À travail égal, salaire égal. Cette revendication que porte le mouvement féministe depuis toujours, Muriel Pénicaud serait-elle sur le point de la satisfaire ? Le 7 mars, la ministre du Travail l’a affirmé à nouveau : avant la fin du quinquennat, l’écart de rémunération de 9 % existant, à poste égal, entre les hommes et les femmes, devra être rattrapé. Sur la manière dont elle compte y parvenir, la locataire du 127, rue de Grenelle est peu prolixe.
Pour l’essentiel, Muriel Pénicaud a annoncé vouloir mettre à disposition un logiciel libre de droits, intégré au logiciel de paie dès 2019 pour les entreprises de plus de 250 salariés et en 2020 pour les autres, qui devrait permettre à chaque entreprise d’évaluer l’effort salarial nécessaire pour supprimer les inégalités hommes-femmes. À défaut de quoi les employeurs récalcitrants seraient sanctionnés.
Au-delà, Muriel Pénicaud a dit vouloir mobiliser l’Inspection du travail pour faire respecter l’obligation faite à toutes les entreprises de plus de 50 salariés de signer un accord en la matière. Selon les dernières statistiques disponibles, datant de 2015, seuls 20 % des salariés sont ainsi couverts. À l’avenir, un objectif de 7 000 contrôles en année pleine, contre 1 700 aujourd’hui, pourrait être fixé aux agents. Elle a également assuré vouloir encourager les partenaires sociaux à négocier la définition d’indicateurs plus détaillés et mieux circonstanciés sur les rémunérations comparées des hommes et des femmes.
De quoi « rendre justice aux femmes » comme l’a promis Muriel Pénicaud dans le quotidien Les Échos du 7 mars ? Pourtant, aucun engagement n’a été pris pour contraindre le développement du temps de travail imposé. Et aucune promesse n’a été faite pour favoriser la mixité des recrutements, ni lutter contre les conditions de travail dégradées et les risques psychosociaux qui frappent aussi les postes à dominante féminine…
Seule certitude : d’une interview à l’autre, la ministre maintient le cap. Pour comprendre cette assurance, peut-être faut-il aller faire un petit tour à l’établissement palois de Turbomeca. Le site appartient à Safran, l’un des tout premiers groupes industriels français, membre de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (Uimm), une des branches les plus influentes du Medef.
Depuis quelques semaines, la direction se prépare à expérimenter ici un tout nouveau mode de rémunération directement inspiré des négociations en cours dans la métallurgie. Un nouveau système qui devrait s’inscrire demain dans la nouvelle convention de branche qui fera disparaître les grilles de classification fondée sur les diplômes, la formation initiale ou l’expérience des salariés pour lui substituer le paiement des salariés sur la seule base des postes tenus. Jamais les syndicats, et encore moins les salariés, n’ont été consultés sur la pertinence ou non de ce bouleversement. Qu’importe. Aidées par un cabinet spécialisé, les plus hautes instances de l’entreprise avancent à grands pas, évaluant chaque poste, l’un après l’autre, pour déterminer le niveau de rémunération qui, demain, lui sera attribué.
Se focaliser sur le seul poste permet d’évacuer la réalité du travail mobilisé
Les militants Cgt de l’entreprise en sont convaincus : cette révolution ne menace pas seulement les garanties collectives de tous les salariés de l’établissement, qu’ils soient hommes ou femmes. Elle fragilise aussi le combat pour l’égalité de genre dans l’entreprise. Et, avec elle, les intentions consignées dans l’accord de 2012 relatif à l’égalité hommes-femmes dans l’entreprise, que la Cgt avait signé. Pour preuve, ces propos tenus tout récemment par la direction du site palois, et rapportés par Raymond Diego, le secrétaire du syndicat Cgt de l’établissement : « Elle nous a assuré que cette réforme allait permettre d’en finir avec les inégalités. Puisque sur un poste donné, tous les salariés vont être payés au même niveau, nous a-t-elle expliqué, la revendication “À travail égal, salaire égal” va devenir obsolète. »
Quid des pesanteurs sociales et culturelles qui figent les pratiques de recrutement ? Quid du regard porté sur la capacité des hommes à tenir tel poste et des femmes à en être incapables, ou vice-versa, que ce texte consignait et affirmait vouloir combattre ? En 2015, un autre accord avait ici été ratifié. Un « accord d’entreprise relatif aux mesures sociales » qui, dans son article 1-6, prévoyait de réajuster quelque peu le classement d’accueil des titulaires de Bts ou Dut industriels et des Bts et Dut « non techniques », autrement dit administratifs. Le compromis trouvé avait été jugé trop peu satisfaisant par la Cgt, qui bataillait pour un accord susceptible de résoudre les écarts de salaires existants à tous les moments de la carrière. N’empêche. Ses militants ont toujours reconnu que ce compromis consignait l’inégalité de considération portée en entreprise entre les différentes fonctions des organigrammes.
Lutter contre les discriminations, les a priori et les violences
Demain, si le gouvernement encourage les entreprises à combattre les inégalités en s’inspirant de l’accord à venir dans la métallurgie ? S’il laisse entendre que la rémunération par poste suffit à satisfaire cet objectif ? À Pau, la Cgt ne veut pas se mentir. Dans les semaines et les mois qui viennent, le combat pour l’égalité risque de se complexifier encore plus. Non seulement, il va lui falloir vaincre les réticences des salariés, « et des femmes tout particulièrement à s’engager pour réclamer l’égalité professionnelle entre tous », explique Sébastien Solignac, délégué du personnel qui, tout récemment, s’est fortement investi dans l’organisation d’un débat sur les violences faites aux femmes. « Ce n’est pas facile d’affirmer sa spécificité. Dénoncer les discriminations dont on est victime, c’est prendre le risque de se marginaliser plus encore », poursuit Aurélie Caribou, gestionnaire de fabrication et élue au Ce, technicienne supérieure engagée professionnellement dans un monde à très grande majorité masculine.
Au-delà, il va lui falloir expliquer pourquoi l’équation « à poste égal, travail égal » n’est pas l’ambition que porte la revendication « à travail égal, salaire égal ». Plus certainement, qu’elle est un leurre qui va nier aux salariés leurs singularités et leurs compétences pour faire d’eux des « robots », des agents « interchangeables », s’inquiète Raymond Diego.
L’accord « égalité professionnelle » signé en 2012 et prolongé en 2015 va devoir être renégocié cette année. Il y a six ans, les signataires, dont la Cgt faisait partie, avaient fait de l’articulation vie familiale-vie professionnelle le principal objet de droits à promouvoir dans l’entreprise. Très concrètement, ils s’y étaient pris en accordant à égalité, aux hommes et aux femmes de l’entreprise, 20 jours ou quatre demi-journées l’accès aux « mercredis famille », quatre jours de congé rémunérés pour enfants malades ou encore un crédit de deux heures rémunérées le jour de la rentrée scolaire.
Ils l’avaient fait, quitte à rogner les droits jusque-là reconnus aux unes pour donner aux autres. L’approche fait encore débat dans le syndicat. Entre les hommes et les femmes. Entre les générations de femmes, elles-mêmes. Est-ce là « une manière de combattre les préjugés et de sortir les femmes de la place qui leur est assignée », comme le défend Aurélie Cabirou, 40 ans à peine. Ou une « question secondaire » comme l’assure une de ses camarades, la seule cadre que compte ici la Cgt, salariée en fin de carrière. « L’objectif qui est le nôtre n’est pas de valoriser les hommes mais de régler le problème des femmes », ajoute-t-elle.
« Méthode Clerc » : pour les femmes aussi
La question n’est pas réglée. Lors des prochaines négociations, la Cgt va maintenir le cap et revendiquer des mesures pour combattre les a priori et lutter contre les violences faites aux femmes. Mais elle va aussi faire une proposition à ses homologues : faire voter au comité central d’entreprise le budget pour une expertise sociale sur la situation comparée de la rémunération et de l’évolution de carrière des hommes et des femmes dans l’entreprise. Document qui devrait ensuite permettre à chacun de revendiquer ses droits.
« Sur ce terrain aussi, la “méthode Clerc” devrait pouvoir nous être utile pour permettre à tous les salariés, hommes et femmes, de se situer. De voir comment, à ancienneté et niveau de diplôme égaux, ils ont évolué et s’ils se maintiennent, au moins, dans la moyenne de l’entreprise », assure Raymond Diego. Muriel Pénicaud ne dit-elle pas vouloir encourager plus de transparence sur les politiques salariales en entreprise ?
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