Égalité professionnelle : ce que l’index montre (ou pas)

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Photo : Philippe Turpin/Beneluxpix/Maxppp
Depuis le 1er mars 2020, les entreprises de plus de 1 000 salariés doivent rendre public un indicateur sur la situation salariale comparée des hommes et des femmes qu’elles salarient.

Capgemini est « fier » de son premier index Égalité professionnelle, cet indicateur mis en place par la loi dite Avenir professionnel du 5 septembre 2018 pour mesurer les écarts de traitement entre femmes et hommes. Ses plus hautes instances l’ont proclamé haut et fort dès le 1er mars sur leur site institutionnel. Et on les comprend. La note dont la société peut se prévaloir en conjuguant les cinq items 1 qui servent à son calcul frise les sommets : 94/100. Une performance dont ni Siemens, ni Lvmh, ni Bosch, ni la Sncf, ni Thales, ni Vinci ne peuvent se prévaloir. Treize entreprises seulement l’atteignent et, au dernier pointage, il n’y a que Manpower, Sanofi, Danone et Alstom qui la dépassent…

Reste tout de même à comprendre par quel cheminement le géant mondial du conseil et des services informatiques est parvenu à ce résultat. D’autant qu’à partir des rapports de situations comparées dans les différentes entités du groupe Capgemini, la Cgt relève des écarts de rémunération entre les hommes et les femmes oscillant entre 14 % et 21 % après 40 ans. « Ce que l’on sait déjà, indique Sophie Fratczak, déléguée syndicale Cgt, c’est que pour arriver à ce résultat, c’est le champ d’investigation le plus large possible qui a été décidé : à savoir l’unité économique et sociale dans son entier, et non telle ou telle entité. » Une façon de faire qui a permis d’« aplatir » les inégalités. Autre problème : la période considérée pour l’étude de chaque indicateur a varié en fonction des résultats escomptés. Pour le troisième, explique la militante, la société a considéré celle allant d’avril 2017 à mars 2018 ; pour les quatre autres, l’année 2018 dans son ensemble.

« À lui seul, un indicateur ne permet aucune interprétation si l’on ne maîtrise pas au préalable la manière dont il a été conçu. Et pour commencer, les éléments qu’il intègre », rappelait il y a peu Fabienne Tournadre, enseignante-chercheuse à l’université de Strasbourg, lors d’une formation organisée par la Direccte Grand-Est autour la base de données économiques, sociales et environnementales (Bdese) et de son usage pour négocier l’égalité professionnelle. La preuve par Capgemini. « Dans l’accord “Égalité professionnelle” signé l’an dernier, poursuit Sophie Fratczak, un quart des femmes ont été laissées de côté. Certes, 1,5 million d’euros ont été concédés dans ce cadre pour améliorer la situation faite aux femmes, mais, 1,5 million seulement, étalés sur trois ans, alors que 3 millions à peine, soit 0,12 % du chiffre d’affaires de Capgemini France, auraient été suffisants pour résoudre la situation qui leur est faite. »

Des mesures correctrices toutes simples

Que l’on ne s’y trompe pas. Ni la Cgt de Capgemini, ni aucune confédération syndicale ne condamne la création de l’index Égalité professionnelle. Celui-ci s’impose depuis le 1er mars aux entreprises de plus de 1 000 salariés et sera étendu à partir du 1er septembre à celles de 250 à 1 000 salariés, puis, au 1er mars 2020, à celles de 50 à 250 salariés. Ardemment défendu par la Cgt, cet outil consigne leur revendication de faire passer l’égalité d’une obligation de moyens à une obligation de résultat, comme l’explique Sophie Binet, cosecrétaire générale de l’Ugict-Cgt. Le législateur en a même validé le projet, en prévoyant des sanctions pour les entreprises qui ne se plieraient pas à la loi dans les délais et pour celles qui, avec un score inférieur à 75/100, n’auraient pas mis en place des actions de rattrapage dans un délai de trois ans.

Mais l’expérience vécue par les salariés de Capgemini appelle à la prudence et confirme que beaucoup reste encore à gagner pour que ce nouvel outil tienne ses promesses. Le 21 décembre, la Cfdt, la Cgt, Fo, la Cfe-Cgc et la Cftc avaient adressé un courrier à Muriel Pénicaud pour lui suggérer quelques pistes. Toutes simples : imposer la transparence sur les chiffres, raccourcir les délais de correction et sanctionner les entreprises qui affichent plus de 5 % d’écart de rémunération. Autres propositions avancées par la Cgt : revenir sur la possibilité qui leur a été accordée d’abaisser jusqu’à 5 points l’état des inégalités dans leur périmètre avant d’afficher leur index, et accorder davantage de moyens à l’Inspection du travail pour garantir l’effectivité de la loi. Cinq jours après l’obligation légale faite aux grandes entreprises de publier leur index, seules 732 sur les 1 460 concernées s’étaient exécutées…

Martine Hassoun

Irréductibles 10,5 % ?

Tous temps de travail confondus, l’écart salarial existant entre les hommes et les femmes est de 25,7 %, selon le ministère du Travail. L’élément qui explique ces différences est, d’abord et avant tout, l’ampleur du temps partiel auquel sont confrontées les femmes. Reste que, si l’on neutralise ce facteur, les femmes perçoivent encore 16,3 % de moins que les hommes. Autre handicap : l’inégale répartition selon les métiers. Un facteur qui, une fois résolu, pourrait faire chuter la différence de rémunération existant entre les hommes et les femmes à 12,8 %. Puis viennent les effets de structure comme les secteurs d’activité, la taille des entreprises ou le type de contrat de travail signé, qui distingue la main d’œuvre féminine de la main d’œuvre masculine et pèse sur les rémunérations. Reste qu’une fois tous ces facteurs pris en compte, il reste un écart moyen de salaire d’environ 10,5  %. Irréductible ?

  1. Les cinq items sont : l’écart de rémunération femmes-hommes, celui des augmentations individuelles, l’écart de répartition des promotions, le pourcentage de femmes augmentées à leur retour de congé maternité et celui des salariés du sexe sous-représenté parmi les 10 plus hautes rémunérations.
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