Quels Jeux olympiques et paralympiques pour celles et ceux qui travaillent ?

Près de 11 000 personnes doivent travailler pour les Jop, encadrés pour la premières fois par une charte sociale. Pour quel résultat ? Un livre en dresse un bilan nuancé.

Édition 038 de fin octobre 2023 [Sommaire]

Temps de lecture : 4 minutes

Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Construire, transporter, sécuriser, nettoyer… de nombreux travailleurs sont recrutés pour faire exister les Jop. © IP3 Press / MaxPPP

Ouvriers de la construction, athlètes, bénévoles, agents de sécurité… Comment faire en sorte que les droits de tous et toutes, visibles ou non, soient respectés  ? Les initiateurs de la charte sociale signée par tous les partenaires sociaux ont voulu, avec ce texte, importer des préoccupations sociales dans le paysage olympique.

Qu’en est-il en réalité  ? Dans leur livre, Travailleur·e·s., faites vos Jeux, Jean-François Davoust, ancien animateur de la commission Sport de la Cgt, membre du comité de la charte sociale Paris 2024, et Igor Martinache, maître de conférences à l’université Paris-Nanterre, apportent une réponse nuancée.

Travailleurs sportifs et ouvriers

Dans un premier temps, les auteurs brossent le portrait de travailleurs de tous les secteurs d’activité appelés à faire le succès des Jop, de la préparation de l’évènement à l’après, en passant par son bon déroulement. Certains – les ouvriers des chantiers de construction – sont invisibles  ; d’autres – les athlètes – auront pendant quelques jours tous les regards braqués sur eux.

Chaque secteur professionnel a ses enjeux propres, que le livre expose de manière synthétique  : accidents du travail et sous-traitance pour les chantiers de construction, insécurité de l’emploi et salariat déguisé de travailleurs uberisés dans la sécurité – sur les 12 000 sociétés recensées dans le secteur en France, 8 500 correspondent à de l’auto-entreprenariat. Les 45 000 bénévoles qui devront effectuer des tâches variées sont, quant à eux, confrontés à la non-reconnaissance de leurs qualifications et soumis à des contraintes qui ressemblent fort à celles du salariat.

Les athlètes, des travailleurs comme les autres

Un chapitre très instructif est consacré à «  l’impossible reconnaissance du travail sportif  ». Pour beaucoup d’entre nous, les sportifs ne sont pas des travailleurs comme les autres. De fait, l’adoption d’une convention collective nationale du sport date de 2005. Aujourd’hui, la majorité des athlètes de haut niveau doivent «  trouver des moyens pour pouvoir s’entraîner en toute quiétude ou partager [leur] temps entre entraînement et emploi d’appoint pour de maigres revenus  ». Durant leurs très courtes carrières, ils sont particulièrement exposés aux blessures et accidents. Jean-François Davoust et Igor Martinache évoquent la proposition de redistribuer la manne financière générée par les Jop au bénéfice de l’ensemble des sportifs, quels que soient leurs résultats. Ce serait une manière de prendre au mot Pierre de Coubertin et sa fameuse devise  : «  L’important, c’est de participer  !  »

Une charte  : véritable avancée ou coup de communication  ?

Avec la charte sociale des Jop 2024, les syndicats du pays hôte ont pour la première fois été officiellement associés à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques. L’ouvrage reconstitue la genèse de ce texte. Lors de la candidature de Paris, le Comité international olympique (Cio) était effrayé par la réputation «  largement injustifiée de “pays des grèves”  » faite à la France. Quand le maire de Paris, Bertrand Delanoë, a contacté Bernard Thibault pour lui en parler, celui-ci a vu l’opportunité d’«  influencer de manière durable la conception des grands évènements sportifs mondiaux et les prochains Jeux olympiques  », comme il l’explique en préface de l’ouvrage. L’ancien secrétaire général de la Cgt est rapidement devenu l’une des chevilles ouvrières de ce texte.

Un bilan provisoire mitigé

La charte sociale contient 16 engagements sociaux et environnementaux. Les auteurs de l’ouvrage y voient trois points d’intérêt  : son contenu  ; son caractère innovant  ; le processus même de sa confection et de sa mise en œuvre. Qu’attendre d’un texte qui n’a pas de valeur contraignante et s’inscrit dans ce «  droit mou, qu’affectionnent les adeptes de la start-up nation  », questionnent les auteurs de ce livre  ? Après avoir analysé les différents articles de cette charte sociale, ils dressent un bilan provisoire «  mitigé  », même si le nombre d’accidents du travail est bien inférieur sur les chantiers de construction des Jop.

Plutôt que de former et d’augmenter les salaires, les multinationales du bâtiment ont préféré mettre à l’arrêt d’autres chantiers dans tout le pays. Les délais à tenir restent la priorité absolue, «  quitte à prendre quelques libertés avec le droit du travail.  » Et globalement, les marchés «  semblent échapper à la règle affichée du “socialement responsable”.  » Malgré tout, dans un contexte où le paritarisme subit des attaques répétées, les auteurs estiment que la charte constitue «  une reconnaissance du paritarisme dans l’organisation du sport en France  ».

Un premier pas vers une nouvelle gouvernance du sport  ?

Une troisième partie élargit la focale au monde du sport dans sa globalité. Dans une sphère professionnelle où toute l’organisation repose sur la mobilisation de bénévoles, «  le dialogue social est encore balbutiant  ». Un tel texte «  entrouvre la porte aux institutions du monde du travail dans la gouvernance  » du sport. Si elle n’est «  ni la panacée, ni un coup d’épée dans l’eau  » cette charte sociale pourrait «  poser les bases d’une nouvelle gouvernance du sport national et international, partant assurer la survie du mouvement olympique  ».

Lucie Tourette

  • Jean-François Davoust, Igor Martinache, Travailleur·e·s., faites vos Jeux, préface de Bernard Thibault, postface de Sophie Binet, Arcane 17, 2023, 200 pages, 17 euros.