (1). Le faire en gardant le même temps de travail hebdomadaire lui semblait inenvisageable  : «  Les gens travaillent sept heures par jour, si je les passe à neuf heures, je vais complètement perturber leur rythme de vie, ce n’est pas possible.  ». En revanche, huit heures par jour, jugeait-il, «  on l’a vécu, ça ne se passait pas forcément mal. C’est pour ça que je suis passé en 4 × huit heures, soit trente-deux heures.  » 

Le 5e jour non travaillé, «  garant d’un bien-être  »

Une fois tranchée la question du temps de travail, restait celle des salaires. «  Je ne peux pas les baisser, ça va être mal vu  », tranche Laurent de la Clergerie. S’il annonce simultanément des recrutements, il n’y en aura finalement «  pas besoin  »  : en 2018, le chiffre d’affaires de Ldlc s’élevait «  à 500 millions d’euros avec 1 500 collaborateurs. En 2021, il est de 680 millions, toujours avec 1 500 collaborateurs.  » Le Pdg se félicite donc de l’augmentation de la productivité des salariés qu’il explique ainsi  : «  En respectant les temps des gens, c’est-à-dire en leur donnant un jour de plus, ils sont finalement beaucoup plus productifs sur les trente-deux heures en quatre jours, parce qu’ils ont eu le temps de vivre à côté correctement.  » Il en tire la conclusion suivante  : «  En trente-deux heures sur quatre jours, on bosse mieux qu’en trente-cinq heures sur quatre jours.  » 

Myriam Letondot en tire elle aussi un bilan positif. Elle estime que sa vie et celle de ses collègues «  s’en est améliorée  », que ce 5e jour non travaillé est «  garant d’un bien-être  ». Elle n’est plus obligée de prendre un jour de congé pour un rendez-vous médical. Les parents de jeunes enfants peuvent quant à eux prendre tous leurs mercredis. Et grâce au covoiturage, certains n’utilisent plus leur voiture qu’une fois par semaine, ce qui représente des économies. Même si un récent déménagement des locaux de l’entreprise et l’introduction d’un nouvel outil de travail ont engendré un surcroît de fatigue et un recours accru au travail intérimaire, «  personne n’a envie de repasser à cinq jours  ».

Royaume-Uni  : de quarante-huit à trente-deux heures hebdomadaires

Les résultats d’un programme mené à plus grande échelle, au Royaume-Uni, vont dans le même sens. Alors que le temps de travail hebdomadaire s’élève ici à quarante-huit heures, 3 000 salariés de 61 entreprises ont réduit leur temps de travail entre juin et décembre 2022, à l’initiative de l’organisation à but non lucratif Four Day Week Global. Certains ont testé la semaine de quatre jours, d’autres celle de cinq jours avec une amplitude horaire resserrée. Dans les deux cas, la durée de travail devait correspondre à une moyenne annuelle de trente-deux heures hebdomadaires sans baisse de salaire. Les employeurs sont enthousiastes  : les arrêts maladie ont baissé de deux tiers, le chiffre d’affaires a augmenté de 35 %, ainsi que la productivité. Quant aux salariés, ils sont 39 % à se dire moins stressés, 54 % à pouvoir mieux concilier vie professionnelle et personnelle.

À son tour, le gouvernement espagnol vient d’annoncer une expérimentation de la semaine de quatre jours sans réduction de salaire. Un plan d’aide de 9 650 000 euros devra permettre à 70 Pme industrielles de moins de 250 salariés de réduire le temps de travail quotidien d’au moins 25 %. Chacune percevra une subvention de 200 000 euros maximum, sur trois ans. Le temps de travail devra diminuer d’au moins 10 % et respecter la parité femmes-hommes. 

En France, la durée effective du travail ne diminue plus 

Si Myriam Letondot a eu «  un choc  » à l’annonce de la proposition de Laurent de la Clergerie, c’est parce que cette idée de réduction du temps de travail était «  à contre-sens de tout ce qui se passait  ». En effet, si la durée légale du travail n’a pas changé depuis 2000, le droit «  favorise l’augmentation et la flexibilité du travail  », explique Michel Miné, titulaire de la chaire Droit du travail et droits de la personne au Cnam  : «  Depuis les lois du 17 janvier 2003 et du 4 mai 2004 (“lois Fillon” sur le temps de travail et sur le “dialogue social”), le mouvement vise, sans remettre en cause la durée légale du travail, à permettre l’augmentation de la durée réelle du travail.  » 

Dans le prolongement de ces deux lois, plusieurs autres ont permis l’augmentation de la durée réelle du travail, en élargissent le champ d’application des forfaits-jours ou en défiscalisant les heures supplémentaires. Si bien que la durée annuelle effective du travail ne diminue plus depuis le milieu des années 2000. 

Attention au faux ami  : les quatre jours sans réduction du temps de travail 

Certains promoteurs de la semaine de quatre jours n’ont aucune intention de diminuer le temps de travail. Ainsi le ministre délégué aux Comptes publics, Gabriel Attal, a braqué les projecteurs sur l’Urssaf de Picardie, premier organisme de service public à tester la formule. «  Je crois que beaucoup de Français aspirent aujourd’hui à travailler différemment  », qu’ils sont «  favorables à plus de libertés dans leur organisation  », a-t-il déclaré. Commencée en janvier 2023, cette expérimentation offrait notamment aux 300 agents la possibilité de concentrer leurs trente-six heures de travail hebdomadaires sur quatre jours. En échange de ces journées plus longues, ils libèreraient leur 5e jour. 

En fait, seulement trois se sont portés volontaires. «  L’expérience est négative car il y a une augmentation de la charge de travail sur un temps réduit, commente Jésus de Carlos, secrétaire général de l’Ufict-Cgt de la fédération des Services publics. Il ne s’agit pas de réduction mais de compression du temps de travail. L’objectif de cette expérimentation est d’augmenter la productivité. Nous, notre objectif, est d’avoir plus de temps personnel, de faire moins de déplacements. C’est complètement différent.  »

La compression du temps de travail pénaliserait les femmes 

C’est dans le même esprit que la loi belge autorise depuis octobre 2022 «  le travailleur à temps plein  » à «  effectuer une semaine de quatre jours  ». Pour le dire autrement : il devra toujours la même durée de travail à son employeur – généralement trente-huit heures, quarante au maximum – mais la répartira sur quatre jours au lieu de cinq, ce qui portera ses journées de travail à neuf heures trente, voire dix heures. 

Cependant, la systématisation de journées de travail de dix heures pourrait rendre la semaine de quatre jours inaccessible aux femmes, parce qu’elles sont chargées de la plus grosse partie du travail domestique. Cela risquerait en outre d’engendrer une intensification du travail et un surcroît de fatigue. Le 5e jour ne serait alors consacré qu’à récupérer du rythme intensif des jours précédents. 

Le forfait-jours, obstacle à la réduction du temps de travail

Chez Accenture, très peu de consultants ont répondu favorablement à la proposition de la direction, qui consistait là aussi à condenser leur travail sur un nombre réduit de jours. La grande majorité d’entre eux travaillent au forfait-jours, comme 12,3  % de l’ensemble des salariés. Leurs échéances de travail, fixées par les besoins des clients de l’entreprise, doivent être respectées coûte que coûte, bien souvent au prix de longues soirées de travail. 

C’est pourquoi la proposition n’avait « pas de sens pour eux. Il faudrait déjà arriver à faire respecter la durée légale du temps de travail et du temps de repos  », explique Sylvain Memet, élu au Cse. Enthousiaste, dans un premier temps, à l’idée de travailler sur une réduction du temps de travail, il fait aujourd’hui un bilan «  désastreux  » de ce qu’il qualifie d’«  opération de communication destinée à attirer de jeunes salariés dans un secteur qui peine à recruter  ». En conséquence, la Cgt n’a pas signé l’accord de mars 2022 destiné à prolonger le dispositif, estimant qu’il manquait d’ambition et ne bénéficierait pas à l’ensemble de salariés.

Une porte de sortie pour les cadres surmenés ?

Cette formule de semaine de quatre jours peut cependant apparaître comme une solution à certains salariés dont le temps de travail est particulièrement élevé. Ainsi, John Cramer, représentant du syndicat flamand Acv Puls chez Axa Belgique, a constaté que, dans son entreprise, «  les cadres qui font énormément d’heures supplémentaires non payées sont intéressés. En quatre jours, une fois qu’ils auront travaillé dix heures, ils ne pourront pas travailler plus. Et au moins ils seront payés pour le travail effectué. Quatre-vingt salariés sur les 3 000 d’Axa Belgium ont demandé à travailler sur quatre jours. Pour l’instant, la direction a refusé.  »

Lors des dernières Nao chez le producteur de composants électroniques Soitec, la Cgt a porté la revendication d’une semaine de quatre jours sans réduction de salaire, suite au plébiscite de cette proposition par les salariés. En effet, la revendication d’un passage à trente-deux heures hebdomadaires «  semble irréaliste pour une part importante des ingénieurs qui travaillent largement plus de huit heures par jour. La semaine de quatre jours leur paraît constituer un objectif plus atteignable  », expliquent Fabrice Lallement et Aurélia Dhimalekis, de la Cgt Soitec.

Des techniciens qui fuient le statut cadre

Dans l’entreprise, les techniciens, qui bénéficient de 22 jours de Rtt, sont parfois enviés par les ingénieurs et les cadres au forfait-jours, qui ne bénéficient que de 11 jours de Rtt. «  Au vu de leur durée de travail réelle, les ingénieurs et cadres devraient bénéficier de 59 jours de Rtt par an  » dénonce ainsi un tract de la Cgt-Soitec. La massification du forfait-jours parasite la prise en compte du temps de travail. «  Ne plus avoir de référence horaire pour un employeur, c’est une aubaine  ! pointe Fabrice Lallement. Il n’a plus qu’à définir des objectifs. Et comme aucun manager n’est en mesure de définir précisément le temps de travail nécessaire pour les atteindre, le temps de travail est renvoyé à la responsabilité du salarié. Le problème, c’est que ceux qui imposent la norme sont ceux qui font neuf heures par jour. »

La loi prévoit que les salariés en forfait-jours bénéficient d’une majoration salariale pour compenser la non-comptabilisation de leurs heures supplémentaires. Cela n’ayant pas été le cas chez Soitec, les salaires des premiers échelons d’ingénieurs et cadres ont décroché et se retrouvent inférieurs à ceux des échelons les plus élevés des techniciens. En conséquence, «  énormément de techniciens ne veulent pas devenir ingénieurs parce qu’ils savent que, ramené au taux horaire, ils seront moins payés qu’en étant techniciens  ».

Douze heures d’amplitude de travail

Sur la route de la réduction du temps de travail, Fabrice Lallement et Aurélia Dhimalekis estiment que la première chose à faire, pour les salariés en forfaits-jour, est de «  commencer à noter leur temps de travail. Il faut qu’ils prennent conscience de leur temps de travail et commencent à y réfléchir  ».

Quatre jours ou trente-deux heures, l’amplitude du temps de travail pose aussi la question de la mise à distance d’un travail dégradé. Lorsque la chercheuse Fanny Vincent (2) a étudié les motivations des soignantes qui travaillent en douze heures, celles-ci lui ont expliqué être attachées à cette amplitude de temps de travail pour le temps libre qu’elle permet de dégager. Les douze heures constituent pour elles une façon d’accorder moins de place à un travail mal reconnu et épuisant. «  Quitte à venir travailler, autant venir pour douze heures, pour de bon, et ne pas voir à multiplier les jours de travail qui donnent l’impression d’être “tout le temps à l’hôpital”. […] Ce temps “de repos” gagné permet de compenser le stress et l’insatisfaction du travail grâce à un retrait plus long de la sphère du travail.  »

  1. Propos tirés de l’émission «  Espace de travail  » sur Mediapart, le 6 janvier 2023.
  2. Vincent Fanny, «  Travailler pour son “temps de repos”  ? Sens et usages du temps hors travail des soignantes en douze heures à l’hôpital public », Temporalités. Revue de sciences sociales et humaines n°20, 2014.