Chronique juridique -
L’égalité femmes-hommes passe par la santé au travail sur tous les sujets
Depuis 2014, le 28 mai est la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle. Pourquoi le 28 mai ? Parce qu’un cycle menstruel dure en moyenne vingt-huit jours ; et parce que la durée moyenne des règles est de cinq jours – d’où le 5e mois de l’année. Pour assurer dans les faits l’égalité professionnelle femmes-hommes, il est nécessaire d’aborder tous les sujets, dont la santé au travail, ce qui inclut la question des règles menstruelles, qui commencent enfin à être prises en compte.
Depuis 2014, le 28 mai est la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle. Pourquoi le 28 mai ? Parce qu’un cycle menstruel dure en moyenne vingt-huit jours ; et parce que la durée moyenne des règles est de cinq jours – d’où le 5e mois de l’année. Pour assurer dans les faits l’égalité professionnelle femmes-hommes, il est nécessaire d’aborder tous les sujets, dont la santé au travail, ce qui inclut la question des règles menstruelles, qui commencent enfin à être prises en compte.
Cette question, liée à un processus biologique naturelle, n’est évidemment pas nouvelle dans le monde du travail. Mais son caractère intime en fait encore souvent un tabou, rarement invoqué et donc non traité.
Aujourd’hui encore, certaines salariées n’ont pas la possibilité de quitter librement leur poste de travail pour aller changer leurs protections hygiéniques ; des femmes sont obligées de travailler en ressentant des douleurs parfois fortes (dysménorrhées), voire se mettent en arrêt maladie (avec souvent des pertes de salaire) en raison de menstruations douloureuses ; des travailleuses en situation précaire n’ont pas accès à des protections hygiéniques, etc.
Pour en rester à la période contemporaine, il faut se souvenir de cette affaire, dans une entreprise « moderne » où des salariés, en majorité des ouvrières, travaillaient debout dans un atelier de désossage. L’employeur prétendait inscrire dans le réglement intérieur l’interdiction de se rendre aux toilettes, en dehors des trois pauses fixes de la journée.
Les salariées ont mobilisé le droit d’alerte « droit des personnes ». Il s’agit d’un droit, exercé auparavant par chaque délégué du personnel, qui peut maintenant être mis en oeuvre par chaque élu au Cse (Code du travail, art. L. 2312-59).
Le juge du contrat (Cph) ayant été saisi par les déléguées, l’action de ces femmes fut victorieuse : elles ont obtenu le retrait de cette réglementation patronale jugée liberticide et attentatoire à la dignité par le Conseil de prud’hommes de Quimper (départage, 18 mars 1996, SA Bigard).
Plus récemment, depuis quelques mois des mesures favorables sont mises en oeuvre dans des entreprises pionnières. En voici quelques illustrations.
Depuis janvier 2021, une société coopérative autorise ses salariées à s’absenter du travail en cas de règles douloureuses. Elles bénéficient d’un « congé menstruel » supplémentaire. Ce congé rémunéré, d’une durée d’une journée, est accordé sans avoir à justifier d’un certificat médical pour règles douloureuses. Chaque salariée concernée bénéficie de ce congé après information par courriel du directeur administratif.
Depuis mars 2022, dans une entreprise de menuiserie-ébénisterie de la région de Toulouse, il est également prévu un congé de ce type d’une journée par mois.
En Suède
En 2021-2022, le syndicat des métallurgistes (If Metall, 300 000 membres) a lancé une campagne annuelle pour rendre les lieux de travail plus accueillants pour les femmes, notamment au moment des règles. Cinq revendications sont portées :
organiser le travail de façon à pouvoir prendre des pauses pour aller aux toilettes quand cela est nécessaire et accéder à une salle de repos pour pouvoir s’allonger ;
accéder à des toilettes équipées avec une poubelle, un lavabo, des protections périodiques à disposition ;
accroître les connaissances sur les menstruations et ses symptômes – en associant les salariés hommes ;
créer un dialogue ouvert sur le lieu de travail afin qu’une femme qui est malade un jour puisse rester à la maison sans se sentir coupable vis-à-vis de ses collègues – que la cause soit un rhume ou une douleur menstruelle ;
inscrire le thème de la menstruation dans la politique de santé et de sécurité au travail (source : IR Notes 164, 19 mai 2021).
En Espagne
Un projet de loi sur la santé sexuelle prévoit d’accorder jusqu’à trois jours de congés pour les salariées quand elles ont des menstruations douloureuses et invalidantes. Durant ce congé, elles bénéficieraient d’une « allocation spéciale d’invalidité temporaire » financée par l’État dès le premier jour (ce congé serait comparable aux congés liés à des accidents du travail ou à des maladies professionnelles). L’Espagne pourrait devenir le premier État membre de l’Union européenne à prévoir un tel congé.
Mesures spécifiques nécessaires pour assurer l’égalité réelle
Ces mesures spécifiques au bénéfice des femmes sont nécessaires pour assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. En effet, au regard du droit applicable (international, européen et national), pour assurer l’égalité concrète, dans les faits, il est nécessaire de prendre en compte les situations particulières, notamment avec des « accommodements raisonnables ».
En revanche, ne pas tenir compte des différences est constitutif d’une discrimination (Cf. la jurisprudence sur les droits des femmes liés à la maternité, notamment Cjce, 30 avril 1998 et Soc. 16 juillet 1998, Mme Thibault c/ Cnavts). Aristote déjà l’affirmait : « Il n’est de pire injustice que de traiter de façon égale des choses inégales. »
Cadres d’adoption des mesures
Sans attendre une éventuelle réforme législative accordant des droits en la matière à toutes les salariées, ces mesures spécifiques peuvent être prévues dans un accord d’entreprise, conclu dans le cadre de la négociation sur « l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie et des conditions de travail » (Code du travail, art. L. 2242-13).
Un accord d’entreprise peut prévoir des dispositions favorables au seul bénéfice des femmes dès lors que ces mesures visent à établir l’égalité en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les femmes (voir Cour de cassation, chambre sociale, 17 juillet 2017).
À défaut d’accord, ces mesures peuvent être adoptées sur décision unilatérale de l’employeur. Ces mesures peuvent notamment être mises en œuvre en lien avec les dispositions sur le télétravail, quand les fonctions professionnelles exercées le permettent.
Au niveau de chaque branche professionnelle, ces mesures peuvent être adoptées dans le cadre de la négociation triennale sur les mesures tendant à assurer l’égalité professionnelle femmes-hommes et sur les mesures de rattrapage visant à remédier aux inégalités constatées, portant notamment sur les conditions d’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelle (Code du travail, art. L. 2241-11).
Le Cse est consulté sur le programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail (« Papripact », Code du travail, art. L. 4121-3-1). Lors de cette consultation, les Services de prévention et de santé au travail (Spst, « la médecine du travail ») peuvent utilement être mobilisés sur ce sujet.
Dans ce cadre, les mesures précitées au bénéfice des femmes peuvent être adoptées et figurer dans le « Papripact ». Ce « Papripact » est établi notamment à partir du Document unique d’évaluation des risques professionnels (le « Duerp »). Le Cse apporte sa contribution à l’évaluation des risques professionnels dans l’entreprise et est consulté sur le Duerp et sur ses mises à jour. Cette évaluation des risques tient compte de l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe (Code du travail, art. L. 4121-3).
Le Cse peut également jouer un rôle pédagogique important dans le cadre de ses activités sociales et culturelles.
Michel Chapuis
Bibliographie : Michel Miné, Droit du travail en pratique, 31e édition, 2022-2023, Eyrolles, collection Le grand livre, 852 p., 39,90 euros.
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