La crise sanitaire a particulièrement malmené les jeunes, à tous points de vue. Leur insertion professionnelle s’annonce encore plus difficile, d’autant que leur regard sur le monde du travail s’est parfois modifié.
« J’avais 20 ans. Je ne laisserai jamais personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » Le célèbre incipit du roman de Paul Nizan Aden Arabie (1931) semble particulièrement approprié à l’état d’esprit de toute une génération de jeunes meurtris par dix-huit mois de crise sanitaire. Avant le Covid, les perspectives leur semblaient déjà incertaines : un taux d’emploi toujours bien inférieur chez les moins de 28 ans, des conditions d’entrée dans le travail dégradées – déclassement des postes et des salaires par rapport au niveau de diplôme, inégalités persistantes entre femmes et hommes, précarité récurrente toutes qualifications confondues etc.
Au vu des dérèglements climatiques déjà en cours, cette génération est d’autant plus certaine de vivre moins bien que les précédentes. S’y ajoute désormais la crise sanitaire, sur fond de déficits publics et sociaux gigantesques : ils devront sans doute payer pour le « quoi qu’il en coûte », dont ils ont pourtant été les oubliés.
Perspectives incertaines, motivations en berne
Difficile d’évaluer aujourd’hui toutes les conséquences de la pandémie en cours. Dans l’enseignement secondaire, les apprentissages ont été compromis par l’impossibilité d’assurer en distanciel une réelle continuité pédagogique. Pire encore, dans le technique et le professionnel, l’arrêt de l’activité économique a souvent privé les lycéens de stages en entreprise, parties intégrantes de leur formation, déterminants pour leur insertion professionnelle.
Côté étudiants, malgré les efforts des enseignants pour innover sans réels moyens, deux années universitaires sans cours ni travaux dirigés en présentiel, sans échanges ni réflexions collectives, sans vie sociale, se sont soldées par une épidémie de troubles de l’anxiété et de dépressions, dont l’ampleur reste à évaluer. Beaucoup ont décroché, renonçant à poursuivre leurs études supérieures, parfois aussi parce qu’ils n’avaient plus les moyens financiers de vivre décemment.
Même les plus diplômés se montrent prudents
Ceux qui retournent aujourd’hui dans les amphis affichent avec prudence leurs motivations, car rien ne garantit que tous les enseignements seront assurés en présentiel, ni que les universités ne vont pas à nouveau fermer. De plus, quand ils ont validé leurs semestres ou leur diplôme, c’est parfois avec le sentiment que leurs années d’études n’auront peut-être pas la même valeur qu’en temps normal…
Une enquête de la Conférence des grandes écoles (Cge) publiée mi-juin témoigne que les plus diplômés ne se sentent guère plus enthousiastes. Par exemple, les diplômés 2020 des écoles d’ingénieurs ont été 6 % à poursuivre leurs études au lieu de chercher du travail, contre 1 % en 2019. Au total, sur les 42 000 diplômés sondés, issus de 193 écoles d’ingénieurs ou de commerce, 11 % ont poursuivi leur formation, contre 3 % en 2019. Il faut dire que ceux qui sont entrés dans l’emploi n’étaient que 79 % six mois après obtention de leur diplôme (– 9 points en un an) et que 17,7 % n’y arrivaient pas, contre seulement 4,7 % en 2017.
Stigmatisés comme vecteurs insouciants de la pandémie
La Cge craint d’ores et déjà qu’ajouté à l’allongement des temps d’insertion professionnelle des jeunes diplômés, celui des études après bac + 5 contribue à mettre en concurrence plusieurs cohortes de jeunes diplômés dans les prochaines années, et à aggraver encore leurs difficultés à trouver un emploi à la hauteur de leurs espérances.
Derniers vaccinés, stigmatisés comme vecteurs insouciants de la pandémie, les étudiants ont dû rester à l’isolement sans percevoir la moindre aide publique, contrairement ce qui s’est passé ailleurs, en Suède par exemple, où le montant des bourses a été doublé. En France, les repas des restos universitaires ont fini par passer à 1 euro, et une prime de 150 euros a été versée aux boursiers au printemps 2021. Mais toujours pas question de verser une allocation d’étude et encore moins le Rsa aux moins de 25 ans, étudiants ou pas…
L’apprentissage continue à progresser
Pour le reste, le gouvernement a plutôt misé sur le soutien aux employeurs. L’apprentissage a continué à progresser jusqu’à un niveau record de près de 500 000 contrats en 2020, grâce au dispositif d’aide instauré par le plan France relance. En juillet 2020, constatant que la situation menait néanmoins à l’exclusion d’une grande partie des 18-24 ans, y compris parmi les diplômés de 2019 (et désormais des deux années suivantes) le gouvernement a lancé le dispositif Un jeune, une solution.
Les moyens engagés à ce jour sont conséquents (9 milliards d’euros) mais n’ont manifestement pas permis d’aller au-delà des embauches de toute façon prévues par les employeurs pour assurer le maintien de leur activité. Le baromètre Apec de mai 2021 témoigne d’ailleurs que, même dans une perspective de redémarrage, les entreprises restent prudentes. Interrogeant plus de 1 500 jeunes diplômés en 2019 (500 de niveau bac + 3 minimum et 1 000 de niveau bac + 5 ou plus) l’Apec témoigne que 68 % d’entre eux avaient trouvé un emploi dans les douze mois, contre 85 % du panel équivalent de 2018.
La place du travail évolue, celle de son sens s’impose
Leur insertion s’est également complexifiée : il s’agissait d’un Cdi pour seulement 59 %, soit 10 points de moins que pour la cohorte 2018, à des postes et à des niveaux de qualification, de responsabilité ou de salaire en dessous de ceux espérés : 26 % d’entre eux s’estiment en déclassement, contre 16 % l’année précédente. Les expériences professionnelles courtes, souvent en distanciel, se sont avérées de moindre qualité. Les 31 % restés sans emploi (une dégradation de 16 points) se sont retrouvés en concurrence avec les diplômés de 2020, qui pour leur part ont eu des difficultés à effectuer les stages en entreprise prévus dans le cadre de leur fin de formation.
Les entreprises se sont contentées de favoriser les jeunes qui avaient réussi à obtenir en leur sein des stages ou un contrat en alternance (+ 8 points), limitant leurs salaires et leur accès au statut cadre (57 % des bac + 3 ou plus par exemple). Avec le développement du télétravail, elles pourraient même être tentées d’embaucher des jeunes diplômés de pays pauvres qui resteraient chez eux et accepteraient des salaires bien moindres. Les sondés expriment ainsi le plus haut niveau de pessimisme mesuré depuis la création du baromètre : 56 %, contre 41 % l’année précédente.
Un décalage profond entre le potentiel de filières et l’offre concrète d’emplois
Nombre d’entre eux se déclarent prêts à accepter des conditions d’emploi et de salaires dégradées, le temps de mettre un pied dans le monde du travail. Mais pour eux, comme pour un jeune en emploi sur cinq parmi les sondés, ces « sous-emplois » sont considérés comme alimentaires et provisoires. La relance de l’activité économique est-elle de nature à leur redonner espoir ?
Mais si les analystes observent des besoins dans certains secteurs et métiers, ces pénuries de candidats sont souvent dues au manque d’attractivité et de reconnaissance, à la pénibilité du travail, notamment dans l’hôtellerie-restauration ou la santé. Pour les plus diplômés, le numérique est par exemple évoqué comme un eldorado mais, pour l’heure, les profils de métier et de formation, les perspectives de carrière ne sont pas toujours perçues clairement (par les filles en particulier). Même chose pour la transition écologique, porteuse d’emplois on le sait, à condition que les activités se développent.
Dans les entreprises, le Covid a fait grandir la tentation de construire un autre rapport au travail, de s’y investir autrement, même si les salariés doivent toujours se battre pour faire entendre leurs besoins et leurs aspirations. Mais pour les jeunes, diplômés ou non, il y a urgence. Entre fatalisme, colère, et envie de reprendre la main sur leur vie et sur un monde qui court à sa perte, le point de bascule se rapproche. Ils sont de plus en plus nombreux à se dire que si le monde du travail ne veut pas s’intéresser à eux et valoriser leurs talents, tant qu’à être précaire, mal payé ou à avoir un travail dans lequel on ne s’épanouit pas, pourquoi ne pas s’investir dans une activité où on se sentirait utile ou heureux ?
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