Fin de l’ISF, « flat tax », baisse de l’impôt sur les sociétés  : au bonheur des plus riches, selon un comité d’évaluation

La réforme fiscale sur le capital devait permettre une réorientation des patrimoines et de l’épargne vers l’économie réelle. Échec : cinq ans après sa mise en œuvre, elle se révèle inefficace.

Édition 039 de mi-novembre 2023 [Sommaire]

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Pour le Comité d’évaluation, l’augmentation des dividendes a été en grande partie permise par l’instauration de la « flat tax ». © IP3 PRESS/MAXPPP

«  C’est une réforme pour produire, pas un cadeau pour les plus fortunés  ». En 2019, ainsi s’exprimait Emmanuel Macron, lors d’une conférence de presse, pour défendre la fin de l’Impôt sur la fortune (ISF). Quatre ans plus tard, alors que le Parlement examine le Projet de loi de finances pour 2024, le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, placé sous l’égide de Matignon, dresse un bilan pour le moins cruel de la politique de baisses d’impôts, en contredisant presque point par point l’affirmation du président de la République.

Plusieurs composantes de la réforme fiscale sur le capital y sont ainsi évaluées, dans son rapport final. À commencer par le remplacement, en 2018, de l’ISF par l’IFI (Impôts sur la fortune immobilière). Parmi les foyers qui s’acquittaient du premier impôt en 2017, les deux tiers environ n’étaient plus assujettis au second, un an plus tard. Cette première donnée est complétée par une autre, tout aussi éclairante  : ceux qui sont restés à l’IFI ont vu leur impôt sur la fortune passer de 10 000 euros à 5 000 euros en moyenne.

Plus de 4 milliards d’euros de pertes fiscales

L’argument d’une réforme faite « pour produire » », en réorientant les placements ainsi libérés vers l’économie réelle, n’est pas vérifié, explique le Comité dans son avis  : « À ce stade, on n’observe pas, sur les foyers anciennement assujettis à l’ISF, de réorientation de leur patrimoine en défaveur de l’immobilier ». Ce qui se confirme en revanche, c’est l’assèchement des recettes de l’État  : « En 2022, le coût budgétaire du remplacement de l’ISF par l’IFI serait vraisemblablement supérieur à 4 milliards d’euros », écrit-il encore. Des recettes potentielles qui manquent aujourd’hui au budget de l’État, alors que se creuse le décalage entre besoins sociaux et moyens des services publics, documenté par le collectif Nos services publics.

La seconde composante évaluée par le rapport est la mise en place du PFU (Prélèvement forfaitaire unique) sur les revenus de l’épargne, ou « flat tax ». En 2019, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, affichait un bel enthousiasme  : « (…) sans aucun doute la vraie révolution fiscale (du projet de loi de finances) et probablement ce qui améliore le plus le financement, la croissance et l’emploi dans notre pays ». Enthousiasme douché, toujours quatre ans plus tard, si l’on considère les maigres résultats d’un dispositif limitant la taxation des revenus du capital à 30  % (12,8  % au titre de l’impôt sur le revenu et 17,2  % au titre des prélèvements sociaux). Ce qui apparaît nettement en revanche, durant la période étudiée, c’est la hausse des dividendes déclarés par les ménages au titre de 2018 à 2020, à hauteur de 23 milliards d’euros, contre 14 milliards de 2013 à 2017. Or, estime le Comité, « la majorité de cette augmentation a bien été causée par l’instauration du PFU ».

Pas d’impact sur les investissements et les salaires

Le bilan de la politique de l’offre pourrait, pourtant, ne pas être aussi négatif si l’argent disponible permettait le financement de l’économie réelle. De ce point de vue, le rapport contient une note plus positive que les autres  : si les créations d’entreprises ont été dynamiques avant et après 2018, elles l’ont été d’autant plus dans les secteurs d’activité ayant bénéficié des réformes de la fiscalité du capital. Pour le reste, l’échec est pour l’heure patent  : dans les entreprises les plus exposées à la flat tax, « les travaux de recherche n’ont pas détecté d’impact (du PFU) sur l’investissement et les salaires  ». L’avis enfonce le clou  : « Cette absence d’effet identifié sur l’investissement (…) s’inscrit en fait dans la lignée de nombreuses études académiques disponibles au niveau international, qui échouent à mettre en évidence qu’une modification de la fiscalité du capital pesant sur les ménages puisse avoir un effet notable sur le comportement réel des entreprises, tant en termes d’investissement que de demande de travail (emploi et niveau de rémunération des salariés) ».

« Ça ne ruissèle toujours pas ! » commentait la CGT, voici un an, lors de la remise d’un rapport intermédiaire. Le commentaire, met en évidence le Comité dans son évaluation finale, est toujours d’actualité. Il trouve un écho dans le récent rapport de l’Observatoire européen de la fiscalité sur l’évasion fiscale, dont l’une des propositions est l’instauration d’une taxe mondiale minimale sur la fortune des plus riches. Avec un triple objectif : la lutte contre les inégalités, l’acceptation de l’impôt et l’accroissement des recettes des États.

Enfin, la chute attendue du nombre d’expatriés fiscaux n’a pas, non plus, eu lieu. Certes, depuis 2018, les retours de contribuables assujettis à l’Impôt sur la fortune immobilière dépassent les départs à l’étranger. Mais ce phénomène est limité à de petits effectifs, de l’ordre de quelques centaines à peine. En outre, note le Comité, si un solde favorable peut ainsi être noté, « on ne peut rigoureusement conclure à un effet causal » avec la réforme de la fiscalité, faute de recul suffisant.

Retour en 2019  : interrogé sur les motivations de la réforme fiscale sur le capital, Emmanuel Macron affichait sa volonté de « pragmatisme », en affirmant  : « Nous regarderons son efficacité  ». Si le Comité d’évaluation, composé d’économistes, de représentants de l’administration et de partenaires sociaux, démontre qu’elle n’a pas atteint son objectif, le pragmatisme est reporté à plus tard… En atteste l’adoption, après le recours au 13e 49.3 depuis la prise de fonction d’Elisabeth Borne, du projet de loi de finances 2024 dans sa partie « recettes », toujours calé sur la même antienne  : pas de hausse d’impôts, y compris par un relèvement du taux de Prélèvement forfaitaire unique, un temps évoqué.

Christine Labbe