Métiers du soin et du lien : sortir de l’invisibilité et reconnaître les qualifications

C’est en suivant le fil rouge de la reconnaissance salariale qu’une recherche-action de l’Ires pour la Cgt a posé les enjeux d’un investissement massif dans le secteur du soin et du lien aux autres.

Édition 028 de mi-avril 2023 [Sommaire]

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Applaudies lors de la crise sanitaire, les travailleuses du soin et du lien sont vite retombées dans l’anonymat. © MaxPPP

Infirmières, aides-soignantes, assistantes sociales, sage-femmes, enseignantes… Les professions qui composent «  le secteur du soin et du lien aux autres  » regrouperaient quelque 3,5 millions de salariés. Ou plutôt de salariées  : l’une de leurs caractéristiques est en effet d’être très fortement féminisées, avec des taux dépassant 80  % dans de nombreux métiers.

En 2020, elles sont sorties de l’ombre, applaudies comme toutes celles apparues en première ligne face à la crise sanitaire. Puis elles sont retombées dans l’anonymat, voire dans l’«  invisibilité  ». Une recherche-action de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) les a mises à nouveau en lumière en soulevant les enjeux, singulièrement en matière d’égalité femmes-hommes, d’un investissement massif dans ce secteur (1). Une nécessité, montre le rapport final, dans le contexte d’un double vieillissement  : celui de la population, dont les besoins vont aller croissant  ; celui des professionnelles elles-mêmes, plus d’une sur trois ayant passé 50 ans. A l’initiative de la CGT, cette recherche a fait l’objet d’une journée d’étude, le 9 novembre dernier, en partenariat avec le Cese (Conseil économique, social et environnemental).

Une enquête, «  Mon travail le vaut bien  »

Le fil rouge de ce rapport, c’est la question de leur revalorisation salariale, très imparfaitement traitée par le Ségur de la santé. Considérés en effet comme des métiers «  de femmes  », que l’on entreprendrait par «  vocation  » dans le prolongement des activités familiales, ils sont déclassés, sous-valorisés d’un point de vue professionnel et salarial. «  On ne reconnaît ni la totalité des niveaux de diplômes, ni l’expertise et la technicité, ni le degré réel de responsabilités, ni enfin l’importance des contraintes physiques et nerveuses de ces emplois.  »

«  Considérés comme des métiers “de femmes”, que l’on entreprendrait par “vocation” dans le prolongement des activités familiales, ils sont déclassés, sous-valorisés d’un point de vue professionnel et salarial.  »

Pour documenter cette réalité, l’Ires a mené une consultation en ligne, «  Mon travail le vaut bien  », produisant 6 977 réponses exploitables. Il se propose à présent d’aller plus loin  : «  C’est parce que ces emplois sont très féminisés et s’appuient sur des compétences considérées comme “naturelles” pour les femmes (aider, soigner, éduquer, nettoyer, écouter…) qu’ils sont sous-payés  », démontre-t-il, en articulant des travaux de nature scientifique et empirique.

Revalorisations  : un coût total estimé à 35 milliards d’euros

Les professions intermédiaires du sanitaire et social perçoivent à peine le salaire médian (1 900 euros). Les revaloriser participe donc d’un objectif d’égalité salariale, les femmes étant globalement payées «  un quart en moins  », pour reprendre le titre d’un essai de Rachel Silvera, coordinatrice de l’étude (2).

Plusieurs mécanismes sont envisagés pour réaliser cet objectif. Le premier fonde les revalorisations sur le niveau de diplôme requis pour chaque profession. Il s’appuie sur un «  salaire cible  », fondé sur le salaire mensuel net moyen observé pour le niveau de diplôme attendu dans l’exercice de la profession. C’est en confrontant ces salaires cibles aux salaires réellement existants que sont déduits des taux de revalorisation.

Un exemple  : le salaire net mensuel des sages-femmes étant de 2 368 euros dans le secteur public, il devrait être augmenté de 24  % pour atteindre la cible de 2 926 euros. Très contrastées selon les métiers et les secteurs (public ou privé), les revalorisations préconisées atteignent par exemple 76  % pour les aides à domicile (par une augmentation du salaire et du temps de travail). Au total, le rapport estime à 35 milliards d’euros le coût net de ces revalorisations, génératrices, insiste-t-il, de droits futurs.

Une comparaison sages-femmes/ingénieurs hospitaliers

Le second mécanisme envisagé est plus large puisqu’il tient compte des critères de la loi Roudy, qui définit le principe d’un salaire égal pour un travail de valeur égale  : «  Sont considérées comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.  » Ce mécanisme s’appuie donc sur une comparaison d’emploi avec des métiers à prédominance masculine de la filière technique. Trois professions sont étudiées  : les sages-femmes, les assistantes de service sociaux et les aides-soignantes.

«  On peut estimer que la hausse attendue pour la majorité des personnes interrogées est entre 500 et 1 000 euros, pour toutes les professions, et ceci malgré la diversité des niveaux de diplôme et de rémunération. »

Envisageons l’une d’entre elles  : les sages-femmes, une profession très féminisée (à 97,3  %) bien que la formation soit ouverte aux hommes depuis 1984. Elles sont, dans l’étude, comparées aux ingénieurs hospitaliers, deux métiers de niveau hiérarchique et de formation similaires (bac + 5 et catégorie A de la fonction publique). Les procédures de recrutement, les évolutions de carrière mais aussi les conditions de travail sont pourtant plus favorables aux ingénieurs.

Idem du point de vue des rémunérations  : si toutes les revalorisations annoncées devaient être réalisées, dans le cadre notamment d’un protocole d’accord signé en novembre 2021, il est vrai que, à l’embauche, les sage-femmes seraient légèrement gagnantes par rapport aux ingénieurs. Mais pas en fin de carrière, où les écarts avec ces ingénieurs pourraient dépasser 500 euros mensuels. À évolutions constantes, seules des gardes supplémentaires pourraient leur permettre de combler la différence  : «  au détriment de leur santé  », note le rapport.

Une insatisfaction qui les conduit à ne pas recommander leur métier

C’est que, pour une bonne part, les qualifications réelles des métiers du soin et du lien souffrent d’«  invisibilité  ». Ce constat est criant à la lecture de l’enquête «  Mon travail le vaut bien  ». S’agissant des compétences des sages-femmes  : outre 80  % des accouchements, elles réalisent des consultations obstétriques et gynécologiques à tout âge, des examens de prévention et de contraception, des échographies, du suivi de nouveau-né, de la rééducation périnéale, des Ivg…

À tel point que pour 92  % des répondantes, le salaire ne correspond pas à la juste valeur de leur travail, ce qui est encore plus vrai pour les professions faiblement rémunérées. Cette insatisfaction les conduit à ne pas recommander leur métier. Elles sont ainsi une écrasante majorité (88,5  %) à faire de la revalorisation salariale leur priorité. «  On peut estimer que la hausse attendue pour la majorité des personnes interrogées est entre 500 et 1 000 euros, pour toutes les professions, et ceci malgré la diversité des niveaux de diplôme et de rémunération  », souligne l’étude.

La richesse de ce rapport ne se résume pas aux pistes qu’il formule en termes de revalorisations salariales  : les métiers du soin et du lien aux autres y sont en effet envisagés dans leur globalité, tous niveaux de qualification confondus. Sur la base d’une méthode innovante fondée sur la réalité des territoires, il chiffre ainsi les besoins non satisfaits en emplois de qualité  : des besoins, selon les scénarios, compris entre 330 500 et 1,1 million d’emplois.

Christine Labbe

  1. Rachel Silvera (coord.), « Investir dans le secteur du soin et de lien aux autres : un enjeu d’égalité entre les femmes et les hommes », Mage, Imt Nord Europe, Clerse-Umr 8019, université de Lille, Rrs-Cgt, Rapport final, janvier 2023.
  2. Rachel Silvera, Un quart en moins. Des femmes se battent pour en finir avec les inégalités de salaires, La Découverte, 2014, 224 pages, 16 euros.