Entretien -  Algorithmes, données, IA… Eurocadres mène la bataille

« Mon responsable est un algorithme » : à l’occasion d’un débat sur l’IA organisé à la Fête de L’Humanité par la Fédération des transports CGT, trois questions à Nayla Glaise, présidente d’Eurocadres.

Édition 037 de mi octobre 2023 [Sommaire]

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Pour Nayla Glaise, « il est impératif de gagner des droits d’expertise pour les Institutions représentatives du personnel ». DR

– Quel travail mène Eurocadres sur l’intelligence artificielle dans le monde du travail ?

– Nayla Glaise  : Eurocadres travaille auprès des institutions européennes afin que les textes et, notamment, la directive européenne sur les travailleurs des plateformes, en discussion actuellement, soient les plus protecteurs pour les travailleurs. Car la législation européenne est très en retard sur la technologie. Cette directive est une première parce que, même si rien n’est encore acquis, elle formule une présomption de salariat dans certaines conditions.

Cela signifie qu’il existerait une responsabilité des employeurs en matière de protection sociale, mais pas uniquement, car pour la première fois en Europe, on mentionne l’évaluation des risques psychosociaux pour ces travailleurs des plateformes. Le management algorithmique est de plus en plus répandu, et il fait peser des risques sur la santé mentale, par la surveillance généralisée et l’évaluation par des algorithmes. Le niveau de stress pour les travailleurs est élevé  ; c’est à l’employeur d’évaluer ces risques et de s’assurer de la santé et de la sécurité des salariés.

C’est très important pour Eurocadres de mener la bataille pour la reconnaissance de la responsabilité des employeurs, et de demander de la transparence sur ces algorithmes. Leur impact est loin d’être négligeable non seulement sur la santé des salariés, mais également potentiellement sur leur paie, leur carrière.

Sur ce texte, comme sur l’intelligence artificielle, la stratégie d’Eurocadres est de saisir les opportunités pour intégrer des dispositions protégeant les travailleurs. Il s’agit aussi de faire appliquer les lois existantes pour l’information des employés et la consultation de leurs représentants en matière de transparence et d’évaluation des risques sur le lieu de travail. 

– Que font les organisations patronales de leur côté ?

– Elles sont très loin d’être inactives. L’échelon européen est un champ de bataille dont il faut avoir conscience. Le patronat y mène un lobbying constant afin de bloquer cette directive, avec l’aide de certains États, comme la France malheureusement. Il s’efforce aussi d’entraver l’application des textes existants. L’action d’Eurocadres est importante pour ne pas leur laisser les coudées franches.

Le règlement sur les services numériques (DSA pour Digital Services Act) entré en vigueur le 25 août affirme que ce qui est illégal hors ligne, doit l’être aussi en ligne. Il été attaqué dans un premier temps par des plateformes comme Twitter. Au Canada aussi, on a vu le groupe Meta (qui possède Facebook) refuser d’appliquer des textes fédéraux et faire pression sur le gouvernement pour obtenir gain de cause. Toutes ces méthodes doivent nous pousser à la vigilance, et à continuer à demander l’application des règlements – comme le règlement général sur la protection des données (Rgpd) – par les entreprises. Sur les données comme sur les algorithmes, il y a encore des marges de progrès pour les droits des travailleurs.

– Pourtant le projet de texte sur les travailleurs des plateformes contient une disposition prévoyant la transparence des algorithmes afin qu’ils soient « explicables » ?

– En effet, mais cette disposition n’est pas suffisante. Si on m’«  ouvre  » le code d’un algorithme, je serai incapable de dire ce qu’il contient. C’est pour cela qu’il est impératif de gagner des droits d’expertise pour les instances représentatives du personnel (Irp), afin qu’elles soient informées correctement et consultées sur cette base. La bataille se joue, presque à chaque fois, sur ce terrain  : la question des droits des représentants du personnel. Afin de connaître au mieux ce que l’environnement de travail, et y compris numérique, a comme impact sur le quotidien des travailleurs.

Il est également nécessaire de définir ce qui est la juste information des experts pour les Irp, notamment avec des systèmes d’intelligence artificielle qui évoluent constamment, qui apprennent avec les données qu’ils ont à traiter. Il est donc vital d’avoir un processus continu d’évaluation de ces systèmes auto-apprenants. Il faut pouvoir évaluer ces algorithmes au long cours et revenir régulièrement vers les représentants du personnel, afin qu’ils puissent exercer leurs droits avec les meilleures informations.

Il faut également poser la question des données, ce qui est loin d’être évident. Les employés doivent avoir des informations fiables sur les quantités de données qui sont recueillies, leur qualité et la valeur que l’entreprise leur donne. Encore une fois, ce sont des expertises qui permettront d’avoir toutes les clés pour mieux comprendre ce qui est à l’œuvre. 

Enfin, il est important pour les salariés de connaître leurs droits sur leurs propres données. Tous les employés laissent des données derrière eux  : lorsqu’ils vont à la cantine, ce qu’ils y achètent, leurs entrées et sorties d’un bâtiment ou d’un parking… Que fait l’employeur de ces données, à quelles fins les utilise-t-il  ? Il faut que les salariés disposent d’un accès à ces informations, via leurs représentants. C’est tout le sens des actions qu’Eurocadres engage avec la Commission ou le Parlement européen afin d’obtenir un droit européen de haut niveau et protecteur.

Propos recueillis par Lennie Nicollet