Polars – Les héros ne sont pas fatigués

Un personnage et un univers récurrents… Si l’alchimie fonctionne, cela peut donner une saga à succès. La preuve avec les derniers opus de Max Monnehay, Simone Buchholz, Mercedes Rosende et Valerio Varesi.

Édition 049 de fin avril 2024 [Sommaire]

Temps de lecture : 3 minutes

Options - Le journal de l’Ugict-CGT

Le héros récurrent est la tarte à la crème du polar. Pour quelques réussites notoires, combien de plumes bradées sur l’autel d’une reconnaissance prétendument aisée  ? D’ailleurs, comment définir le moteur émotionnel qui, livre après livre, nous pousse à revenir vers un même personnage  ?

Jean Van Hamme, romancier et scénariste de Bd, relève le défi. À son crédit  : les sagas mythiques XIII et Largo Winch. C’est dire le poids de ses mots… Un bon héros, enseigne-t-il, a besoin d’être frappé d’une faiblesse. Ses failles nous le rendent plus proches. S’il est lisse, on finit par s’en désintéresser. Et il doit évoluer dans un environnement structuré, familier au lecteur. Ensuite, charge à l’auteur de surprendre, avec un angle original…

Victor Caranne, aliéniste rongé par le doute

Psy à la prison de l’île de Ré le jour, détective martyr de ses démons la nuit, Victor Caranne décroche la palme du héros le plus atypique. Un détenu qui ne cesse d’affirmer son innocence et menace de se suicider dans une semaine, à la date anniversaire de son incarcération, et voilà notre aliéniste, à l’âme si tendre et tellement vivante, ravagé par le doute. 

Avec l’aide futée d’une jeune flic de la Pj de La Rochelle, il rouvre le dossier d’une enquête qui va se révéler bâclée et vertigineuse de chausse-trappes et de faux-semblants. Péripéties et dialogues fusent, sans fausses notes. Troisième opus consacré à l’analyste décalé, À la gorge confirme un univers attachant et la fulgurance de l’autrice Max Monnehay, sa capacité à capter la douleur des êtres. Il n’y a pas de monstres, seulement des hommes…

Chastity Riley, mal dans sa peau et alcoolo

La même empathie est de mise chez Simone Buchholz, qui a fait de la procureure Chastity Riley son personnage fétiche. Une femme libre, obstinée dans la traque de criminels, dont le mal-être se traduit par des excès de tabac et d’alcool… Hôtel Carthagène prend le contre-pied des quatre romans précédemment traduits, en s’extirpant du Quartier rouge de Hambourg, celui des dealers et des bars louches, lieu habituel des investigations de la magistrate et son équipe… 

Chastity répond à l’invitation d’un ami ex-chef de la police qui réunit d’anciens collègues dans le bar d’un hôtel huppé pour y fêter son anniversaire. Surgit un commando qui prend en otage le gratin des forces de l’ordre et de la justice… Ici, pas d’enquête. Juste – euh, seulement en apparence… – un huis-clos oppressant, et bientôt déroutant… Le roman, d’une construction raffinée, avec son écriture qui se joue des clichés, éclaire d’un jour nouveau sa charismatique héroïne. Qu’on a hâte de retrouver…

Ursula Lopez, manipulatrice boulimique

Si on faisait connaissance avec Ursula Lopez  ? Elle habite le vieux centre de Montevideo, en Uruguay. Une quadra solitaire et obèse, qui aime manipuler son monde. Et, accessoirement, communiquer avec son père. Ce qui part d’un bon sentiment. Sauf que celui-ci est décédé depuis belle lurette. Vous avez dit bizarre  ? Mercedes Rosende ne vous contredira pas. Sa prose cinématographique emprunte aux frères Coen, avec un zeste de Tarantino, et excelle à dépeindre un univers truculent, où les bons peuvent s’avérer moins fréquentables que les brutes et les truands… 

Le premier tome s’agençait autour d’une affaire de kidnapping. Dans Des larmes de crocodiles, toujours en quête d’argent facile – et de respectabilité sociale –, Ursula la boulimique se fourvoie dans un braquage de fourgon blindé. Le jackpot est à portée de main. D’où, cette fois, surgira le grain de sable  ? Le ton est impertinent, la cadence infernale, et le jeu de dupes délectable. On retient aussi l’irruption d’une flic coriace, alter-ego d’Ursula en plus maléfique (oui, c’est possible), déterminée à en découdre avec elle. Duel dans le prochain épisode  ?

Le commissaire Soneri et son hédonisme nonchalant

Le commissaire Soneri est une vieille connaissance (cf. Options de novembre 2021). Ce Maigret italien, aussi fin gourmet que son modèle, promène son hédonisme nonchalant dans la plaine du Pô et ses terres fantomatiques, propices aux désillusions et rages ensevelies. 

La Stratégie du lézard noie son désabusement dans les rues enneigées de Parme, dont il est chargé de retrouver le maire, subitement volatilisé. Dans un hospice voisin, une autre disparition, celle d’un vieillard amnésique. Seuls indices, des bruits insolites en provenance des berges du fleuve, et, dans l’herbe gelée, des traces de pattes canines n’aboutissant nulle part… L’écriture de Valerio Varesi vibre de poésie lorsqu’il évoque la nature. Et pétille dans ses intrigues et dialogues aux petits oignons. Un neuvième tome, déjà. Toujours aussi gouleyant, subtil et mélancolique.

  • Max Monnehay, À la gorge, Seuil, 2024, 368 pages, 20 euros.
  • Simone Buchholz, Hôtel Carthagène, L’Atalante, 2024, 224 pages, 19 euros.
  • Mercedes Rosende, Des larmes de crocodile, Quidam, 2024, 248 pages, 20 euros.
  • Valerio Varesi, La Stratégie du lézard, Agullo, 2024, 389 pages, 22,90 euros.