Anthony Smith, inspecteur du travail  : «  Je n’ai fait que mon travail  »

Au tribunal administratif de Nancy, la rapporteure public a demandé l’annulation de la sanction prise, au cœur de la crise sanitaire, à l’encontre de l’inspecteur. Jugement autour du 19 octobre.

Édition 017 de mi-octobre 2022 [Sommaire]

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Anthony Smith, à la sortie du tribunal. La pétition pour le soutenir a recueilli 165000 signatures. DR
Au tribunal administratif de Nancy, la rapporteuse publique a demandé l’annulation de la sanction prise, au cœur de la crise sanitaire, à l’encontre de l’inspecteur. Le jugement rendu le 20 octobre est allé dans ce sens.

C’est un jour de combat et de soulagement. Le mercredi 28 septembre 2022 se tenait l’audience d’Anthony Smith au tribunal administratif de Nancy. Depuis 2020, cet inspecteur du travail, responsable Cgt, faisait l’objet d’une sanction disciplinaire qu’il jugeait injuste et qu’il contestait. À raison, si l’on en croit le compte rendu de la rapporteuse publique : Clémence Sousa Pereira a en effet estimé que les griefs pouvant être retenus contre Anthony Smith ne justifiaient pas sa mutation d’office. Elle a invité le tribunal administratif à annuler cette sanction au caractère disproportionné, avec le versement de 2 000 euros de dommages et intérêts. C’est chose faite depuis le 20 octobre dernier.

Cette audience, que beaucoup attendaient impatiemment, a permis d’entrer dans le fond du dossier. En 2020, en pleine crise du Covid, l’inspecteur du travail est suspendu, puis muté d’office. Sollicité par les représentants du personnel d’Aradopa, une association d’aide à domicile, Anthony Smith avait réclamé l’instauration de mesures de protection pour le personnel. Et préconisé notamment l’usage des masques chirurgicaux. À cette époque, la France en manque et le gouvernement les réserve au personnel soignant, dans les hôpitaux principalement.

Sanctionné pour avoir voulu protéger les salariés

C’est parce qu’il insiste face à la non-réaction de la direction de l’association et saisit en référé le tribunal de Reims pour imposer le port du masque qu’il est sanctionné par le ministère du Travail. Anthony Smith est alors en avance sur son temps. Plus tard, le masque deviendra la norme mais, à ce moment, le gouvernement s’obstine à répéter que les masques ne sont pas nécessaires. Une version sur laquelle ils reviendront vite, sans pour autant annuler les sanctions visant l’inspecteur trop précautionneux…

Il lui est reproché plusieurs faits, égrenés lors de l’audience du tribunal administratif de Nancy. Le grief le plus important est d’avoir insisté et réclamé la protection des salariés au moyen de masques. C’est sa responsabilité en temps qu’inspecteur du travail qui a été remise en cause par sa hiérarchie. Le droit est du côté d’Anthony Smith sur ce point, puisque cette décision d’alerter sur la nécessité de protéger les salariés est la mission même d’un inspecteur du travail. Ce grief a d’emblée été rejeté par la rapporteuse.

Cette dernière écarte aussi la suppression de mails dans sa boîte professionnelle, arguant qu’il n’est pas démontré qu’il a délibérément supprimé des informations. Il a d’ailleurs expliqué avoir supprimé ces courriels car sa boîte mail était saturée. Concernant sa non-présentation à un rendez-vous professionnel, la rapporteuse a expliqué qu’elle ne pouvait pas conserver cette faute, au motif qu’il fallait prévenir que ce rendez-vous était obligatoire et susceptible d’entraîner une sanction en cas d’absence.

Une sanction disproportionnée face à la faute commise

Il lui était enfin reproché d’avoir transmis à des collègues un courrier type pour faire valoir un droit de retrait. Or c’est sur décision judiciaire et non pas administrative que peut s’effectuer un droit de retrait. Si Anthony Smith a, de lui-même, rectifié le tir dès le lendemain en demandant à ses collègues de ne pas utiliser ce courrier, il est, pour la rapporteuse, constitutif d’une faute. De tous les faits qui lui étaient reprochés, seul ce dernier point est retenu contre lui. C’est pour cette raison qu’elle considère la sanction disproportionnée.

Dans cette affaire, Muriel Pénicaud puis Élisabeth Borne, ministres du Travail, font face à une opposition virulente. La pétition en faveur de l’inspecteur du travail, à l’initiative du comité de soutien, a récolté 165 000 signatures. L’ensemble des syndicats sont derrière lui, comme en témoigne le communiqué intersyndical de la fonction publique, qui appelait au rassemblement devant le tribunal, et auquel ont répondu une centaine de militants, de collègues et d’amis.

À la sortie du tribunal, Anthony Smith est conforté dans sa certitude d’avoir agi dans son bon droit. C’est à ses collègues qu’il pense alors, en rappelant qu’ils ne font qu’appliquer le Code du travail pour défendre les plus faibles..

Depuis le début, l’Ugict-Cgt s’est mobilisée pour que les inspecteurs et inspectrices du travail bénéficient de moyens pour remplir leurs missions et qu’ils puissent exercer librement leur responsabilité professionnelle. Le cas d’Anthony Smith est symptomatique de cette situation et a fait l’objet d’une motion de soutien, adoptée en septembre. C’est, parmi ses prérogatives, sa capacité à prendre des décisions qui a été remise en question. Sa situation est celle d’un fonctionnaire de l’État abandonné par sa hiérarchie. «  Il y a une forme de remise en cause de l’inspection du travail sur des motifs économiques et politiques  », estime Jésus De Carlos, cosecrétaire général de l’Ufict de la fédération Cgt des Services publics, pour qui le cas d’Anthony Smith est à rapprocher de celui des lanceurs d’alertes.

« Obligation de désobéissance »

La responsabilité professionnelle est définie comme la capacité d’agir indépendamment de la hiérarchie lorsque un intérêt public est en jeu. «  Il a obligation de désobéissance et doit agir parfois en contradiction avec les ordres donnés  », précise Jésus De Carlos. C’est cette indépendance qui a été attaquée dans cette affaire. «  Le fonctionnaire a le droit d’alerter sa hiérarchie lorsque les ordres donnés sont illégaux ou ne protègent pas les citoyens  » rappelle-t-il encore.

Ce dossier «  monté de toutes pièces  » d’après l’avocat d’Anthony Smith a été méthodiquement démantelé par la rapporteuse. Le verdict du tribunal sera connu aux alentours du 19 octobre, trois semaines après l’audience. Sauf surprise, le ministère public ne devrait pas faire appel. Le représentant du ministère l’a brièvement chuchoté devant la cour lors de sa prise de parole. Anthony Smith pourra alors légitiment retrouver son poste, non sans difficultés, comme s’en inquiète Jésus De Carlos : « Comment sa réintégration va-t-elle se passer ?  »

Arthur Brondy