Modigliani, ses sculptures, ses tableaux et son marchand

Un peu plus d’un siècle après la rencontre de l’artiste avec Paul Guillaume, une exposition au musée de l’Orangerie s’attache à explorer la manière dont les liens entre les deux hommes peuvent éclairer la carrière de Modigliani et sa renommée posthume.

Édition 041 de début décembre 2023 [Sommaire]

Temps de lecture : 3 minutes

Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Amedeo Modigliani, Nu couché (1917-1918), huile sur toile, 66 × 100 cm. © Pinacoteca Agnelli, Torino.

En 1958 sortait le film Montparnasse 19, de Jacques Becker, dans lequel Gérard Philipe tenait le rôle de Modigliani. À l’entrée de l’exposition du musée de l’Orangerie, «  Amedeo Modigliani, Un peintre et son marchand  », on découvre, en format monumental, noir et blanc, le portrait photographique de l’artiste en 1915, dans son atelier de la rue Ravignan à Paris. Très bel homme, assis, le regard droit vers l’objectif, vêtu d’un costume de rapin en velours côtelé, n’est-ce pas à Marcello Mastroianni qu’il ferait plutôt penser de nos jours  ?

Bref, Amedeo, jeune Juif séfarade né en 1884 à Livourne (Italie), arrive en 1906 à Paris. Il a, dans son pays, étudié le dessin et la peinture. À 22 ans, il plonge aussitôt dans la vie de bohème, comme on dit, en compagnie de ce que Paris compte alors d’artistes de talent venus de partout, désireux de passer de la misère à la gloire.

Tuberculeux, il abandonne la sculpture 

Amedeo Modigliani (1884-1920), Portrait de Paul Guillaume (1916), huile sur toile, 81 × 54 cm, Milan, Museo del Novecento. © Archives Alinari, Florence/Rmn-Grand Palais/Mauro Magliani.

En 1907, grâce au médecin et mécène Paul Alexandre, Modigliani se lie d’amitié avec le sculpteur roumain Constantin Brancusi (1876-1957). À ses côtés, c’est une révélation. Il se met intensément à la sculpture entre 1911 et 1913. Comme maints artistes d’alors, il se passionne pour l’art égyptien, l’art khmer, l’art africain, l’art d’Océanie, les primitifs italiens. Ses sculptures, fortement stylisées, portent les traces de ces influences diverses. Tuberculeux, il abandonne la sculpture, à cause de la poussière de pierre qui aggrave ses symptômes, pour se vouer uniquement à la peinture. 

On retrouve, dans les nombreux portraits qu’il fait de ses proches et contemporains immédiats – Soutine, Brancusi donc, Cocteau, Picasso, Kisling, Juan Gris, Pablo Rivera, Max Jacob ou Béatrice Hasting (avec laquelle il entretint, un temps, une liaison tumultueuse) –, les formes simplifiées, les yeux étroits et le long cou des femmes qui semble hérité des têtes sculptées auxquelles il a dû renoncer.

Tous deux réformés pour raisons de santé 

La rencontre avec le galeriste, collectionneur et marchand d’art Paul Guillaume (1891-1934) a lieu en 1914, les deux hommes – à l’heure où démarre la grande boucherie – étant réformés pour raisons de santé. Guillaume, d’extraction modeste, tôt passionné par l’art africain, est en quelque sorte parrainé par le poète Guillaume Apollinaire (1880-1918) alors au front, tandis que c’est un autre poète, Max Jacob (1876-1944) qui met en rapport le peintre et le marchand. Entre 1915 et 1916, Modigliani réalise une belle suite de portraits peints et dessinés de Guillaume.

L’intérêt commun pour l’art africain les rapproche. Ils ont également le goût de la littérature et les mêmes soucis d’ordre esthétique. Guillaume dira que «  Modigliani aimait et jugeait la poésie, non point à la manière froide et incomplète d’un agrégé de faculté, mais avec une âme mystérieusement douée pour les choses sensibles et aventureuses  ».

Amedeo Modigliani, Femme au ruban de velours (vers 1915), huile sur papier collé sur carton, 54 × 45,5 cm. © Rmn-Grand Palais/musée de l’Orangerie/DR.

Paul Guillaume, amateur d’art éclairé et négociant très avisé  

L’exposition du musée de l’Orangerie met aussi en lumière la figure singulière de ce Paul Guillaume, amateur d’art éclairé et négociant très avisé, qui occupa successivement des galeries très courues (notamment rue de la Boétie) où s’imposa sûrement l’art moderne.  

On estime que plus d’une centaine de toiles et quelque 50 dessins de Modigliani sont passés par les mains de ce marchand qui contribua fortement – surtout durant les années de guerre – à la réputation de l’artiste. Aux États-Unis, Paul Guillaume joua un rôle-clef pour faire connaître le peintre, dès lors qu’il devint le premier acheteur d’œuvres pour le compte du collectionneur milliardaire Albert Barnes, alors désireux de créer sa prestigieuse fondation.

Un livre, parfaitement documenté et étayé dans l’argumentation, intitulé Paul Guillaume, marchand et collectionneur (1891-1934) accompagne judicieusement l’exposition.  

  • Jusqu’au 15 janvier 2024, musée de l’Orangerie, Niveau – 2, espace d’exposition temporaire, jardin des Tuileries (côté Seine), place de la Concorde, Paris 1er, www.musee-orangerie.fr
  • Sylphide de Daranyi, Paul Guillaume, marchand et collectionneur (1891-1934), Flammarion, 2023, 285 pages, 26 euros.