Revue de presse -  Loi «  Asile et immigration  »  : colère intacte

Alors que 201 personnalités appellent à marcher, le 21 janvier, pour demander l’abandon de la loi dite « Darmanin », cette dernière continue de susciter des réactions virulentes. Comme en France, la presse étrangère constate « la victoire idéologique » du Rassemblement national. Une nouvelle alerte, pour toute l’Europe.

Édition 043 de mi-janvier 2024 [Sommaire]

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© Pessin

Un « tournant antirépublicain », une loi « scélérate » qui rompt avec les principes de la Sécurité sociale »… À peine la loi « Asile et immigration » adoptée en commission mixte paritaire, Sandrine Foulon, dans Alternatives économiques, s’inscrit dans la tonalité de ces commentaires en ouvrant son éditorial par ces trois mots cinglants  : « Honte, déshonneur, naufrage… ». Elle explique  : «  Puisqu’un accord vaut mieux que pas de loi du tout, le résultat est une litanie de durcissements  : remise en cause du droit du sol, restriction du regroupement familial, délit de séjour irrégulier, création de quotas d’étrangers, limitations de prestations sociales…  ».

À tel point que Michaela Wiegel, correspondante à Paris du Frankfurter Allgemeine Zeitung, n’hésite pas à en faire « l’une des lois sur l’immigration les plus strictes de l’UE  ». Elle est même l’aboutissement d’un « compromis humiliant avec les partis de droite  », écrit The Times, de centre droit, qui titre sur le triomphe de Marine Le Pen. Dans son éditorial, Fabien Gay, directeur de L’Humanité, fustige ainsi « la préférence de la haine  ». Il argumente  : « Les idées d’extrême droite sont maintenant posées dans une loi. Ce vent mauvais souffle partout dans le monde, en Europe, de l’Italie aux Pays-Bas et à la Hongrie, comme en témoigne également le renforcement de l’Europe forteresse (…) ».

Au Conseil constitutionnel de « faire le tri  »

Outre-Atlantique, Le New York Times commente, en revenant aux origines de l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence : «  Beaucoup ont vu dans cette loi une nouvelle preuve du virage à droite de M. Macron, qui a été élu pour la première fois en 2017 sur un programme libéral qui considérait la mondialisation et l’immigration comme une opportunité et défendait la démocratie libérale contre le populisme. Mais son gouvernement est devenu de plus en plus conservateur depuis lors  », écrivent Catherine Porter et Aurelien Breeden. Désormais, pour le président de la République, cette loi «  est le bouclier qui nous manquait  », a-t-il affirmé dans «  C à vous  » sur France 5.

Ce bouclier, il n’en apprécie pourtant pas «  toutes les dispositions adoptées  », a-t-il simultanément reconnu, en affaiblissant ainsi sa tentative de mise au point. Ce rappel est fait dans un éditorial du Monde qui juge ces explications «  alambiquées  ». Dans une attitude défensive pour le moins risquée  : «  Pour préserver à ce à quoi il tenait, (Emmanuel Macron) a préféré laisser faire la droite, puis s’en remettre au Conseil constitutionnel, qu’il a saisi pour faire le tri. Le choix de se défausser sur un sujet qui touche aux valeurs de la République est d’autant plus problématique qu’il va pousser la droite et l’extrême droite à intensifier leur croisade contre les juges, en cas d’invalidation partielle  ».

Par exemple, au motif d’une rupture d’égalité d’accès aux droits, contraire aux fondements de la Sécurité sociale. L’argument est notamment développé par Elvire Guillaud et Michaël Zemmour, dans une tribune au Monde. Pour les deux économistes, «  la loi (…) constitue une rupture politique sur de nombreux plans qui justifieraient amplement son abandon rapide. L’un d’entre eux est le domaine des politiques sociales. Sur la forme, en introduisant une restriction liée à la nationalité sur l’accès à une prestation de sécurité sociale, il rompt avec les principes historiques de celle-ci, instaurant un lien direct entre cotisation et affiliation. Sur le fond, la réforme, si elle était appliquée, provoquerait un appauvrissement important de familles et d’enfants, français ou non, avec des conséquences sociales dramatiques à court et à long terme  ».

Des appels à résister à une loi hors-sol

Alors que les appels à la mobilisation, à la résistance et à la désobéissance se multiplient, comme le relate Reporterre, Libération revient à la charge, en ce 5 janvier, en consacrant une nouvelle Une à la loi, titrée  : « Faux remède, vrai poison ». Aux côtés d’un reportage auprès d’assistants sociaux désemparés, le quotidien propose au lecteur de faire un pas de côté en publiant un entretien avec Anne-Claire Defossez et Didier Fassin, auteurs d’un livre sur l’exil en France (L’exil, toujours recommencé, Le Seuil, 2024). Après avoir réalisé cinq ans d’enquête à la frontière franco-italienne auprès des exilés, les deux universitaires y jugent la loi adoptée complètement déconnectée de ce qu’ils ont observé dans les Alpes.

De quoi, en réalité, cette loi est-elle le résultat ? questionne l’auteur de l’entretien, Thibaut Sardier. « De quarante ans de saturation de l’espace politique et médiatique par le thème de l’immigration, lancé par l’extrême droite, repris par la droite, aujourd’hui adopté par le gouvernement, sous prétexte qu’il y aurait une attente des Français en la matière, répond Anne-Claire Defossez. Or, les sondages montrent que l’immigration, même irrégulière, n’est pas dans les priorités des personnes interrogées qui mettent au premier rang de leurs préoccupations la santé, l’inflation, l’éducation, la précarité »  : tous domaines que les pouvoirs publics ont délaissés.

Christine Labbe

Appel pour marcher : Le 21 janvier 2024, marchons pour la liberté, l’égalité, la fraternité