Les réformes « structurantes » d’Emmanuel Macron forment un ensemble qui tourne le dos à l’État-providence pour conforter l’État néolibéral. Un État qui, sans rien lâcher de son pouvoir, délègue et ordonne en fonction des besoins des entreprises.
Réforme des retraites et réduction de 5 800 emplois au ministère des Finances. Réforme de l’Ena et différenciation des normes selon les territoires… A priori, rien de commun entre tous ces dossiers inscrits à l’agenda social de la rentrée. Rien, si ce n’est que tous participent de la réforme de l’État voulue par Emmanuel Macron. Tous, avec des dizaines d’autres déjà traités ou annoncés, comme celui visant à l’introduction d’un « droit à l’erreur » ou du numérique à grande échelle dans l’enseignement secondaire, occupent une place à part entière dans le projet Action publique 2022 présenté il y a tout juste un an par Édouard Philippe. Selon une note rédigée par Thomas Cazenave, délégué interministériel à la transformation de l’État, et divulguée cet été par Le Monde, ces projets sont déjà mis en œuvre ou sont en voie de l’être.
Au printemps, la présentation du projet de loi de transformation de la fonction publique a donné une idée du grand chambardement programmé. Bien au-delà de l’attaque annoncée contre le statut et contre la sécurité de l’emploi qu’il garantissait, le projet gouvernemental milite pour une conception toute nouvelle de l’action publique. Une manière de voir où les principes d’égalité, de responsabilité et d’indépendance qui étaient jusque-là garantis aux agents ne seront plus demain qu’un souvenir.
Comment défendre la pérennité, le développement et la continuité des politiques publiques quand s’organise la perméabilité du recrutement entre secteur public et secteur privé, et quand s’instaurent de nouveaux contrats d’une durée égale à celle des mandats électifs locaux ? Demain, les cadres risquent d’être sommés de ne plus être que « les bras armés du pouvoir politique », s’inquiétait Natacha Pommet, membre de la direction de la fédération Cgt des Services publics en ouverture de la journée d’étude organisée le 24 juin, à Pantin, par l’Ugict, sur la réforme de la fonction publique…
Intelligence artificielle et commissions administratives paritaires
La mobilisation intersyndicale inédite suscitée au tournant de l’hiver par cette réforme pourrait inciter à en rester là. À considérer que la transformation du cadre général d’emploi des fonctionnaires suffit à résumer les intentions présidentielles. Ce serait une erreur. Si elle en est une pièce maîtresse, elle n’en est certainement pas le but ultime. Les ambitions d’Emmanuel Macron sont beaucoup plus vastes. Elles visent bien sûr la réduction du déficit. Et pour ce faire, le plan Action publique 2022 propose une méthode toute simple : remplacer les agents par des robots. Dans la santé, la justice, les transports, les services postaux et d’éducation, ce n’est plus seulement par la pression, l’accroissement de la productivité et la sous-traitance que les pouvoirs publics ont décidé de faire des économies. C’est aussi par un recours massif à l’intelligence artificielle, à la digitalisation, à la robotique et au big data. Des technologies dont le développement à grande échelle dans les services publics est inscrit en lettres rouges dans le projet de réforme de l’État.
Aux agents des finances publiques, des outils informatiques capables de « modéliser les comportements frauduleux et de détecter des comportements de fraudes éventuelles » sont promis pour accomplir un travail que les réductions d’effectifs ne permettent plus. Aux inspecteurs du travail en souffrance, le ministère de tutelle assure qu’ils pourront satisfaire les salariés en les orientant vers un Code du travail numérique. Et comme aucune économie ne doit être taboue, c’est aussi en s’inspirant de la réforme des relations professionnelles dans le privé que le gouvernement veut parvenir à ses fins. Désormais, ici aussi, le dialogue social est considéré comme un coût. Un coût qu’il faut réduire au plus vite, explique Catherine Vincent, sociologue et chercheuse à l’Ires. « En quoi les commissions administratives paritaires, instances directement visées par la réforme entament-elles la performance des services publics ? demande-t-elle. Mystère. Mais comme la réforme des comités d’entreprise a été présentée comme indispensable pour davantage d’efficacité dans les entreprises, celle des Cap est avancée comme une nécessité »…
Des territoires pensés en fonction des seuls besoins des entreprises
Autre objectif porté par la réforme de l’État : une meilleure adéquation des politiques publiques aux nouveaux besoins du capitalisme, explique Didier Lassauzay, conseiller au pôle économique confédéral. Un capitalisme financier, mondialisé et déconcentré, poursuit-il, agissant sur « des territoires dont la place a supplanté le centre. Un capitalisme qui n’a plus besoin d’un État fort et jacobin mais d’un État qui, sans rien céder de son pouvoir, se pense comme un État plateforme qui pilote, en fonction des besoins de l’aval, ses décisions et ses actions ». Dans ce modèle, les Pme sont au cœur du système. C’est à partir d’elles et des besoins des régions dans lesquelles elles sont implantées que la puissance publique doit penser son action – autrement dit s’alléger et se déconcentrer pour ne pas peser sur leur performance.
C’est pour elles, et non pour les allocataires des minima sociaux, que le gouvernement a fait voter l’an dernier la loi Essoc, instaurant un « droit à l’erreur ». Droit que Bercy a décidé de renforcer en ordonnant aux contrôleurs du fisc de se montrer accommodants avec les entreprises jugées « de bonne foi », a rapporté fin juillet le site d’information Mediapart. C’est pour les territoires sur lesquelles elles sont installées qu’il a introduit cet été un « droit à la différenciation » dans la réforme annoncée de la Constitution – un droit assuré aux collectivités territoriales de définir leurs propres normes. « Avec l’accord de l’État, les collectivités pourront ainsi demander d’adapter le droit à leur situation et à leurs particularités », décrypte, dans La Gazette des communes, Géraldine Chavrier, professeure de droit public à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne. C’est pour elles et eux enfin que la refonte du Code du travail a organisé l’inversion de la hiérarchie des normes…
Des clics plutôt que des services publics dotés d’agents et de moyens ?
Quand Emmanuel Macron dit vouloir engager des « réformes structurantes », il faut donc le croire. Sa réforme de l’État est un chantier comme la société française en a peu connu. Un projet qui se conçoit comme un gigantesque puzzle dont les dispositions se succèdent depuis deux ans. Elles forment un ensemble qui tourne le dos à l’État-providence pour conforter l’État néolibéral. « Son projet n’est pas de recentrer l’État sur ses seules fonctions régaliennes, analyse Catherine Vincent. Il est de concevoir un État qui, sans rien lâcher de son pouvoir, délègue et ordonne en fonction des besoins des entreprises. » Et quelle meilleure illustration de ce mode de gouvernance que les objectifs affichés de la réforme de l’assurance chômage, inscrite en toutes lettres dans le projet Action publique 2022 ?
En plus d’annoncer une réduction de grande ampleur des droits des chômeurs à résister à la dégradation des termes de l’emploi sur le marché du travail, celle-ci confirme le rôle désormais considéré comme incontournable de la puissance publique sur la définition des allocations allouées par le système de protection sociale. Patronat et syndicats peuvent discuter, dialoguer, négocier… c’est aux pouvoirs publics que reviendra le choix de décider de la protection qu’ils veulent accorder aux salariés.
Demain l’État et sa capacité à combattre les inégalités, à relever les défis climatiques et à satisfaire un besoin de plus de démocratie ? Comme pour donner des gages à tous ceux – cheminots, inspecteurs du travail, journalistes des chaînes d’information publiques, enseignants, personnels soignants et de justice, gilets jaunes –qui dénoncent depuis des mois la réduction incessante des moyens alloués aux services publics et, à travers eux, au développement de leurs territoires, il propose que tous les usagers puissent donner leur avis via un système de notation numérique…
Des clics plutôt que des services publics et des agents qui leur sont dédiés ? Il faut croire que le pouvoir, lui-même, commence à douter de la faisabilité de son projet. Cet été, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, a dû renoncer à supprimer 50 000 postes dans la fonction publique d’État comme il le prévoyait, annonçant se « limiter » à 15 000 postes sur le quinquennat.
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