Chronique juridique -  Fonction publique  : le cas des congés annuels non pris pour raisons de santé

Même si le droit français ne prévoit ni report des congés non pris, ni indemnité compensatrice, le droit européen permet aux agents publics s’estimant lésés de se défendre.

Édition 014 de mi-juillet 2022 [Sommaire]

Temps de lecture : 4 minutes

Même si le droit français ne prévoit ni report des congés non pris, ni indemnité compensatrice, le droit européen permet aux agents publics s’estimant lésés de se défendre.

La directive 2003/88/Ce du 4 novembre 2003, relative à certains aspects de l’aménagement du temps de travail dispose que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour que tout travailleur (y compris les agents publics) bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines et que cette période minimale de congé ne puisse être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de la relation de travail.

Ce que dit la jurisprudence européenne

Sur ce fondement, la jurisprudence européenne a précisé les modalités de report et de versement d’une indemnité compensatrice des congés annuels non pris en cas de fin de relation de travail (Cjue, 6 novembre 2018, aff. C-619/16) et notamment en cas d’impossibilité pour l’agent de reprendre ses fonctions à l’issue d’un congé de longue maladie ou de longue durée (Cjue, 20 janvier 2009, aff. C-350/06 et C-520/06) de mise à la retraite pour invalidité (Cjue, 3 mai 2012, aff. C – 337/10), ou en cas de décès de l’agent (Cjue, 12 juin 2014, aff. C-118/13). Le montant de l’indemnité compensatrice devant, alors, correspondre à la rémunération que l’intéressé aurait perçue s’il avait pu prendre son congé annuel (Cjue, 20 janvier 2009, précité et Cjue, 16 mars 2006, aff. C-131/04 et C-257/04). 

Les États membres demeurent néanmoins libres de prévoir, ou non, un droit de report ou à indemnité financière des jours de congé annuel payé excédant la période minimale de quatre semaines (Cjue, 19 novembre 2019, aff. C-609/17 et C-610/17).

L’application en droit interne

La réglementation nationale en vigueur au sein des trois versants de la fonction publique (1) n’a pas évolué sur la question du droit à report ou, en fin de relation de travail, à indemnisation des congés annuels non pris. Il résulte du principe de primauté du droit européen sur les normes de droit interne (Cjue, 15 juillet 1964, aff. C-6/64), qui s’imposent à l’ensemble des autorités nationales, que l’administration chargée d’appliquer les dispositions d’une directive est tenue d’en assurer le plein effet en laissant inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition nationale contraire. 

Ainsi, actuellement, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit ni le report ni le versement d’une indemnité compensatrice lorsque le fonctionnaire n’a pas pris ses congés annuels. Aussi, la directive précitée doit-elle s’appliquer, même sans texte de droit interne.

Par ailleurs, le Conseil d’État s’est inscrit dans la jurisprudence européenne en considérant que le droit au report des congés non pris s’exerce, en l’absence de dispositions nationales, dans la limite des quatre semaines prévue par l’article 7 de la directive 2003/88/CE précitée, et sur une période maximale de quinze mois après le terme de l’année de référence (CE, 26 avril 2017, req. n° 406009).

Toutefois, à l’occasion d’une question d’une parlementaire, le ministère chargé de la Fonction publique indique qu’un projet de décret portant modification de la réglementation relative au report et à l’indemnisation des congés annuels non pris par les agents de la fonction publique hospitalière est actuellement en cours d’élaboration. Il est également prévu que les décrets relatifs aux congés annuels des fonctionnaires de l’État et des fonctionnaires territoriaux soient modifiés pour tenir compte des dispositions de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, sans toutefois que les modalités en soient précisément arrêtées à ce jour (2).

Dans cette attente, l’administration a l’obligation d’écarter tout texte interne contraire aux dispositions de ladite directive et d’autoriser le report des congés annuels non pris en raison d’un congé de maladie ou de longue durée, dans la limite de vingt jours par année civile et sur une période maximale de quinze mois, et de procéder, le cas échéant, à leur indemnisation conformément à la jurisprudence précitée.

Les conditions de mise en œuvre

Il appartient à l’autorité d’emploi d’accorder automatiquement le report des congés annuels non pris pour cause de maladie. Les agents publics qui n’ont pas pu prendre leurs congés annuels pour cause de maladie peuvent reporter ces congés annuels non pris dans les conditions fixées par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (voir ci-dessus) et la jurisprudence administrative (CE, 26 avril 2017, précité).

À ce titre, le juge européen estime, d’une part, qu’une demande présentée au-delà d’une période de quinze mois qui suit l’année au titre de laquelle les droits à congés ont été ouverts, peut être rejetée par l’employeur et, d’autre part, que le report doit s’exercer dans la limite d’un congé annuel de quatre semaines.

En outre, il est de jurisprudence constante, d’une part, que les dates de ces congés restent soumises à l’accord exprès du chef de service (Caa de Bordeaux, 6 novembre 2003, req. n° 99BX02762)  ; et, d’autre part, que tout refus de congé doit se fonder sur les nécessités de service (Caa de Nantes, 25 avril 2013, req. n° 12NT00320). Le Conseil d’État rappelle également qu’aucune disposition n’autorise une autorité hiérarchique à placer d’office un agent en congé annuel (CE, 25 juin 2014, req. n° 354376). En revanche, l’autorité d’administrative peut fixer le calendrier des congés dans l’intérêt du service (Caa de Bordeaux, 13 juillet 2000, req. n° 96BX01489).

Congés non pris et transfert sur le compte épargne temps

Une récente réponse ministérielle (3) rappelle que l’agent en congé de maladie ordinaire a la possibilité d’alimenter son Cet dans les conditions de droit commun. Tout refus opposé à une demande de congés au titre du compte épargne-temps doit être motivé par l’autorité hiérarchique (4). En cas de refus, l’agent peut former un recours devant l’autorité dont il relève, qui statue après consultation de la commission administrative paritaire.

  1. Décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l’État  ; décret n° 85-1250 du 26 novembre 1985 relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux  ; et décret n° 2002-8 du 4 janvier 2002 relatif aux congés annuels des agents des établissements mentionnés à l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.
  2. Réponse à la question écrite n° 32557, publiée au JO A.N du 3 mai 2022.
  3. Réponse à la question écrite n° 27028, publiée au JO Sénat du 14 avril 2022.
  4. Voir, par exemple  : art. 10 du décret n° 2004-878 du 26 août 2004, relatif au compte épargne-temps dans la fonction publique territoriale.

Edoardo Marquès

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