Dans le secteur du cinéma, la féminisation des métiers est en marche

Si la réalité est contrastée selon les métiers, le nombre de femmes présentes sur les tournages tend à progresser. Mais il faut aller plus loin. Rencontre avec une cheffe opératrice et une cheffe décoratrice.

Édition 015 de mi-septembre 2022 [Sommaire]

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Pour obtenir plus de subventions du Centre national du cinéma, les films doivent désormais être paritaires. © Photo PQR / La Montagne / Maxppp
Si la réalité est contrastée selon les métiers, le nombre de femmes présentes sur les tournages tend à progresser. Mais il faut aller plus loin. Rencontre avec une cheffe opératrice et une cheffe décoratrice.

L’année dernière, pour la première fois, une femme seule, Julia Ducournau, obtenait la palme d’or au Festival de Cannes avec son film Titane. La même année, la Mostra de Venise célébrait aussi une femme avec le film L’Événement réalisé par Audrey Diwan et traitant de l’avortement avant sa légalisation. Sur la scène du palais des Festivals, Julia Ducournau remerciait alors le jury « d’appeler pour plus de diversité dans nos expériences au cinéma et dans nos vies ».

Un an plus tard, quelle est la réalité de ces changements ? Le pouvoir est-il mieux partagé ? Comment s’organisent celles qui travaillent dans ce secteur ? L’édition 2022 du Festival de Cannes a été l’occasion d’une rencontre avec de nombreuses femmes qui œuvrent au quotidien pour ces nécessaires mutations. Parmi elles, Claude Garnier, cheffe opératrice, membre du collectif Femmes à la caméra et du Syndicat des professionnels des industries de l’audiovisuel et du cinéma (Spiac-Cgt) et Valérie Valero, cheffe décoratrice, membre du collectif 50/50.

Des collectifs féministes pour éveiller les consciences et obtenir des droits

Comme dans le reste de la société, des collectifs féministes ont en effet émergé. Le collectif 50/50, créé en 2013, se transforme en 2018 suite à l’affaire Weinstein, et se veut un outil de sensibilisation pour tendre vers l’égalité. C’est aussi en 2018 que se forme le collectif Femmes à la caméra, qui regroupe des cheffes opératrices.

Dans ce dernier, l’objectif est de trouver une forme d’entraide entre les femmes qui exercent un métier très masculin. Claude Garnier, membre du collectif depuis le début, explique qu’elles se réunissent environ une fois par mois pour échanger sur des expériences communes et des thématique telles que « carrière et maternité ».

Le secteur du cinéma n’échappe pas à une construction sociale qui puise ses racines dans les stéréotypes de genre : « Dès le berceau, il est dit aux petites filles que la compétition n’est pas pour elles », souligne Claude Garnier, comme pour expliquer que les femmes en école se dirigent d’elles-mêmes plutôt vers le documentaire ou le court métrage que vers le long métrage.

Le long métrage, c’est la partie « noble » du métier, celle qui nécessite le plus de moyens, le plus de réseau. Or, selon elle, c’est dès la formation que les hommes ont le plus de facilités à se constituer un carnet d’adresses ou à obtenir la confiance des producteurs pour financer leurs films.

Pour faire évoluer les mentalités, une partie de la solution est à chercher du côté des droits. Claude Garnier prend en exemple la Norvège sur le congé parental. Les parents y disposent de 49 semaines, dont 15 chacun, et 19 semaines à se répartir. Ce partage du congé parental a plusieurs conséquences. Tout d’abord, les femmes ne sont plus obligées de choisir entre la carrière et la maternité. Ensuite, à l’embauche, cela empêche les recruteurs de discriminer les femmes désireuses de maternité.

Le Centre national du cinéma incite lui aussi les productions à faire évoluer les mentalités et donc à féminiser la profession. Désormais, pour obtenir plus de subventions du Cnc, il faut que le film soit paritaire, avec autant de femmes que d’hommes à des postes clés du tournage. « Les quotas sont très importants », affirme Valérie Valero, cheffe décoratrice engagée au sein du collectif 50/50. En 2021, 22 % des films ont été ainsi été éligibles à ces subventions « bonus ».

Un référent « harcèlement » sur chaque tournage

D’après Valérie Valero, citant des chiffres du Cnc de juin 2022, ces efforts commencent à payer. « Je suis devenue cheffe décoratrice à 27 ans. Nous étions très peu nombreuses… Désormais, nous sommes 30 % dans les équipes de décoration ! » Mais il ne faut jamais se réjouir trop vite, face à une réalité contrastée. Pour d’autres métiers, la féminisation n’est pas suffisamment au rendez-vous. C’est le cas dans ceux du son, de la musique, des effets visuels ou même de la photographie. Et si le nombre de femmes présentes sur les tournages tend à progresser, elles restent à « des postes mineurs », nuance Claude Garnier.

Si le chemin pour atteindre la parité est encore loin, la prise de conscience est réelle. L’élément déclencheur reste l’affaire Weinstein, en 2018, du nom de cet influent producteur accusé d’agressions sexuelles et de viols par plusieurs actrices. Cela a poussé la profession à mener une intense réflexion. Désormais, un référent harcèlement est désigné sur chaque tournage. Une initiative dont se réjouit Valérie Valero.

« Quand j’étais plus jeune, j’ai subi du harcèlement. J’avais honte d’en parler. Que le référent, souvent directeur de production, soit responsable en cas de problème, est une avancée. » Mais il faut aller plus loin. « À la Cgt, nous travaillons pour que ce poste de référent devienne incontournable avec des critères précis, une formation, un rôle », souligne Claude Garnier, en plaidant pour que la formation soit dispensée à toutes celles et tous ceux qui travaillent sur un tournage, et que la notion de consentement y soit expliquée.

Si, en terme de parité, le retard était et reste considérable, une lueur d’espoir vient de la jeune génération. « Elle est plus radicale, ne laisse rien passer et elle a raison », se réjouit Valérie Valero. Le temps n’est plus seulement à « se lever et se casser » comme l’écrivait Virginie Despentes après le coup d’éclat d’Adèle Haenel aux César. Mais aussi à occuper la place, faire bouger les lignes et s’imposer.

Arthur Brondy

Festival de Cannes : une édition 2022 marquée par la sélection d’oeuvres féministes

Sélectionné dans la Quinzaine des réalisateurs, le film Maria Schneider, 1983, réalisé par Élisabeth Subrin, est un court métrage de 24 minutes sur lequel Valérie Valero a confectionné les décors. Pour ce film, la majorité de l’équipe technique est composé de femmes.

La réalisatrice a décidé de mettre en scène trois actrices reproduisant l’interview de Maria Schneider contestant les pratiques sexistes dans l’industrie du cinéma. Un regard intemporel et encore d’actualité.

Dans la sélection officielle, un autre film féministe a fait sensation. Il s’agit du documentaire Riposte féministe coréalisé par Marie Perennès et Simon Depardon. Ce long métrage, en salles à partir du 9 novembre 2022, met en lumière les colleuses d’affiches qui tentent d’attirer l’attention du grand public sur les violences sexistes et sexuelles.