À la rencontre de Gilles Aillaud, au pinceau philosophique

Le Centre Pompidou met en valeur la peinture « animalière » de cet artiste, qui mit un point d’honneur à porter un regard froid sur la « séparation » d’avec la réalité de la nature et des choses.

Édition 039 de mi-novembre 2023 [Sommaire]

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Gilles Aillaud, La Cage aux lions (1967).© Fabrice Gousset, courtesy Loevenbruck/Adagp/Fonds Gilles Aillaud/Archives Galerie de France.

L’exposition «  Gilles Aillaud. Animal politique  » que propose le Centre Pompidou, jette un coup de projecteur soudain sur cet artiste infiniment singulier qui participa, en première ligne, aux débats, discussions et polémiques sur l’art et la société dans l’année 1968 et alentour.

Fils de l’architecte Émile Aillaud (1902-1988), à qui l’on doit notamment de nombreuses réalisations novatrices dans le domaine du logement social, Gilles Aillaud (1920-2005) a dessiné et peint depuis l’enfance. Son amour des animaux tient, vraisemblablement, au fait qu’il ait fréquenté très tôt, crayon en main, le Muséum d’histoire naturelle au Jardin des plantes.

Il fait des études de philosophie. Il est stoppé dans son élan après un oral contrarié par un maître trop pointilleux. Du moins garde-t-il la tête philosophique et le goût de la théorie. Il écrira des poèmes, des essais (Vermeer et Spinoza) et du théâtre (Le Masque de Robespierre). Il sera un scénographe puissamment original, pour des réalisations de grands metteurs en scène, comme l’Italien Giorgio Strehler et l’Allemand Klaus Michael Grüber.

Suivant les travaux du marxiste Louis Althusser

Sa première exposition a lieu en 1950. Dans la querelle entre les tenants de l’abstraction et ceux de la figuration, il est dans le second camp. C’est ensuite une longue période d’isolement. En 1965, il préside le Salon de la jeune peinture, qui devient, sous son impulsion, un haut lieu d’échanges vifs et de réflexion intense quant à l’art et à la politique, les questions se posant du «  réalisme socialiste  », du «  réalisme poétique » et de l’idéologie en général, suivant les travaux du penseur marxiste Louis Althusser.

Gilles Aillaud est alors l’instigateur d’une œuvre collective qui fera grand bruit, qu’il peint de concert avec Eduardo Arroyo et Antonio Recalcati, sous le titre Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp, ce dernier étant vu, par les auteurs de cet ensemble de huit tableaux, comme le père spirituel des artistes pop américains et français, considérés comme des suppôts du capitalisme…

Gilles Aillaud, Éléphant et Clous (1970), huile sur toile, 195 × 250 cm. © Fabrice Gousse, courtesy Loevenbruck, Paris/Adagp

Fabrication d’affiches sur le mouvement de contestation

Pendant la révolte de mai-juin 1968, Gilles Aillaud participe étroitement à la fabrication d’affiches contestataires. Cette année-là, il exécute une huile sur toile (200 × 200 cm) archiconnue, La Bataille du riz – qu’on retrouve dans l’exposition. C’est, d’après le cliché d’un reporteur de guerre, l’image d’une petite combattante vietnamienne escortant un gigantesque pilote américain prisonnier, les yeux baissés. À l’arrière-plan, des paysans courbés, en rang, repiquent le riz…

Didier Ottinger, directeur adjoint du Musée national d’art moderne, note avec justesse, en tête du catalogue (format 24,5 × 29 cm, 192 pages, 150 illustrations, relié, 35 euros) que «  les représentations de parcs zoologiques d’Aillaud sont contemporaines de Surveiller et Punir (de Michel Foucault) et de La Société du spectacle (de Guy Debord), en lesquels se résumaient les questions que sa génération adressait aux formes du pouvoir et à l’artificialisation du monde  ».

Ces figurations d’animaux encagés prennent de nos jours une signification sensiblement différente, dès lors qu’on n’oublie pas les menaces récurrentes sur le vivant et le fait que, désormais, une conscience neuve de la condition animale en captivité fait qu’on élargit, peu ou prou, l’espace vital des spécimens du somptueux bestiaire d’Aillaud, dont le regard volontairement objectif n’exclut jamais l’amour.

Des sujets au sein d’une liberté irréfutable

De fait, il a laissé accroire qu’il figurait des animaux, tandis que c’est au fond la relation à la nature de l’être humain dénaturé qui demeure son mobile caché. Plus tard, hors des grilles, c’est en Afrique, au Kenya, où il se rendit en compagnie du poète Jean-Christophe Bailly, qu’il put peindre des sujets au sein d’une liberté irréfutable qui n’aurait plus à voir avec la rétention, la détention et la domination. Voir entre autres à cet égard, son Éléphant après la pluie (1991, huile sur toile, 20  × 260 cm).