Sécurité numérique : Gemalto sacrifie un emploi sur dix

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Les salariés de Gemalto ont fait grève contre les 266 licenciements annoncés. Photo : La Provence/Photopqr/Maxppp
Les salariés du numéro 1 mondial des cartes Sim veulent comprendre les raisons d’une double annonce : une Opa formulée par Thales, précédée d’un plan social menaçant 288 emplois, essentiellement d’ingénieurs et de cadres.

Comme si cela ne changeait rien. Deux semaines après l’annonce d’un projet de réorganisation, accompagné d’un plan de sauvegarde de l’emploi (Pse), les salariés de Gemalto ont appris que leur direction avait accepté une Opa formulée par Thales. Après le coup de massue ressenti à l’annonce du Pse, l’Opa avec pour objectif de créer « un leader mondial de la sécurité digitale », apparaît comme une opportunité. Une opportunité de « négocier le maintien de l’emploi », explique Stéphanie Gwizdak, ingénieure responsable marketing, mandatée par la Cgt pour négocier le Pse.

Mais Gemalto ne veut rien entendre : « La direction reste inflexible sur le calendrier initial », ajoute-t-elle, pour une mise en œuvre effective du Pse au milieu de l’été. Comme si Thales, fort de ses 34 000 salariés en France et d’un chiffre d’affaires de plus de 14 milliards d’euros en 2016, ne pouvait garantir un emploi aux salariés ainsi menacés.

Même à Meudon,  qui pourtant « ne fait jamais grève »

Née en 2006 de la fusion de Gemplus international et Axalto, la société Gemalto est spécialisée dans la sécurité numérique (services bancaires et paiement, internet des objets, cloud…). Au 31 décembre 2017, elle comptait 2 744 salariés, dont 65 % de cadres. Le plan de sauvegarde de l’emploi porte sur 288 postes et conduira à 266 licenciements, soit près de 10 % de l’effectif de l’entreprise, répartis sur trois sites : 70 à Meudon (Hauts-de-Seine), 130 à La Ciotat et 66 à Gémenos (Bouches-du-Rhône). Ce sont essentiellement des ingénieurs et cadres des secteurs marketing ou communication, des développeurs en recherche et développement, des experts de l’internet des objets (technologie dite « Iot » pour Internet of things)…

Le 12 décembre, les salariés ingénieurs et cadres étaient en grève, un mouvement marqué par la solidarité des sites de production qui ont débrayé quelques heures. À Meudon, « un site qui ne fait jamais grève », environ 80 personnes ont cessé le travail sur un effectif de 700 salariés.

74 millions d’euros de crédit d’impôt et d’aides publiques

Rien, à leurs yeux, ne permettait en effet d’envisager un plan d’une telle ampleur. La direction de Gemalto le justifie par la décroissance du marché historique des cartes Sim, mais l’argument est contesté par l’intersyndicale (Cfdt, Cfe-Cgc, Cgt, Fo et Unsa). Tout en rappelant que l’entreprise a bénéficié de plus de 74 millions d’euros de crédit d’impôt et d’aides publiques entre 2013 et 2016, elle souligne que ses résultats opérationnels restent globalement positifs.

« En réalité, précise Stéphanie Gwizdak, l’entreprise paie un certain nombre d’erreurs stratégiques, comme une politique d’acquisitions très coûteuse, financée par la dette. » C’est ce que montre notamment un dossier public d’analyse du cabinet Syndex : elle explique la dégradation de la trésorerie observée en 2017, souligne-t-il en substance tout en notant « des dividendes en progression ces dernières années ».

Question : l’objectif de la réorganisation amorcée par Gemalto était-il en réalité de préparer le rapprochement entre les deux groupes ? Dès l’annonce de l’Opa, quelques jours seulement après le refus d’une première offre formulée par Atos, les syndicats Cgt de Gemalto comme de Thales, soutenus par la Fédération des travailleurs de la métallurgie, dénonçaient, dans un communiqué commun, « l’opacité au sein de laquelle s’est déroulée [cette] opération », en demandant une annulation du plan social. Et c’est en référé, au tribunal de grande instance de Nanterre que le comité central d’entreprise cherche à obtenir des informations claires et précises sur le projet d’Opa afin, notamment, de « pouvoir analyser le bien-fondé de la réorganisation et des suppressions d’emploi », indique l’avocate du Cce dans sa requête.

Pour l’heure, c’est l’incompréhension qui domine. À terme, l’ensemble combiné, se félicitent les directions des deux groupes, emploiera plus de 28 000 ingénieurs et 3 000 chercheurs. Mais comment créer un leader mondial de la cybersécurité et de l’internet des objets, alors que Gemalto aura, auparavant, sacrifié l’emploi des spécialistes dans ce domaine ? Dans une lettre au Pdg de Thales, l’intersyndicale prévient que « l’ensemble des équipes de Gemalto Sa est au cœur de la transformation numérique, à l’origine des innovations de tout le groupe […]. Le Pse en cours entraîne une forte démotivation des équipes et, à terme, une désorganisation significative qui aura un impact sur l’efficacité globale ».

Dans sa réponse, le Pdg de Thales se contente de rappeler les engagements formulés dans le communiqué de presse du 17 décembre : notamment l’accès des salariés concernés par le plan social aux bourses de l’emploi Thales, mais aussi la préservation de l’emploi « dans les activités françaises de Gemalto au moins jusqu’à fin 2019 ».

Fin 2019 : l’« engagement » semble bien ténu, alors que l’Opa ne sera opérationnelle qu’au second semestre 2018… Un simple effet d’annonce, pour les syndicats, à destination essentiellement des autorités de contrôle, aucune information précise n’ayant été communiquée sur les mécanismes de la bourse et les postes qui pourraient être concernés. L’expérience, d’ailleurs, montre que « ce type d’engagement est difficilement contrôlable », note le cabinet Syndex qui met en garde contre de possibles suppressions d’emplois, notamment dans les fonctions « siège », et l’impact du rapprochement sur des salariés souvent oubliés : les sous-traitants et fournisseurs de Gemalto.

Christine Labbe

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