La proximité est historiquement un repère fort dans la culture des entreprises du secteur énergétique, notamment chez Edf ou Engie. Le basculement massif dans le télétravail entraîne de nombreux questionnements, aussi bien pour le management que pour les syndicalistes.
Un choc culturel contraint : c’est ainsi qu’il est possible de définir au mieux les effets de la généralisation du télétravail, au printemps dernier, dans les industries électriques et gazières (Ieg). D’abord parce que le télétravail y est un mode d’organisation du travail récent : les accords conclus par six grandes entreprises de la branche (Edf, Enedis, Grdf, Rte, Grtgaz et Engie) ont tous moins de cinq ans et affichent une volonté commune, balayée du jour au lendemain : le maintien d’une présence et d’un lien social sur le lieu de travail, le nombre de jours télétravaillés, fixes ou mobiles, étant le plus souvent limité à un par semaine.
Ensuite parce que la culture de ces entreprises repose sur trois éléments déstabilisés par le travail à distance, ainsi caractérisés par Pascal Cabantous, membre du bureau exécutif de l’Ufict Cgt-Mines-Énergie et animateur de la branche « cadres » : la verticalité, le reporting, le contrôle. C’est dire si le passage au télétravail intégral, lors des premières semaines de confinement, a pu être vécu comme un basculement source de déséquilibres et de perturbations par l’ensemble des salariés. Et singulièrement par les managers, souligne-il : « Jusqu’alors, chercher à conclure une convention de télétravail pouvait faire l’objet d’une obstruction managériale, avec la préoccupation de garder l’équipe sous son contrôle. »
Des managers perturbés par le manque de proximité
Jusqu’alors, le télétravail était très peu pratiqué, même occasionnellement : moins de 5 % des personnels étaient concernés. Mais avec la crise sanitaire, les managers n’ont pas eu le choix. Pour la seule entreprise Edf, 40 000 salariés se sont retrouvés à leur domicile pour travailler à temps complet, alors qu’en temps normal ils n’étaient que 8 000, à raison d’un jour par semaine pour la plupart. Comme ailleurs, ce basculement a concerné des populations qui n’étaient alors pas éligibles au travail à distance, brouillant l’ensemble des repères professionnels dans un contexte le plus souvent dégradé : avant la crise sanitaire, 49 % des agents, dont près de deux tiers de maîtrise, en grande majorité encadrants, étaient dans ce cas et n’avaient jamais télétravaillé.
Dans une consultation spécifique menée dès le printemps, l’Ufict Mines-Énergie a cherché à prendre la mesure du bouleversement, à travers une série de questions ciblant notamment les managers : au total, 5 200 salariés ont répondu à cette consultation, dont 48 % de cadres et 52 % d’agents de maîtrise. Parmi eux, 17 % avaient des responsabilités d’encadrement. Premiers résultats : si les Ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise (Ictam) encadrants sont 10 % à éprouver des difficultés à maintenir la cohésion d’équipe, ils sont une majorité (57 %) à se dire perturbés par le manque de proximité. Ce résultat ne constitue pas une surprise pour les responsables syndicaux. La proximité, expliquent-ils en substance, est historiquement un repère fort de la culture des entreprises du secteur énergétique, notamment chez Edf ou Engie.
Préservation de « temps réguliers d’échanges collectifs »
Mais ils en tirent un premier enseignement, ainsi précisé par Alain Perrigault, animateur de branche « maîtrise » de l’Ufict Cgt-Mines-Énergie et pilote de la campagne sur le télétravail : « Les premières réponses à la consultation démontrent la nécessité de penser et mettre en œuvre de véritables formations pour le management à distance. Nous entendons par là des formations adaptées, en opposition aux modules généraux proposés sur les intranets et autres formations rapides d’e-learning qui n’apportent aucun outil opérationnel. » Il est d’ailleurs frappant de constater que cette dimension est fondamentalement sous-estimée dans les accords conclus sur le travail à distance, même si celui d’Engie (2017), par exemple, évoque un accompagnement des managers comme de l’ensemble des salariés dans le déploiement du télétravail, avec la préservation de « temps réguliers d’échanges collectifs ».
En attendant, c’est un sentiment d’isolement qui prévaut en ce premier confinement, et souvent aussi la débrouille pour alimenter la communication et garder le contact. Avec le recours privilégié au canal téléphonique, montre l’enquête de l’Ufict : un paradoxe à l’heure du développement des outils numériques et de la dématérialisation des échanges qui, au passage, peut reléguer au second plan la relation directe avec les managers.
Moins de contrôle, davantage de confiance
« Dans le contexte de crise sanitaire, ils ont ainsi cherché à rassurer leurs équipes et à développer un lien de confiance direct, en dehors des outils collaboratifs », explique Pascal Cabantous. Croisés avec les résultats de la consultation, les témoignages plus qualitatifs sur le management confiné ont ainsi fait émerger des risques nouveaux liés à l’éloignement, ou réaffirmé des difficultés préexistantes à la crise : perte relative du contrôle dans un contexte où les salariés revendiquent davantage d’autonomie ; accentuation de la logique d’un management par objectifs, seul comptant le résultat final ; inadaptation des objectifs au regard de la complexité de la situation, des moyens mis à disposition et des inégalités matérielles entre salariés ; accroissement de la charge de travail… Dans des proportions significatives : si, globalement, 43 % des Ictam sondés disent dépasser leurs horaires de référence, les managers sont aussi 47 % à déclarer un surcroît d’activité engendré par le télétravail généralisé de leur équipe.
Pour autant, certains d’entre eux ont pu, à cette occasion, prendre conscience de la possibilité organisationnelle du télétravail et en tirer un certain nombre d’enseignements : « Dans des entreprises où le reporting est omniprésent et chronophage, ils ont conçu la nécessité d’être moins sur le contrôle et plus sur la confiance avec le salarié. La situation leur a également imposé d’être davantage à l’écoute, les tensions se manifestant plus rapidement dans les échanges à distance. Il leur a fallu gagner en efficacité, en concision et poser les bonnes questions. »
En réalité, la généralisation brutale du travail à distance a surtout donné un coup d’accélérateur à des évolutions déjà en cours, observées et analysées en 2017 dans le cadre d’une enquête nationale menée par l’Ufict auprès de 8 000 encadrants de proximité. C’est ce qu’explique l’animateur de la branche « cadres » : « Cette expérience donne du sens à notre vision d’un manager indispensable pour assurer une fonction de régulation, garante d’un cadre d’autonomie à définir conjointement avec l’équipe. » Un rôle qui peut ainsi se décliner : relais d’information, à la fois descendant et ascendant ; rôle de ressource, d’appui et d’expertise, basé sur un retour de la légitimité technique assurant sa crédibilité ; organisation de l’équipe et de l’activité ; animation d’un dialogue social au sein de l’équipe.
Vers une renégociation des accords
Dans tous les cas, s’imposent désormais des renégociations pour réviser les accords de travail à distance, y compris les plus récents, comme celui de Grdf, pourtant cosigné (par la Cfdt, la Cgt, Fo et la Cgc) moins de deux ans avant le premier confinement. Celles-ci doivent s’ouvrir ou sont déjà en cours, comme à Edf où ont notamment débuté les bilatérales sur le projet « Travailler autrement, manager autrement » mais aussi chez Enedis, Grtgaz ou Grdf. Avec le second confinement et les discussions pour un nouvel accord national interprofessionnel (Ani) sur le télétravail, les velléités de négociations ont été suspendues ; elles reprendront probablement au premier trimestre 2021.
Pour l’Ufict, qui note une réelle aspiration des agents à télétravailler, il s’agit certes de mieux définir les dispositifs d’accompagnement des managers comme de l’ensemble des salariés par des formations adaptées au télétravail. Mais il faut aller au-delà, argumente Alain Perrigault : « Le retour d’expérience du premier confinement a fait émerger d’autres besoins, aussi bien en termes de conditions d’éligibilité que d’organisation du travail, avec la définition de plages horaires de disponibilité, l’adaptation des objectifs et de la charge de travail et l’instauration d’un droit effectif à la déconnexion. » Un droit dont ont été privés, a montré l’enquête de l’Ugict-Cgt « Le travail sous épidémie », près de huit salariés sur dix.
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