Pour la paix en Ukraine, les raisons de se mobiliser

Dans une note dédiée, la Cgt expose son analyse de la guerre déclenchée le 24 février dernier et des positions syndicales qui s’expriment, en Ukraine comme en Russie. Questions à Pierre Coutaz, conseiller confédéral au secteur international.

Édition 005 de mi-mars 2022 [Sommaire]

Temps de lecture : 5 minutes

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En Russie, la « propagande » pacifiste est passible d’une réclusion criminelle de 15 ans © YURI KOCHETKOV / EPA / MAXPPP
Dans une note dédiée, la Cgt expose son analyse de la guerre déclenchée le 24 février et des positions syndicales qui s’expriment, en Ukraine comme en Russie. Questions à Pierre Coutaz, conseiller confédéral au secteur international.

Quelle analyse la Cgt fait-elle du déclenchement de la guerre  ?

Incontestablement, la responsabilité de cette guerre revient à Vladimir Poutine. Il en rêve depuis des années. Il en a fixé lui-même l’ampleur et la temporalité. Vladimir Poutine est au pouvoir depuis vingt-deux ans. L’homme est enfermé dans ses certitudes et enivré par son propre pouvoir. Même s’il est très entouré, il gouverne seul. Ses proches ne lui disent que ce qu’il est capable d’entendre. Si les Occidentaux ont une responsabilité, c’est d’abord et surtout celle de l’avoir laissé annexer la Crimée en 2014 et d’avoir, au fil du temps, entériné la situation, y compris sur un plan géopolitique.

Quel rôle a joué l’Otan  ?

Depuis 2008, l’organisation transatlantique a joué un jeu dangereux en ayant laissé envisager une adhésion à plusieurs pays de l’ex-Urss, l’Ukraine et la Géorgie notamment. Au moment de l’unification de l’Allemagne, elle avait exclu la possibilité de toute extension de l’alliance vers l’est. Et puis, il y a eu la chute de l’Urss, l’élargissement de l’Otan à la Pologne, à la Hongrie, à la République tchèque puis à sept autres pays, dont les pays baltes. En aucun cas, ce processus n’a apporté la paix promise. En Europe, les frontières continuent, de gré ou de force, d’être redessinées, et plusieurs conflits non résolus couvent sur le continent. Mais notons que, dès le 24 février au soir, Joe Biden a clairement exclu toute intervention de l’organisation. Ce qui démontre, espérons-le, qu’il a conscience des conséquences qu’une telle intervention pourrait avoir.

«  Élu par une jeunesse qui rêve de paix et d’ouverture, Volodymyr Zelensky n’est ni dans la surenchère ni dans la provocation à l’égard de la Russie. C’est un libéral qui porte la responsabilité d’une réforme amoindrissant gravement les dispositions du Code du travail, mais certainement pas un nazi.  »

Quelle analyse faites-vous du prétexte avancé par Vladimir Poutine sur l’urgence d’une « opération de dénazification » du pays  ?

Certes, lors des mobilisations de Maïdan qui ont conduit, en 2014, à la chute de Viktor Yanoukovitch, puis à la prise de la Crimée et à la guerre dans le Donbass, de nombreux groupes d’extrême droite ont occupé la rue et fait régner la terreur en pesant sur le président Petro Porochenko et son administration. Mais le contexte est bien différent aujourd’hui. Élu par une jeunesse qui rêve de paix et d’ouverture, Volodymyr Zelensky n’est ni dans la surenchère ni dans la provocation à l’égard de la Russie. C’est un libéral qui porte la responsabilité d’une réforme amoindrissant gravement les dispositions du Code du travail, mais certainement pas un nazi. Ni un drogué comme l’affirme la propagande du Kremlin ! En revanche, on connaît les liens de Poutine et de son parti avec de nombreuses formations d’extrême droite en Europe !

Des contacts que vous pouvez avoir avec les syndicats ukrainiens, que pouvez-vous nous dire de leur état d’esprit  ? Et qu’en dit la population  ?

Les deux organisations syndicales du pays, la Fpu et la Kvpu, affiliées toutes deux à la Csi, s’accordent à appeler à résister à l’agression russe, et à ce qu’elles dénoncent comme des forces d’occupation. Cette unité est remarquable. Toutes deux réclament le maintien des pressions diplomatiques et économiques internationales sur la Fédération de Russie, le retrait des troupes russes du territoire ukrainien et le soutien défensif et financier des nations étrangères. Des dizaines de militants syndicaux se sont engagés dans les détachements populaires de résistance. À la sidération des deux premiers jours succède une résistance de plus en plus ouverte.

Et en Russie, comment les choses se passent-elles  ?

Pour une grande majorité de la population, la guerre contre le peuple ukrainien est tout simplement inconcevable. La télévision d’État concentre  son récit sur les combats qui se déroulent dans les « républiques populaires  » de l’Est de l’Ukraine, comme s’il s’agissait juste d’une opération de protection des populations civiles de ces régions. Autrement dit, la majorité des Russes n’est pas au courant que leur pays a envahi l’ensemble de l’Ukraine. Mais, malgré la répression, le mouvement pour la paix prend de l’ampleur. Les lettres ouvertes et les pétitions se multiplient. L’une d’entre elles a déjà recueilli plus d’un million de signatures.

Et au niveau syndical  ?

Les deux organisations russes se sont exprimées sur le sujet le jour même de l’invasion pour la Fnpr, et le lendemain pour la Ktr. La première pour soutenir sans condition le président Poutine en lui demandant simplement d’être attentif à l’économie en cette période difficile  ; une déclaration qui reprend les arguments présidentiels de façon tellement scandaleuse que des dizaines d’organisations ont demandé l’exclusion du syndicat de la Csi. La seconde, la Ktr, a fait une déclaration particulièrement courageuse compte tenu du contexte, où désormais la propagande pacifiste est passible d’une réclusion criminelle de quinze ans. S’affirmant comme partie intégrante du « mouvement syndical international » et « se sentant directement responsable envers les travailleurs de Russie, d’Ukraine et du monde entier », elle a exprimé sa « confiance dans la nécessité d’une cessation rapide des hostilités, la reprise d’un dialogue pacifique et la coexistence entre les peuples multinationaux de Russie et d’Ukraine  ».

« La Ktr a fait une déclaration particulièrement courageuse […]. S’affirmant comme partie intégrante du “mouvement syndical international” et “se sentant directement responsable envers les travailleurs de Russie, d’Ukraine et du monde entier”, elle a exprimé sa “confiance [dans] la reprise d’un dialogue pacifique et la coexistence entre les peuples multinationaux de Russie et d’Ukraine”. »

Comment les organisations syndicales internationales réagissent-elles à ce conflit  ?

Dès le 24 février, la Ces et la Csi ont réagi par une déclaration commune en appelant à la « cessation immédiate des hostilités et du conflit », demandant que soient «  engagées des négociations de bonne foi pour résoudre cette crise dans l’intérêt des populations  ». Ensemble, toutes deux ont réclamé  que des « mesures urgentes soient prises pour que, tous ensemble, les responsables politiques concernés définissent un cadre pour la sécurité commune, à l’instar de celui initié à Helsinki  ». Autrement dit, mettent fin au cadre de l’Otan pour lui en substituer un nouveau. C’est important de le dire, comme ça l’est de rapporter la réaction des syndicalistes du Congrès des syndicats démocratiques du Bélarus, le Bkpd, organisation qui, non seulement, a vivement condamné «  le fait que le gouvernement russe ait déclenché une guerre contre l’Ukraine aujourd’hui [mais aussi] que l’agresseur ait envahi l’Ukraine depuis le territoire du Bélarus  ».

Quelle place la Cgt peut-elle tenir pour retrouver le chemin de la paix  ?

Si les sanctions sont nécessaires, elles ne peuvent suffire. Le principal espoir réside dans la résistance de la population ukrainienne et dans l’aspiration au changement des peuples de Russie et du Bélarus. D’où l’urgence de renforcer la solidarité. Le premier jour de la guerre, la Cgt a participé à une manifestation à Bruxelles avec le mouvement syndical européen et international. Nous appelons tous les salariés à se joindre à toutes les initiatives qui militent pour la paix en Ukraine et contre l’inacceptable agression dont Vladimir Poutine s’est rendu coupable. Pour concrétiser notre engagement, nous travaillons, avec d’autres organisations syndicales, à l’envoi d’un convoi chargé de produits de première nécessité et matériels de soin aux blessés, sur le modèle du convoi syndical pour la Tchétchénie que nous avions soutenu dans les années 1990. »

Propos recueillis par Martine Hassoun

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