Édition 017 - mi-octobre 2022

L'ÉDITORIAL

#Balancetonsalaire
Par Sophie Binet, secrétaire générale de l’Ugict-Cgt

C’est par ce # que se multiplient, sur les réseaux sociaux, les messages de soutien aux salarié·e·s des raffineries.

Pour tenter de rendre impopulaire leur mobilisation, le patronat a organisé une manœuvre grossière  : rendre public le montant moyen des rémunérations du secteur, gonflé par l’intégration du salaire des cadres dirigeants et par les primes et heures sup liées à la pénibilité, au travail de nuit et le weekend… La stratégie classique du partage de la pénurie pour mettre les salarié·e·s en opposition entre eux et exonérer le capital. La Cgt a rétabli les faits  : dans la branche pétrole, plusieurs coefficients sont inférieurs au Smic. Un opérateur de raffinerie commence donc au Smic et y reste pendant de longues années. Le « consoliste », recruté au niveau bac +2, est rémunéré 2275 € brut mensuel… En outre, ces salarié·e·s sont soumis à des contraintes fortes  : travail de nuit, le weekend et en horaires décalés, pénibilité liée notamment à l’exposition aux produits chimiques, à la chaleur et aux bruits…

Les « exorbitantes » revendications des grévistes visent juste à maintenir leur pouvoir d’achat, alors qu’en 2021, Total Énergies a gelé les salaires et qu’en 2022, il s’est contenté de les augmenter de 2,35  %… en excluant les cadres qui ont été renvoyés à des augmentations individuelles et aléatoires. Est-ce utile de rappeler que dans le même temps, le PDG de Total Énergies, Patrick Pouyanné, a augmenté son salaire de 52  % et que les bénéfices de Total ont doublé ?

Dans ce contexte, que fait le gouvernement ? Il taxe les mégas profits – financés d’ailleurs par chacune et chacun d’entre nous du fait de l’explosion des factures d’énergie – ? Non. Il met tout son poids dans la balance pour ramener la direction des groupes pétroliers à la table des négociations ? Non. Il explique qu’il ne peut intervenir dans la gestion de groupes privés… mais réquisitionne les grévistes pour priver ainsi les salarié·e·s de tout rapport de force ! On ne joue pas avec le droit de grève ! La grève est une liberté fondamentale qui permet aux salarié·e·s de refuser de travailler à n’importe quel prix. Cette liberté est garantie par la Constitution française et par les normes internationales du travail. C’est d’ailleurs ce qui a valu à la France d’être sévèrement rappelée à l’ordre par l’Organisation internationale du travail suite à la réquisition des raffineries pendant les grèves de 2010 contre la réforme des retraites.

La gestion de ce conflit a valeur de symbole. La décision de réquisition confirme la collusion entre le gouvernement et les intérêts des 1  % les plus riches. Elle illustre le recul de l’intérêt général au plus haut sommet de l’État. Malgré des profits records, le patronat refuse de négocier pour maintenir les salaires face à l’inflation. Il continue la course aux profits en refusant de transformer le modèle productif pour répondre au défi environnemental. Les salaires subissent un tassement sans précédent  : en un an, le salaire des cadres et professions intermédiaires a baissé de 3,7  % en euros constants. C’est la raison pour laquelle la CGT revendique la mise en place d’une échelle mobile des salaires, pour que tous les salaires augmentent en même temps que le Smic. Avec #balancetonsalaire, les cadres et professions intermédiaires témoignent du déclassement et de la négation de leur qualification. Leurs témoignages illustrent la crise du travail qualifié et pointent le coût du capital. Comment, dans ce contexte, s’étonner des difficultés de recrutement de salariés qualifiés ?

Mais le calcul du gouvernement et du patronat s’avère perdant. La manœuvre de mise en opposition entre des salarié·e·s « favorisé·e·s » et les autres fait « flop » et a le mérite de décomplexer le débat sur les salaires. Les qualifications n’ont jamais été aussi mal payées en France. Le problème c’est que l’on vit de moins en moins bien de son travail, et toujours mieux de sa rente. La réquisition met le feu aux poudres et s’ajoute au rejet de la réforme des retraites. Alors que le gouvernement vient de lancer les concertations sur la réforme des retraites, la CGT appelle à une journée de grève et de manifestation le 18 octobre pour dire que ce sont les salaires qu’il faut augmenter, pas l’âge de la retraite. Dans le baromètre de l’Ugict-CGT, 42  % des cadres se disent prêts à faire grève pour défendre leur retraite et 38  % pour leur salaire. Gageons qu’ils et elles seront nombreu·x·ses dans les cortèges pour exiger la reconnaissance de leur travail !

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