Paris 2024 : Bernard Thibault dresse un bilan contrasté de la préparation des Jop

À quelques mois des Jeux olympiques et paralympiques, l’ancien secrétaire général de la Cgt témoigne de cinq ans de présence syndicale au sein des instances de préparation. Les droits des travailleurs ont été mieux pris en compte… sans changer fondamentalement les règles du jeu.

Édition 046 de fin février 2024 [Sommaire]

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Le comité de suivi de la Charte n’a pas toujours été associé aux décisions cruciales. © PhotoPQR / Le Dauphiné / MaxPPP

Comment faire en sorte que le droit du travail ne soit pas le grand absent des rendez-vous sportifs mondiaux  ? Première dans l’histoire des Jeux olympiques et paralympiques (Jop), la charte sociale de Paris 2024 marque la volonté de répondre à cette question. Le texte contient seize dispositions destinées à «  assurer l’exemplarité sociale des Jop 2024  ». Parmi elles  : «  placer l’emploi de qualité et les conditions de travail des salariés au cœur de l’impact socio-économique  » de ces Jeux. 

Certes, cette charte «  n’est pas un outil contraignant sur le plan juridique, mais elle représente un engagement politique et ce n’est pas rien  », explique aujourd’hui Bernard Thibault, son initiateur, dans Dans les coulisses des Jo. Mon engagement pour des jeux socialement responsables (L’Atelier). Coprésident du comité de suivi de cette charte avec Dominique Carlac’h (Medef), il siège à titre consultatif au Comité d’organisation des Jeux olympiques (Cojop) et, avec une voix délibérative, au conseil d’administration de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), chargée des travaux. Dans ce livre, Il décrit les avancées qui ont pu être réalisées dans certains secteurs professionnels, mais aussi toutes les décisions qui ont été prises sans aucune concertation préalable.

Moins d’accidents sur les chantiers

Le secteur professionnel dont il est le plus question dans l’ouvrage est celui de la construction. Les grandes entreprises du bâtiment se sont opposées à la tenue de permanences syndicales sur les chantiers, initialement envisagées dans le but de pallier l’absence de représentants du personnel dans les entreprises sous-traitantes. Différents dispositifs ont malgré tout permis que le taux d’accidents soit quatre fois moins élevé que dans la moyenne des chantiers  : transmission au comité de suivi d’informations sur les entreprises présentes (taille, nombre d’accidents par statut de travailleur, etc.), locaux mis à disposition des membres du comité de suivi de la charte sociale, organisation de visites de sites. 

Ces chantiers ont fait l’objet de plus d’attentions que les autres, le ministère du Travail y dédiant même spécifiquement deux équipes d’inspecteurs du travail. Pour autant, les règles en vigueur dans le secteur n’ont pas fondamentalement changé.

Sécurité privée  : une occasion ratée

Bernard Thibault fait le constat que dans le secteur de la sécurité privée, employeurs et travailleurs ne se sont pas réunis depuis très longtemps. Définir des tarifs de référence dans le cadre d’une convention collective de branche freinerait la concurrence exacerbée qui tire les prix vers le bas. 

Le gouvernement a par ailleurs coupé l’herbe sous le pied des partenaires sociaux en baissant de 175 à 105 le nombre d’heures de formation ouvrant le droit de travailler dans ce secteur. Prise dans le but d’attirer des candidats, cette décision « vient bien mal à propos prendre à rebours les travaux entamés pour une requalification de la profession » et suscite la réprobation de la quasi-totalité des acteurs du secteur.

Ce qui n’empêche qu’à un an des Jeux, la pénurie d’agents de sécurité demeure. En juillet 2012, le gouvernement britannique avait fini par faire appel à l’armée car il manquait 6 400 agents pour assurer la sécurité des Jop de Londres. Une telle mesure ne serait pas à exclure pour la France.

Dérogations sans consultation des syndicats

Dans d’autres domaines, le comité de suivi – et plus largement les syndicats – n’ont pas été associé à des décisions cruciales concernant les Jop. Le 22 décembre 2022, c’est en lisant le compte-rendu du conseil des ministres que Bernard Thibault apprend que «  la ministre des Sports a présenté un projet de loi relatif aux Jop de 2024  » qui étend l’ouverture des commerces le dimanche. Le champ d’application est particulièrement large  : cette mesure s’appliquera sur presque un quart du territoire pendant une période de quatre mois, alors que les compétitions ne dureront que quatre semaines. Le texte sera adopté par le Parlement sans réelle consultation des syndicats.

Contradictions gouvernementales

Si les décideurs politiques affichent un soutien à la charte sociale des Jop, ils «  l’ignorent délibérément au moment des arbitrages ministériels  », dénonce Bernard Thibault. Au fil des pages, se dessine la crainte que cette régression des droits sociaux, présentée comme provisoire, ne soit «  le moyen de mettre en œuvre à grande échelle le fantasme néolibéral  : commercer à tout moment, en tout lieu et avec un personnel immédiatement disponible et corvéable  ». Dans le domaine des transports, il déplore également que le «  souci légitime de répondre présent au défi de transporter 500 000 personnes supplémentaires  » s’accompagne de «  frilosité dans la nécessité d’impliquer très en amont les salariés du secteur et leurs organisations syndicales pour une organisation optimum du dispositif  ».

Finalement, l’organisation des Jop confirme son constat qu’«  obtenir une discussion sur l’organisation du travail qui implique les syndicats est souvent perçu comme une prétention osée  », alors même que le préambule de la Constitution garantit ce droit  : «  Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises.  »

Échos internationaux

En conclusion, l’ex-représentant des salariés français à l’Organisation internationale du travail (Oit) évoque les échos internationaux de cette démarche  : visites de délégations de l’Internationale du bois et du bâtiment (Ibb) sur les chantiers olympiques franciliens, réunions avec des syndicalistes californiens en vue de la préparation des Jop de Los Angeles en 2028, rencontre avec les dirigeants syndicaux de l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture, de l’hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes, etc.

Bernard Thibault conçoit le travail réalisé dans le cadre de la charte française comme un point d’appui pour «  faire progresser le dialogue avec les organisations du mouvement sportif international  ». Pour lui, les rencontres sportives d’envergure mondiale peuvent contribuer à faire progresser les droits sociaux dans les pays organisateurs. C’est tout l’objet de ce livre, écrit dans le but de «  laisser une trace de l’expérience syndicale afin qu’elle soit utile pour d’autres militants et d’autres rendez-vous en France et au-delà  ».

  • Bernard Thibault, Dans les coulisses des Jo. Mon engagement pour des Jeux socialement exemplaires, L’Atelier, février 2024, 19 euros.