Si elle a le mérite de pointer les limites du système fiscal international, la taxe dite Gafa reste symbolique face à l’ampleur de l’évasion fiscale.
C’est « une étape » vers une « fiscalité plus juste et plus efficace ». C’est ainsi que le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a défendu la « taxe Gafa » (pour Google, Amazon, Facebook et Apple) adoptée en première lecture par les députés, le 8 avril. Elle concernera les entreprises dont le chiffre d’affaires sur les activités numériques est supérieur à 750 millions d’euros dans le monde et à 25 millions en France. Selon le gouvernement, cette taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires réalisé dans l’Hexagone devrait rapporter à l’État quelque 400 millions d’euros en 2019, puis 650 millions entre 2020 et 2022, des rentrées fiscales destinées notamment au financement des mesures d’urgence annoncées en décembre par Emmanuel Macron. Au niveau international, une trentaine de groupes sont concernés, et une seule entreprise française.
Ce qui échappe à la taxe Gafa
Si cette taxe a au moins un mérite, c’est celui de « pointer les limites du système fiscal international », les géants du numérique parvenant facilement à délocaliser leurs profits du fait de l’immatérialité de leurs activités. Le constat est dressé par les organisations de la plateforme Paradis fiscaux et judiciaires, composée d’Ong et de syndicats, dont la Cgt. Mais elle reste symbolique : « Elle ne constitue qu’une proposition très limitée pour taxer quelques entreprises alors que l’évasion fiscale des multinationales est un problème généralisé », expliquent les Ong. Selon les estimations, l’évasion fiscale priverait en effet le budget de l’État de 80 à 100 milliards d’euros par an.
Pourquoi symbolique ? D’une part parce que les Gafa ne seront taxés que sur une partie de leur activité : le chiffre d’affaires réalisé sur la vente des données personnelles des utilisateurs ; le revenu issu des publicités en ligne ; l’« intermédiation » enfin, c’est-à-dire la mise en relation des entreprises et des clients par les plateformes. Elle ne s’intéresse, d’autre part, qu’aux activités numériques de ces groupes. Si elle peut ainsi être en partie efficace pour taxer les activités de Facebook ou d’Apple, elle le sera beaucoup moins pour les entreprises ayant des activités majoritairement « hors numérique », comme Amazon, Microsoft ou Apple. Pour ne citer qu’un exemple, à peine 21 % de l’activité d’Amazon sont ciblés. Au final, la taxe ne s’appliquera pas à 64 % du chiffre d’affaires cumulé de ces entreprises, montre une étude publiée par Attac sur les Gafa, auxquelles elle a ajouté Microsoft (les Gafam). Elle est en outre « fragile juridiquement », explique Michaël Wicke, secrétaire de la fédération Cgt des Finances, qui parle d’une taxe « ciblant un seul secteur, basée sur le chiffre d’affaires et non les profits ».
La place des pays en développement
En réalité, si la totalité des bénéfices correspondant à leurs activités sur le territoire avait été déclarée en France, les cinq géants du numérique auraient dû, en 2017, payer 623 millions d’euros d’impôt. « La taxe Gafa ne rétablit en rien la justice fiscale, et les géants du numérique vont continuer à échapper à l’impôt », réagit ainsi Attac, qui propose, avec les organisations de la plateforme, une taxation unitaire des multinationales. Cela suppose de les considérer comme des entités uniques, pour éviter qu’elles transfèrent artificiellement leurs bénéfices d’une filiale à l’autre et d’une juridiction à l’autre.
Bruno Le Maire espère pourtant que sa taxe servira de levier aux négociations internationales menées actuellement sur la base de la note présentée en janvier par l’Ocde sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Deux principes y sont présentés : un taux d’imposition minimum sur les profits ; la taxation des entreprises même sans présence physique sur un territoire donné. Pressée par différents scandales comme ceux des Panama Papers ou des Paradise Papers, l’Ocde veut présenter un projet au G20 en 2020. Si accord il y a, « la France retirera naturellement sa taxe nationale », a affirmé Bruno Le Maire.
Quelle que soit l’issue de ces négociations, cela ne suffira pas. « Ce sont les pays en développement qui sont les premières victimes de l’optimisation, de l’évasion et de la fraude fiscales », souligne Michaël Wicke, qui, dans un document décryptant les stratégies d’évasion fiscale, critique « le quasi-monopole des pays de l’Ocde dans la détermination de la fiscalité internationale » (1). D’où la nécessité d’associer les pays en développement au processus de remise à plat du système, comme le souhaitent les organisations de la plateforme sur les paradis fiscaux. Les 132 États du G77 demandent ainsi la création d’un organisme fiscal intégré à l’Onu, afin que tous les États puissent travailler à la définition de nouvelles règles, sur un pied d’égalité.
Christine LABBE
1. Cgt, « Analyses et documents économiques », n° 122, juin 2016.
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