Syndicalisme : une nouvelle app chez Google

Temps de lecture : 3 minutes

L’entreprise de technologie est mondialement connue aussi pour décourager toute tentative de construction syndicale. Pourtant, plus de 200 salariés d’Alphabet, la maison-mère, viennent de relever le défi.

On l’oublie trop : le syndicalisme est avant tout une affaire de femmes et d’hommes aux prises avec leur quotidien. Chez Alphabet, à Mountain View, Californie, le rôle de la femme aura été tenu par une chercheuse en intelligence artificielle. Timnit Gebru avait eu la naïveté de critiquer l’existence de biais raciaux dans les modèles algorithmiques de l’entreprise. Son licenciement, en décembre, a confirmé deux choses : la première c’est qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de Google ; la seconde, c’est que ses sujets ne le supportent plus.

Avant ce licenciement, déjà, les salariés avaient obtenu, après une série de mouvements de contestation, le report puis l’abandon de deux projets qui concernaient non plus les produits de l’entreprise, mais leurs usages. À l’automne 2018, dans un contexte déjà tendu, la direction d’Alphabet avait choisi de se débarrasser de deux top managers accusés de harcèlement sexuel en leur offrant un parachute doré à hauteur de 10 millions de dollars. L’affaire avait viré au scandale et une semaine plus tard, quelque 20 000 salariés de Google avaient débrayé aux côtés de leurs collègues de Waymo, de Verily et d’autres compagnies d’Alphabet partout dans le monde. Parmi les pancartes des manifestants, l’une d’elles – qu’on peut traduire par « À entreprises déloyales, produits biaisés » – établissait un lien explicite entre la maltraitance des salariés et le processus de création.

Naissance de l’Alphabet Workers Union

L’organisation en syndicat de 227 salariés de la maison-mère de Google n’est pas sans précédent : un an avant, les salariés de Kickstarter, une plateforme de financement participatif, avaient formé un syndicat, suivis par ceux de Glitch. L’Alphabet Workers Union entend affronter un employeur dont les pratiques sont très éloignées de l’image lumineuse et consensuelle que les Gafam aiment donner d’elles-mêmes : espionnage des salariés, menées répressives à l’encontre des « meneurs »…

Dans une tribune publiée dans le New York Times, les ingénieurs Parul Koul et Chewy Shaw, présidente et vice-président de ce nouveau syndicat, mettent en avant le gouffre entre ces menées patronales et « l’entreprise que nous voulons » : « À maintes reprises, les chefs de l’entreprise ont fait passer les bénéfices avant nos préoccupations. Nous nous unissons – intérimaires, fournisseurs, sous-traitants et employés à temps plein – pour créer une voix unifiée pour les travailleurs. Nous voulons qu’Alphabet soit une entreprise où les travailleurs aient leur mot à dire sur les décisions qui nous concernent et les sociétés dans lesquelles nous vivons. »

Un syndicalisme de contre-pouvoir

Cette profession de foi témoigne d’abord d’un constat : face à la permanence des pratiques des employeurs, il faut opposer une force qui, elle aussi de façon permanente, garantisse les intérêts des travailleurs. Cette volonté s’étend à la revendication de peser sur leur propre travail, d’en rester maîtres. Ce faisant, elle s’inscrit dans la conception d’un syndicalisme de contre-pouvoir et non pas simplement de contrepoids, comme c’est souvent le cas dans la tradition anglo-saxonne. Cette ambition n’est pas hors sol et se nourrit de préoccupations bien concrètes. On le mesure au fait qu’elle se déclare ouverte aux salariés à temps partiel et aux employés des sous-traitants d’Alphabet, lesquels avaient obtenu des requalifications de leur traitement, ainsi qu’un congé parental et une assurance maladie.

La suite reste évidemment à considérer, sachant que la firme de Mountain View n’apprécie guère qu’on lui force la main, singulièrement par la création d’une organisation syndicale. L’affaire en tout cas, devrait retenir l’attention du syndicalisme dans le monde. Dans leur tribune, les deux responsables syndicaux rappellent que lorsque leur entreprise est entrée en Bourse, en 2004, elle avait promis de « faire des choses bien pour le monde même s’il faut pour cela oublier le profit à court terme ».

Ils soulignent qu’aujourd’hui Alphabet est une entreprise puissante, responsable de larges secteurs de l’Internet. Elle est utilisée par des millions de personnes dans le monde et porte la responsabilité de prioriser l’intérêt général. Elle a également, vis-à-vis de ses milliers de travailleurs et de ses millions d’utilisateurs, « la responsabilité de contribuer à rendre le monde meilleur. Comme travailleurs d’Alphabet, nous pouvons aider à construire ce monde ».

Louis Sallay

, ,