La présidence confiée à Sultan Al Jaber a de quoi questionner les défenseurs de la lutte contre le réchauffement climatique, même les plus modérés. D’autant que les conditions d’organisation de la Cop 28 et les révélations concernant les déclarations et agissements de son président interrogent sur ses enjeux réels.
Faut-il encore croire que les grandes conférences mondiales sont et seront, à elles seules, capables de prendre des décisions et engagements qui répondront à l’intérêt général et permettront de maintenir notre planète vivable ? Ou bien faut-il s’emparer sans plus attendre du sujet, à partir de nos lieux de travail, pour élaborer des propositions qui s’inscrivent dans un autre mode de vie, un nouveau modèle de développement, qui repensent la finalité de la production, en limitent l’impact, et qui anticipent les besoins d’adaptation ?
Une Cop en plein conflit d’intérêts
La 28e Cop doit permettre d’établir le premier bilan mondial des engagements pris par les États dans le cadre de l’accord de Paris, en 2015, à l’issue de la COP 21. À ce titre, il doit faire l’inventaire des émissions de gaz à effet de serre par source. En confiant la présidence de la Cop au patron d’un des plus grands groupes pétroliers des Émirats arabes unis, le conflit d’intérêts est flagrant. Il s’est manifesté dès l’organisation de l’évènement, d’abord par le recul de plusieurs pays producteurs de pétrole sur leurs engagements de lutte contre le réchauffement climatique et par l’accréditation – selon Kbpo, une coalition d’Ong – d’un nombre record de 2.456 lobbyistes des énergies fossiles. Ce nombre, certainement sous-estimé, dépasse celui du groupe formé par les représentants d’une dizaine de pays « les plus vulnérables au changement climatique ». Un nombre tel qu’il place les lobbyistes en 3e position, derrière les représentants du pays hôte et du Brésil.
Dans le même temps, les actions des militant·es et défenseurs du climat sont bridées et circonscrites à la « zone bleue » attenante à l’évènement, et celles des militant·es des droits humains sont purement interdites. Dans les priorités des organisateurs, la justice climatique ne l’a pas emporté sur les intérêts économiques et politiques du pétrole.
Déclarations insidieuses et contrats pétroliers
La création attendue d’un fonds pour les « pertes et dommages », financé par les pays riches à destination des pays pauvres frappés par le changement climatique, a été annoncée dès le premier jour de la Cop et c’est une bonne nouvelle. Il permettra d’apporter une aide, mais restera bien insuffisant pour faire face aux besoins des populations concernées. Il est aussi sans commune mesure avec les profits de l’industrie pétrolière, toujours largement financée, y compris par nos banques françaises.
Cette boussole des profits n’a pas été perdue de vue par Sultan Al Jaber qui, à l’occasion de cette Cop et selon les révélations de la Bbc, en a profité pour mener des tractations et contractualiser plusieurs accords pétroliers. De quoi entacher la crédibilité d’un tel sommet alors que, par d’ailleurs, ses déclarations remettent insidieusement en cause le travail des scientifiques du Giec, en minimisant le rôle des énergies fossiles dans l’augmentation des gaz à effet de serre. Avec les lobbyistes, le but est bien d’imposer non pas une sortie des énergies fossiles, mais une baisse de la production de pétrole et foison de solutions « technologistes » de captage du carbone, au motif que (dixit) « il faut bien être sérieux, réalistes et pragmatiques » !
Emparons-nous des solutions
Chiche, soyons sérieux ! Comme le sont les « scientifiques en rébellion » qui ont organisé leur Cop alternative à Bordeaux. Issu d’un appel à la désobéissance civile, le collectif s’approprie l’espace public pour faire entendre la voix des scientifiques et pour alerter la population et interpeler les institutions et pouvoirs publics sur la crise écologique. Le théâtre-forum est aussi leur moyen d’expression pour créer du débat.
Les salariés et syndicalistes Cgt sont tout aussi « sérieux et réalistes » et ont su développer des projets alternatifs innovants et dimensionnés pour répondre aux besoins de la population, ou pour assurer l’avenir de l’activité de leur entreprise et atténuer son impact sur son environnement. C’est par exemple le cas du projet « Gazelle Tech » conçu par un collectif d’ingénieurs Cgt de Renault, qui pourrait devenir un véritable projet économique pour faire vivre tout un territoire. C’est aussi le cas de syndicalistes Cgt Thalès qui s’engagent pour une filière industrielle de l’imagerie médicale, ou encore pour reconvertir en biomasse une centrale à charbon.
Déploiement du Radar travail et environnement
« Sérieux, réalistes et pragmatiques », elles et ils le sont aussi, ces plus de 60 équipes syndicales qui ont décidé de déployer le Radar travail et environnement dans leur entreprise pour dresser l’état des lieux de sa politique environnementale, et qui appellent les salariés à faire part de leurs propositions pour accélérer l’adaptation au changement climatique de leur entreprise ou administration.
Les ingénieurs, cadres et techniciens ont tout le potentiel pour s’engager dans l’élaboration de propositions et de projets innovants sur les plans technique, économique, ou social. Si les Cop permettront d’impulser des engagements internationaux et nationaux, ne laissons pas définir notre avenir sans nous.