Chronique juridique -  Congés payés : jurisprudence favorable de la Cour de cassation

Le droit aux congés payés, droit fondamental des travailleurs, voit son effectivité renforcée par quatre décisions de la chambre sociale de la Cour de cassation. Cette jurisprudence, en date du 13 septembre 2023, est à mobiliser dans les entreprises notamment dans les négociations d’accords collectifs.

Édition 038 de fin octobre 2023 [Sommaire]

Temps de lecture : 7 minutes

Les quatre décisions prises par la Cour de cassation le 13 septembre mettent en œuvre le droit de l’Union européenne tel qu’il est interprété par la Cour de justice de l’Union européenne de Luxembourg.

Le droit de l’Union figure en particulier dans :

– la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne («  Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés.  », article 31, paragraphe 2)  ;

– la directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (qui actualise la directive la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993). La directive n° 2003/88/CE prévoit notamment : «  Article 7, Congé annuel  :

1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. 

2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.  » 

La jurisprudence de la Cour de justice s’est développée notamment à partir d’un arrêt de 2009 (Cjce, grande chambre, 20 janvier 2009, C-350/06 et C-520/06). 

Selon cet arrêt, «  la finalité du droit au congé annuel payé est de permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs  ».

Par conséquent, «  ce droit au congé annuel payé, […] principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière, est donc accordé à chaque travailleur, quel que soit son état de santé ».

En effet, «  la naissance du droit au congé annuel […] n’est en soi pas liée à la condition d’une prestation effective de travail préalable en sorte que ces droits sont reconnus au travailleur, même si celui-ci a été absent tout au long de l’année de référence pour maladie ».

Cette jurisprudence est applicable en droit interne depuis 2009 selon différentes modalités.

Cependant, ces droits ont trop longtemps été ignorés et n’ont donc été que faiblement mis en œuvre.

D’autre part, la mise en œuvre effective du droit de l’Union a trop souvent été bloquée du fait de la méconnaissance de l’articulation entre le droit de l’Union et le droit national. Quelques rappels : le droit de l’Union fixe des prescriptions minimales, les États membres peuvent prévoir des dispositions plus favorables ; la primauté du droit de l’Union sur le droit national est applicable depuis le début des années 1960 ; les juges du travail, en premier lieu, ont l’obligation d’appliquer le droit de l’Union.

Ainsi, les arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 rendent publics les progrès du droit de l’Union européenne en matière de congés payés. Ces arrêts confirment que ces progrès européens sont pleinement applicables en droit interne dans les entreprises. 

1) Arrêt sur le droit à congés payés du salarié ayant été en arrêt de travail pour maladie 

Selon la Cour de cassation, chambre sociale :

«  13. S’agissant d’un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, les dispositions de l’article L. 3141-3 du Code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l’exécution d’un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l’Union. 

14. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale. 

15. Il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L. 3141-3 du Code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un travail effectif l’acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du Code du travail. 

16. La cour d’appel, après avoir, à bon droit, écarté partiellement les dispositions de droit interne contraires à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, a exactement décidé que les salariés avaient acquis des droits à congé payé pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle.  » 

La cour d’appel avait appliqué le droit de l’Union et écarté les dispositions contraires du Code du travail. Le pourvoi de l’employeur contre cet arrêt est rejeté.

Par conséquent, le salarié pendant un arrêt de travail pour maladie continue d’acquérir des droits à congés payés, légaux (cinq semaines par an) et conventionnels.

2) Arrêt sur le droit à congés payés du salarié ayant été en arrêt de travail à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelles

Selon la Cour de cassation, chambre sociale :

«  22. S’agissant d’un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause d’accident de travail ou de maladie professionnelle, au-delà d’une durée ininterrompue d’un an, le droit interne ne permet pas […] une interprétation conforme au droit de l’Union. 

23. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale. 

24. Il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L. 3141-5 du Code du travail en ce qu’elles limitent à une durée ininterrompue d’un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congé payé et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du Code du travail. 

25. Pour limiter à une certaine somme la condamnation de l’employeur au titre de l’indemnité de congé payé, l’arrêt retient que l’article 7 de la directive 2003/88/CE, qui doit guider le juge dans l’interprétation des textes, n’est pas d’application directe en droit interne quand l’employeur n’est pas une autorité publique. Il ajoute que la période écoulée entre la date de l’arrêt de travail du 21 février 2014 et expirant un an après, soit le 21 février 2015, ouvre droit à congés payés, mais nullement la période qui a suivi.  » 

La cour d’appel n’avait pas appliqué le droit de l’Union et n’avait pas écarté les dispositions contraires du Code du travail. Son arrêt est cassé.

Par conséquent, le salarié pendant un arrêt de travail suite à un accident du travail ou à une maladie professionnelle continue d’acquérir des droits à congés payés, légaux (cinq semaines par an) et conventionnels, sans que la limite d’un an ne soit plus applicable.

3) Arrêt sur la prescription des droits à congés payés 

Selon la Cour de cassation, chambre sociale :

«  20. Il y a donc lieu de juger désormais que, lorsque l’employeur oppose la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congés payés doit être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé. 

21. Pour rejeter la demande en paiement d’indemnité de congé payé pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014- 2015, l’arrêt retient que l’action en paiement de l’indemnité de congé payé est soumise à la prescription triennale, applicable aux salaires et que, dès lors, la demande en paiement de la salariée n’est recevable que pour partie. 

22. En statuant ainsi, sans constater que l’employeur justifiait avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer à la salariée la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, la cour d’appel a violé les textes susvisés.  » 

La cour d’appel n’avait pas appliqué le droit de l’Union et n’avait pas écarté les dispositions contraires du Code du travail. Son arrêt est cassé.

Par conséquent, le salarié qui n’a pas bénéficié de congés payés, le cas échéant pendant plusieurs années, peut obtenir le versement de l’indemnité de congés payés quand le contrat de travail est rompu ou des jours de congés quand le contrat est toujours en vigueur.

4) Arrêt sur le report des droits à congés payés

Selon la Cour de cassation, chambre sociale :

«  14. Il y a donc lieu de juger désormais qu’il résulte des articles L. 3141-1 et L. 1225-55 du Code du travail, interprétés à la lumière de la Directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010, portant application de l’accord-cadre révisé sur le congé parental, que lorsque le salarié s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l’année de référence en raison de l’exercice de son droit au congé parental, les congés payés acquis à la date du début du congé parental doivent être reportés après la date de reprise du travail » 

Le conseil de prud’hommes n’avait pas appliqué le droit de l’Union. Son jugement est cassé.

Par conséquent, la ou le salarié peut reporter ses droits acquis en matière de congés payés, après son retour de congé parental.

Bibliographie et sitographie  :