Polars – Dans les yeux de l’enfant-forêt

Romancier de la Guyane, Colin Niel érige le petit Darwyne, qui oscille entre le bidonville et la jungle, en révélateur de notre piètre humanité. Quant à Stephen King, toujours bon artisan, il nous régale en entrelaçant polar, roman de guerre et road trip.

Édition 025 de mi-février 2023 [Sommaire]

Temps de lecture : 3 minutes

Options - Le journal de l’Ugict-CGT

Darwyne et Yolanda habitent à Bois-Sec, bidonville ancré entre deux mondes, dans un carbet – un abri couvert, mais dépourvu de murs. D’un côté, la ville, acrimonieuse, qui les rejette. De l’autre, la jungle, visqueuse, qui les aspire… Darwyne a 10 ans. Yolanda surnomme son rejeton «  petit pian  ». Un pian, en Guyane, est une sorte de gros rat répugnant. Normal de lui mener la vie dure, au gamin. La faute à sa malformation du pied. Pour lui apprendre à se battre, à s’en sortir…

Pour échapper aux moqueries du peuple des hommes, le petit boiteux trouve refuge dans l’amas des racines et troncs gluants qui bordent sa cahute. Le cocon protecteur de la jungle. Lorsque le tumulte s’apaise, le regard triste et silencieux, il fait le décompte de ses beaux-pères de passage. Jhonson est le huitième qui lui vole sa mère. Tous ceux d’avant se sont évanouis sans crier gare. Comme avalés par la futaie nécrophage. Et si c’était vrai  ?… Surgit Mathurine, assistante sociale chargée d’ausculter cette famille dysfonctionnelle.

Une étrange relation se noue

Jusqu’où Darwyne est-il capable d’aller pour se faire aimer de sa mère  ?… À quels extrêmes celle-ci peut-elle en arriver pour faire de son fils un enfant «  normal  »  ? Y a-t-il maltraitance  ? Et si le comportement déroutant de Darwyne recelait de la cruauté  ? Les questions de Mathurine se bousculent. Entre elle, rongée par le mal de maternité, et l’enfant sauvage se tisse, au cœur des sortilèges de la forêt amazonienne, une étrange relation…

Avec quatre titres consacrés à André Anato, gendarme noir-marron en quête de ses origines, Colin Niel s’est imposé comme le romancier de la Guyane. Il en a décortiqué l’âme, nous confrontant à des réalités crues et insoupçonnées.

Après une courte parenthèse – qui comprend Seules les bêtes, dont Dominik Moll a signé une remarquable adaptation cinématographique –, il revient à ses premières amours territoriales. Mais délaisse son héros récurrent et les sentiers balisés de l’enquête criminelle au profit d’un roman noir cruel et baroque, irrigué des mythes et croyances locales. Il était une fois un petit humain, enfant-forêt, révélateur de nos parcelles d’ombres et de notre piètre humanité…

Darwyne fascine par ses allures de conte poignant, jusque dans sa chute hallucinante. Colin Niel dresse là un réquisitoire contre la détresse d’une population miséreuse, oubliée par l’État. Et, fidèle à ses convictions écologiques, nous délivre un hymne sensible pour une réconciliation de l’homme avec la nature.

Le nouvel opus de Stephen King

Quand un auteur de fantastique, et non des moindres, s’aventure sur les terres du polar…

À 44 ans, Billy décide de prendre sa retraite. Le temps de boucler un dernier contrat, 2 millions de dollars à la clé. Billy est un ancien marine. Son nouveau job  ? Tueur à gages. Avec une éthique  : n’avoir en ligne de mire que des scélérats. Un éboueur avec un flingue, comme il se définit. Sa dernière proie – un tueur d’enfant – est à éliminer sur le seuil du tribunal où doit se tenir son procès. Un boulot pareil nécessite moult repérages. Billy se fond dans le décor et devient David, écrivain en herbe qui peine sur son premier roman. Pour lui qui rêve de prendre la plume, une couverture idéale.

En attendant le jour J, il se prend au jeu, commence à rédiger des bribes de son passé… Il n’avait pas prévu l’irruption de la fragile Alice, en quête de son pays des merveilles. Encore moins que cet ultime coup se révèle foireux. Et que, de tireur, il devienne cible…

Un tueur à gage fan d’Émile Zola

Même ses détracteurs en conviennent, le prolifique Stephen King – une soixantaine de romans et recueils de nouvelles à son actif – est un narrateur hors pair, habile à camper des personnages mémorables. Billy, sniper tenaillé par le démon de l’écriture, qui vénère Zola – au fond de son sac, il trimballe en permanence un exemplaire de Thérèse Raquin – en atteste.

En une construction fluide, Billy Summers encastre deux récits. Le premier dépeint le contrat qui dérape et la cavale qui s’ensuit. L’histoire de Billy au présent, bien décidé à sauver sa peau – et celle d’Alice –, à rendre coup pour coup aux commanditaires qui l’ont floué… Dans le second, Billy, l’apprenti conteur, exorcise son passé. On découvre l’homme perdu, son enfance terrible, son stress post-traumatique de soldat en Irak…

Le tout entrelace le polar, le roman de guerre et le road trip. Comme toujours chez King, les gens ordinaires de l’Amérique profonde ont sa faveur. Et ses flèches envers l’administration Trump, qu’il a farouchement combattue, sont sans compromis.

Un texte roué, doublé d’un bel hommage à la création littéraire. D’ailleurs, à la fin, c’est Émile Zola qui gagne…